Depuis sa cachette, Marc Van Ranst se confie à La Libre : "Des gens pensent que Jürgen Conings est un héros et Marc Van Ranst un salopard. Cela m'énerve"
Lorsque nous contactons Marc Van Ranst, il n’aura fallu que quelques minutes pour fixer un entretien. Par téléphone uniquement, sécurité oblige. C’est que le virologue est toujours caché tant que Jürgen Conings, l’homme qui le menace, demeure introuvable. Si le virologue a toujours affirmé ne pas avoir peur de la situation, la lassitude commence quelque peu à le gagner.
Publié le 27-05-2021 à 19h42 - Mis à jour le 28-05-2021 à 08h44
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Cela fait plusieurs jours que vous êtes à l’abri alors que Jürgen Conings est lui toujours recherché. Comment vivez-vous cela ?
Ce 28 mai, cela fait onze jours que nous sommes ici. Comment le vivre ? (long soupir). La situation est évaluée au jour le jour par les services de sécurité, mais je ne suis pas optimiste quant à une sortie prochaine. C’est surtout dur de voir Milo, mon fils de 12 ans, vivre ça. Nous vivions déjà sous protection policière depuis dix mois, il avait très bien géré, mais un enfant ne devrait pas vivre de telles choses. Des menaces, j’en ai reçu beaucoup, mais tout ceci est inédit.
Jürgen Conings peut compter sur de nombreux fans regroupés notamment sur l’application Telegram. Et vous avez été leur dire quelques mots…
Bien sûr, et pourquoi pas ? Pourquoi n’aurais-je pas le droit d’aller voir ce qui se dit dans ce groupe ? Il rassemble les personnes qui supportent celui qui veut me tuer, et donc cela m’intéresse beaucoup ! Si tout le monde a le droit de s’exprimer, pourquoi pas moi ? Ce que j’ai pu lire m’interpelle, mais je crois que j’y suis un peu habitué. Maintenant, ça m’énerve quand même, ces gens pensent que Jürgen Conings est un héros et que Marc Van Ranst est un salopard…
Ces groupes de soutien, cela vous fait-il peur ou est-ce que, finalement, cela vous étonne peu ?
Cela m’étonne très peu. Vous savez, plus de 25 % de la population a voté pour le Vlaams Belang en Flandre. Vu mon histoire avec ce parti qui ne m’aime pas beaucoup, je ne suis pas vraiment surpris de voir autant de monde dans ces groupes. Mais les réseaux sociaux, ce sont surtout des chambres d’échos, ils ne reflètent pas la grande majorité de la population.
Vous évoquez le Vlaams Belang. Estimez-vous donc qu’il y a un lien entre ces personnes et ce parti ?
Il faut d’abord rappeler que toutes les personnes qui votent pour le Belang ne sont pas forcément racistes ou d’extrême droite. Tout comme je suis persuadé que toutes les personnes qui votent pour ce parti ne sont pas forcément opposées aux mesures sanitaires. Enfin, je suis également persuadé que dans les 25 % de votants pour le Belang, il n’y a pas que des partisans de Jürgen Conings. Par contre, ce que je constate, c’est que le Vlaams Belang ne veut pas désavouer cet individu.
D’autres personnalités politiques se sont exprimées à ce sujet. C’est le cas de Siegfried Bracke (N-VA) qui estime que vous l’avez un peu cherché…
C’est vraiment idiot comme commentaire. Son but, en disant cela, c’est surtout d’être interviewé, parce qu’il sait qu’en disant cela, il va attirer l’attention des médias. Par contre, je refuse d’associer l’ensemble de la N-VA à cette déclaration. Je ne veux pas faire de généralisation, d’autant que je ne crois pas du tout que cela reflète les propos de la N-VA avec qui j’ai bien travaillé pour la gestion de la pandémie.
Que pensez-vous de tout ce qui se dit sur Facebook ou Twitter à propos de cette affaire ?
Qu’on ne doit pas donner trop d’importance aux réseaux sociaux. On devrait même interdire les profils anonymes, ils sont toxiques. Les gens peuvent dire n’importe quoi et cela n’est pas constructif. Face à cela, la justice est dépassée. En Belgique, insultes et menaces sont considérées comme des délits de presse sur les réseaux, ce qui signifie qu’il faut une cour d’assises pour les traiter, ce qui n’arrive jamais. Pour lutter contre le phénomène, il faudrait que ces faits puissent être traités par des tribunaux correctionnels. Il y a des projets de loi en ce sens depuis 2005 et j’espère que cela va aboutir. Je regrette un peu de passer, moi-même, beaucoup de temps sur ces réseaux sociaux. Mais je n’ai pas de loisirs en ce moment. Habituellement, j’aime collectionner les timbres, surtout des Pays-Bas, de la Belgique ou du Congo belge. J’aime aussi aller à la salle de fitness, mais bon, là c’est compliqué, surtout que c’est fermé.
En tant que virologue, vous n’avez donc pas le pouvoir de rouvrir ces salles ?
(Rire) Certains le pensent, mais ce n’est pas le cas !
“J’avais proposé un codeco pour les jeunes à Sophie Wilmès…”
Puisque vous continuez à suivre la situation sanitaire, pensez-vous que la crise est presque derrière nous ?
Ce n’est pas la fin. C’est la fin d’un épisode. Ces prochaines années, il faudra rester vigilant face au variant indien, plus résistant et qui pourrait diminuer l’efficacité vaccinale.
On va donc continuellement devoir se faire vacciner ?
Je le crois, oui, au moins pendant quelques années encore. Après, le virus s’apparentera à un gros rhume, mais d’ici là, oui, il faudra probablement se faire vacciner chaque année, notamment parce qu’il faudra s’adapter aux variants.
Est-ce que la vaccination des jeunes n’est pas le plus gros défi qui nous attend ces prochains mois ? C’est l’une des populations qui adhèrent le moins aux mesures, et qui a été un peu oubliée, non ?
Il y a quelques mois, j’ai proposé à Sophie Wilmès, lorsqu’elle était encore Première ministre, de mettre sur un pied un Codeco spécifique pour les jeunes. Non pas pour parler d’eux, mais pour parler avec eux. L’idée n’a pas été retenue et je pense que c’est une erreur. Cela aurait été une belle occasion de renouer le dialogue avec ces générations. Concernant votre question sur la vaccination, on peut déjà utiliser le vaccin pour les jeunes de 16-17 ans. Dans quelques mois, on aura les résultats des sociétés pharmaceutiques sur la possibilité de vacciner les enfants de 12 ans et plus. Tant qu’on n’a pas les résultats de ces études, on parle un peu dans le vide, mais ce sera un sujet de discussion scientifique important ces prochains mois.
Quel est votre avis sur la stratégie de communication du gouvernement ? Optimale ?
Non… D’abord, je pense que les médias, surtout au début de la crise, ont correctement fait leur boulot d’informer. D’ailleurs, tous les Belges sont devenus un peu virologues, comme ils seront coach national de football dans quelques semaines (rires). Plus sérieusement, les Belges ont aujourd’hui des connaissances de base réelles en virologie. Je devrais presque m’inquiéter ! J’ai d’ailleurs dû adapter les questions de mes examens pour mes étudiants en médecine. Il y a quinze mois, qui aurait cru que les mots “Pfizer” ou “ARN messager” feraient partie des conversations courantes ? Ensuite, je crois qu’on est en train de louper l’opportunité d’une grande campagne de communication sur la vaccination. Je pense qu’on aurait dû investir davantage de moyens dans une telle campagne d’information. Peut-être ne l’a-t-on pas fait parce qu’on s’est reposé sur les médias, mais c’est une erreur.
Et sur la stratégie de communication gouvernementale ?
Oui… Enfin, je pense que les Codeco, et les conférences de presse qui les suivent, devraient être adaptées. On devrait pouvoir faire mieux. Le Premier ministre prend la parole tout de suite après le Codeco, et vingt minutes après, tous les ministres sont interviewés pour avoir leur avis et leurs interprétations. Évidemment que ce n’est pas optimal… J’aime bien le système “Macron”. Dans son style très présidentiel, le président déroule son discours, bien préparé, et la conférence de presse sur les détails se passe bien plus tard. Cela laisse plus de temps aux médias de se préparer, au bénéfice de l’information. En Belgique, c’est compliqué parce qu’il y a des fuites continuellement. Toutes les infos filtrent du Codeco, et quand le Premier ministre parle, tout est déjà connu.
Il faudrait un Codeco “téléphones fermés” ?
Si j’étais Premier ministre, c’est la première décision que je prendrais : mettre tous les mobiles dans un sac à l’entrée !
Est-ce que l’idée d’un baromètre “Covid” n’aurait pas été un très bel outil pédagogique pour justifier les mesures prises en fonction du contexte sanitaire ?
Si. J’avais proposé le modèle irlandais, clair et facile, mais ça n’a pas été retenu. Cela dit, on a presque un baromètre puisqu’on sait comment cela va se passer durant l’été. Mais je comprends que, pour le politique, un tel baromètre soit compliqué à mettre en place, car il devrait évoluer souvent. Et on sait qu’en Belgique, c’est compliqué de changer les choses, car on prête vite le flanc à des critiques sévères. Et le monde politique en a peur.