"La santé mentale des Belges était déjà dans un état grave avant le Covid"
Il existe peu de données objectives sur l’impact du Covid sur la santé mentale des Belges. Solidaris propose de premiers indicateurs basés sur la consommation de soins au fil de la pandémie. Un monitoring s’impose.
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- Publié le 06-07-2021 à 20h30
- Mis à jour le 07-07-2021 à 06h31
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Quinze mois après le début de la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, comment vont les Belges ? Le Comité de concertation (qui réunit les gouvernements des entités fédérale et fédérées) a évoqué, à plusieurs reprises, un baromètre de la santé mentale. Il n’existe pas. Ou pas encore. L’impact de la crise et des mesures restrictives sur la santé mentale est pourtant brandi comme argument dans de nombreux discours politiques.
Mais comment mesure-t-on le niveau de santé mentale d’une population ? Actuellement, en l’absence d’indicateurs objectifs, on croise des enquêtes déclaratives et des sondages, qui mesurent l’état subjectif de bien-être. Les données collectées montrent une hausse du sentiment de mal-être. "On voit, après un an de pandémie, que ça augmente, mais peut-être pas dans les proportions auxquelles on s’attendait. Il y a une dégradation, mais pas aussi nette que ce qu’on pouvait penser", commente François Perl, ex-directeur général du Service des indemnités de l’Inami, devenu, le 1er mars, directeur du pôle "acteur social et citoyen" de la mutualité socialiste Solidaris.
Surtout, les problèmes de santé mentale n’ont pas surgi avec le coronavirus. En mai 2019, le baromètre confiance et bien-être de Solidaris montrait déjà qu’environ un tiers de la population (27,5 %) se déclarait en dépression modérée à sévère. En mai 2020, juste après le premier confinement, quand les secteurs commencent à rouvrir, il y avait même moins de personnes qui se déclarent déprimées (25 %) qu’un an plus tôt ! Le mal-être reprend ensuite vigueur. En juin 2021, à la dernière prise de température de Solidaris, 28,5 % des affiliés se disaient en dépression modérée à sévère. "Après un an de pandémie, ça monte, mais on reste grosso modo dans ce fameux tiers de gens qui ne se sentent pas bien. Il n’y a pas eu un doublement des problèmes de santé mentale", résume François Perl.
Les leçons de la pandémie
Cela reste dans l’ensemble relativement stable, même si les situations sont très contrastées en fonction des catégories : les personnes isolées et les jeunes sont plus touchés que les groupes plus âgés, poursuit-il.
"Cela montre qu’on partait déjà de très haut. La crise sanitaire a mis en lumière une réalité qu’on ne prenait pas en considération. J’espère que le Covid va inscrire durablement la santé mentale dans des perspectives politiques. S’il faut retenir une leçon de la crise Covid, c’est que la situation de la santé mentale est grave. Elle l’était avant, elle l’est pendant et elle le sera après. Le retour à la normale ne va pas régler les problèmes de la santé mentale en Belgique", ajoute M. Perl.
Autre leçon : il faut un monitoring de la santé mentale. "C’est indispensable. On manque d’éléments de mesure. Si on se retrouve un jour dans la même situation, on n’aura pas plus demain qu’hier la capacité de mesurer avec précision l’impact de mesures sanitaires sur la santé mentale."
Raison pour laquelle Solidaris propose une première série d’indicateurs qui permettent de documenter la santé mentale de ses affiliés (qui représentent un tiers de la population belge, dans les trois régions du pays), en particulier au fil de la crise sanitaire.
Un premier monitoring: une très grande disparité en fonction des groupes
Quantifier. Alors que certains signaux d’une détérioration de la santé mentale clignotaient au fil de la crise sanitaire, il n’a jamais été possible de quantifier précisément le problème - ni, forcément, d’y répondre. Solidaris propose une première analyse des données de consommation de soins de ses affiliés (jusqu’à fin 2020) en se basant sur trois indicateurs: les (télé)consultations des psychiatres, les hospitalisations et la consommation d’antidépresseurs et d’antipsychotiques, en fonction des différents profils de population.
Une relative stabilité. "On observe une relative stabilité de la consommation de ces soins, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de crise de la santé mentale", insiste M. Perl. Il y a très probablement eu des problèmes d’accès à ces soins, surtout pendant le premier confinement. "Je ne veux certainement pas entrer dans une négation en disant: mais non, tout allait bien ! On a tous entendu des récits venant de services de première ligne qui avaient complètement perdu des patients psy ou souffrant d’assuétudes."
Les plus précaires. Si 13 % des affiliés ont eu, en un an, accès à au moins une prestation de santé mentale, cela grimpe à quasi 19 % pour les plus précaires (bénéficiaires de l’intervention majorée), à 26,6 % pour les invalides et même à 35,5 % en situation de handicap. Le monitoring montre par ailleurs que, à la suite du Covid-19, 39 % en moins ont eu un contact avec un psychiatre parmi les plus démunis contre 31 % parmi les plus nantis quand on compare la situation dix semaines avant le confinement et dix semaines après. Cela montre où les besoins de santé mentale se font le plus ressentir. "On a un terrible problème d’accessibilité financière en Belgique, où les soins de psychologie ou de psychothérapie ne sont pas remboursés, sauf par l’assurance complémentaire des mutuelles, qui offre un nombre réduit de consultations. Là, on sert un peu de béquille."