"On ne peut pas dire sur base de fariboles que tout le monde va mal. Il faut des indicateurs"
Entretien avec François Perl, directeur chez Solidaris.
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- Publié le 06-07-2021 à 20h40
- Mis à jour le 07-07-2021 à 06h42
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Avant l’épidémie liée au coronavirus, François Perl, directeur du pôle "acteur social et citoyen" de Solidaris, n’avait jamais entendu autant de déclarations politiques sur la santé mentale. "Subitement, certains se passionnent." Il y a quand même beaucoup de déni, ajoute-t-il. "Mais, si grâce à la crise sanitaire certains voient soudain les problèmes de santé mentale, tant mieux. Quand le MR déclare qu’il faut en faire une grande cause nationale, je ne demande pas mieux ! Maintenant, il faut que cela suive."
La santé mentale a-t-elle été un alibi utilisé par certains partis pour réclamer des réouvertures après les confinements ?
Cela l’a été, très clairement. Même s’il y avait des gens qui étaient sincèrement inquiets. Mais on avait très peu d’indicateurs. Quand Georges-Louis Bouchez (le président du MR, NdlR) a déclaré qu’il y avait une vague de suicides, on ne l’a pas vue... Il y a eu plus d’appels de détresse, comme on a pu le constater dans les centres de santé mentale gérés par Solidaris. On a mis en place une série de projets et de lignes d’écoute. Mais, heureusement, cela n’a probablement pas eu comme conséquences beaucoup de passages à l’acte.
On n’a pas encore les chiffres de 2020 sur les suicides.
En effet. Mais les premières indications dont on dispose, notamment les déclarations faites à la police et au parquet de Bruxelles, ne montrent rien de spectaculaire. On a des gros problèmes de données en Belgique. Mais, quand je regarde les premières études longitudinales vraiment bien faites dans les autres pays, qui permettent de comparer les taux de suicide, le confinement n’a pas eu d’impact.
C’est contre-intuitif, non ?
Le suicide est un peu à part dans le paysage de la santé mentale. La pulsion suicidaire peut survenir chez des personnes qui ne souffrent d’aucun problème de santé mentale. Il n’y a par exemple pas un taux de suicide plus important chez les patients suivis pour dépression. Il peut y avoir des corrélations, mais il n’y a pas de causalité évidente et directe.
Beaucoup soutiennent que les mesures de confinement ont gravement dégradé la santé mentale.
C’est légitime de se demander si le remède n’est pas plus nocif que la maladie. Mais il ne faut pas non plus dire, sur la base de fariboles, que tout le monde va mal et qu’on a fait pire que mieux. Il faut des données objectives qui permettent de le mesurer. Les indicateurs sont indispensables pour calibrer l’offre de santé mentale à la demande. Parfois, on a tendance à établir des politiques sur la base d’intuitions et pas sur la base de faits.
On a aussi dit que plus personne ne respectait les mesures sanitaires.
Une autre enquête qu’on a faite sur Bruxelles et la Wallonie montre qu’en juin 2021, plus de 15 mois après le début de la crise sanitaire, 70 % des gens adhéraient encore aux mesures en estimant qu’elles n’étaient pas trop sévères. Il faut aussi prendre cela en considération. Ce sont des gens qui ont senti l’impact de la maladie, qui ont vu des proches en souffrir. Contrairement à ce qui a été dit, on n’a peut-être pas assez entendu les gens qui souffraient médicalement de la maladie, notamment du Covid long. Il ne faut pas se mentir : il y a eu tout un récit construit autour des mesures sanitaires et du confinement à partir des gens qui criaient le plus fort.
On a beaucoup évoqué le mal-être des enfants et des adolescents.
Ils sont probablement ceux qui ont le plus souffert. La pédopsychiatrie et la psychiatrie juvénile restent un domaine dans lequel on a très peu investi ces dernières années, dans un contexte de déficit global d’investissement dans tout le secteur de la santé mentale.
Si des gens ne vont pas bien parce qu’ils doivent choisir entre acheter de la nourriture ou payer leur loyer, est-ce un problème de santé mentale ou un problème social qu’on est en train de médicaliser ?
Il faut traiter les deux. Il faut éviter une surpsychologisation de l’approche. Quand quelqu’un a des problèmes de revenus, il ne s’agit pas de lui proposer comme seule solution de l’envoyer chez le psy. C’est clair. Mais il faut quand même une offre de soins de santé mentale parce qu’il y a aussi des problèmes de comorbidités ou d’assuétude. Le fait d’avoir été longtemps au chômage ou d’avoir vécu le choc traumatique d’une perte d’emploi, d’un décès ou d’un accident peut conduire à un problème de santé mentale. Même si c’est très lourd, c’est beaucoup plus facile de dépenser trois ou quatre fois 50 euros chez le psy quand on a un salaire correct que quand on est chômeur ou bénéficiaire d’un revenu d’intégration.