Comment diminuer les risques d'inondations? "Il faut enlever en partie cette couche de béton et de bitume et laisser respirer la terre"
Publié le 30-07-2021 à 20h51 - Mis à jour le 31-07-2021 à 14h24
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Bas Smets est architecte paysagiste. Ses bureaux sont situés à Bruxelles. Mais c’est depuis Rome qu’il répond aux questions de La Libre. Sa renommée l’amène désormais fréquemment à l’étranger. Arles, notamment, lui doit le jardin du complexe Luma Arles, au pied de la tour conçue par Frank Gehry. Un jardin qui compte 5 000 mètres carrés de pelouse, 1 100 arbres et 80 000 plantes et qui a été aménagé sur une dalle de béton où ne poussait rien.
Les inondations qui ont frappé la Belgique il y a un peu plus de quinze jours confortent sa conviction : la ville a un besoin urgent d’être repensée pour être plus résiliente. Sinon, les inondations vont se répéter, et devenir toujours plus destructrices.
Peut-on incriminer la façon dont nos villes sont conçues dans les drames qui ont eu lieu en province de Liège ?
L’homme a choisi de s’installer à côté des fleuves et des champs fertiles pour se nourrir et avoir un accès aisé à l’eau. Mais les villes se sont étendues et ont débordé petit à petit sur les champs fertiles. Dans le même temps, l’homme a canalisé les fleuves, toujours pour augmenter les surfaces d’habitations. Cela a conduit à une imperméabilisation progressive des sols. La conséquence, c’est que l’eau de pluie coule directement dans les fleuves. Comme les fleuves ne disposent plus d’espaces pour déborder, les inondations se multiplient. Par ailleurs, les nappes phréatiques sont moins alimentées et les arbres ne trouvent plus assez d’eau dans le sous-sol. L’imperméabilisation a donc un double effet négatif.
Que faire ?
Ma conviction, c’est qu’il faut déminéraliser les villes. C’est-à-dire enlever cette couche de béton et de bitume, laisser respirer la terre et permettre à l’eau pluviale de percoler à nouveau dans les sols. Pendant le lockdown, à l’invitation du Civa (Centre pour la ville, l’architecture et le paysage) et avec VAI (Vlaams Architectuurinstituut), nous avons développé une méthodologie pour arriver à cet objectif. Et c’est étonnamment simple. Les versants des vallées sont en général constitués de terres fertiles formés par les sédiments que le fleuve a charriés au fil des années. Mais ils ont été rendus imperméables par l’homme. En dessous du bitume, il y a souvent un très bon sol, où on peut planter des arbres. Notre idée, c’est de constituer, dans le sous-sol des coteaux, une réserve hydrique, une sorte de nappe phréatique en constituant un lit de cailloux qui retiendrait l’eau. Ce lit de cailloux serait ensuite recouvert par la terre fertile dans laquelle on planterait des arbres qui pourraient s’abreuver dans la réserve hydrique. Nous aurions un double effet positif : on retient l’eau dans le sous-sol des pentes et on refroidit l’atmosphère par l’évapotranspiration. Évidemment, il faut casser la couche de bitume pour planter les arbres.
Faudrait-il enlever tout le bitume des villes ?
Déminéraliser la ville ne signifie pas que le revêtement sur le sol doit être enlevé partout. Il ne doit être enlevé qu’à certains endroits pour pouvoir planter un arbre. Mais dans le sous-sol, il faut placer une couche continue pour récupérer l’eau pluviale. Ça, c’est pour la théorie. Nous sommes en train de la mettre en pratique à Bruxelles où nous avons gagné un concours avec notre master plan ville haute-ville basse. Ce projet repose sur l’idée d’utiliser la jonction Nord-Midi, créée au début du XXe siècle et qui relie en sous-sol les deux gares, comme un barrage et de stocker ainsi, à mi-pente, l’eau pluviale venant de la ville haute. Cela aura un double effet : réduire le risque d’inondation dans la ville basse et remettre cette eau dans l’atmosphère par les arbres.
Mais il faudrait planter combien d’arbres au mètre carré pour déminéraliser une ville ?
Le nombre d’arbres à planter dépendra donc du lieu où on se trouve. Jusqu’à présent, l’urbanisme tenait trop peu compte de la géologie.
N’a-t-on pas trop construit dans les zones inondables ?
Moi, je vous parlais de ce qu’il faut faire d’un point de vue de l’aménagement extérieur. Mais, évidemment, il n’aurait pas fallu autoriser les constructions dans les zones inondables. C’est un débat politique qui va à nouveau se poser. Pour moi, ce serait une erreur de reconstruire aux mêmes endroits les bâtiments qui ont été détruits par les inondations. Avec le changement climatique, il y aura de plus en plus d’épisodes pluvieux en moins de temps. Le problème, c’est que l’homme a trop construit, trop imperméabilisé, tellement réduit l’espace qu’il n’y a plus de marge. Tout explose, cela devient trop juste pour la nature. C’est pour cela qu’il est fondamental de tout repenser pour le futur. De mieux gérer les questions d’urbanisme et de gestion des eaux, pour mieux construire une ville plus résiliente. En ce sens, le réchauffement climatique n’est pas la cause de ces inondations. Il a simplement révélé les erreurs que nous avons commises.
La Flandre et la Wallonie veulent stopper la bétonisation des sols. Mais cela a l’air difficile à mettre en œuvre ?
En Flandre, depuis l’annonce du "béton stop", il n’y a jamais eu autant de terrains recouverts de béton car tout le monde a eu peur que son terrain ne soit plus autorisé aux constructions. Mais il faudra apprendre les leçons des drames que nous subissons, comme à Liège. Ces drames doivent nous faire comprendre qu’on ne peut pas juste construire de tout un peu partout en se faisant de l’argent et sans réfléchir à ce qui nous arrive. Mais ce type de réflexion, c’est évidemment au niveau des gouvernements qu’il faut la mener, pas au niveau des développeurs privés. Il me semble que le message commence à passer dans la classe politique.
Peut-on penser globalement l’urbanisme à Bruxelles avec ses 19 communes ?
Bruxelles est l’endroit où, à la fois, rien n’est possible et tout est possible. Rien n’est possible parce qu’il n’y a pas vraiment de pouvoir central, et tout est possible parce qu’une commune peut parfois agir et faire toute la différence. C’est ce qui rend Bruxelles particulière.
De manière générale, vous estimez que les questions d’urbanisme sont trop peu prises en compte ?
Oui clairement, et c’est le cas dans de nombreuses villes. Mais on commence à prendre un peu plus conscience du problème, notamment à cause de drames comme les inondations. Et heureusement parce que ces drames vont malheureusement se reproduire. La société doit repenser la façon dont elle occupe le territoire, c’est primordial. La ville et la façon de l’occuper sont le fruit d’une invention qui se crée en continu. Et il faut continuer à se réinventer.
Les personnes qui sont sans toit pour l’instant ne peuvent se permettre d’attendre la fin d’une réflexion globale sur la ville. C’est tout de suite qu’il faut reconstruire leur logement.
C’est effectivement compliqué. Les droits sont ce qu’ils sont, ce qui signifie que si on considère, légalement, que leur terrain permet une construction, cela va se faire. Au détriment, oui, d’une réflexion plus large incluant non pas chaque maison, mais toute la communauté. C’est une question qui n’est pas de mes compétences, mais je sais que nous ne pouvons pas nous permettre de reporter cette réflexion sur la ville plus résiliente.