Yves Coppieters : "En septembre, il faudra faire attention à ne pas tomber dans des dérives liées à la vaccination, comme celles constatées en France"
L'épidémiologiste revient sur la fermeture de plusieurs centres de vaccination bruxellois. Pour lui, le changement de stratégie vaccinale entamé par la Région pourrait permettre de toucher un public plus réticent. Yves Coppieters estime également qu'il est nécessaire d'éviter un discours clivant à la rentrée.
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Publié le 31-07-2021 à 11h45 - Mis à jour le 08-09-2021 à 12h36
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La campagne de vaccination massive commence à toucher à sa fin en Belgique. Bruxelles, encore à la traîne, va fermer six de ses centres. Une décision qui a surpris les équipes du Heysel, qui voient pourtant encore défiler beaucoup de monde. Que penser de la stratégie bruxelloise ? Comment convaincre les personnes qui hésitent encore ? Dans ce contexte particulier, comment aborder la rentrée de septembre ? L'épidémiologiste Yves Coppieters (ULB) est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
A l'heure actuelle, seuls 61% des Bruxellois de plus de 18 ans ont reçu au moins une dose. Dans ce contexte, n’est-ce pas prématuré de fermer la majorité des centres de vaccination, y compris celui du Heysel, qui est le plus grand de la capitale ?
Il est normal de limiter l'utilisation de ressources si ce n’est plus optimal en termes de personnes vaccinées et que la fréquentation de ces centres diminue. Il faut toujours voir le rapport coût/bénéfice : les centres de vaccination mobilisent beaucoup de ressources et demandent une organisation considérable. C’est donc tout à fait normal, à un moment donné, que certains centres ferment. Je pense que les autorités bruxelloises ont analysé les goulots d’étranglement à Bruxelles et qu’elles ont assuré la continuité de l’accès à la vaccination. Par exemple à travers certains centres, à l'aide de stratégies avancées dans certains quartiers et de façon plus intégrée au niveau de la première ligne de soin.
La stratégie de la Région bruxelloise change du tout au tout. Désormais, l’accent est mis sur le local et la décentralisation, avec les vaccibus par exemple. Quels sont les avantages de cette approche plus ciblée ?
Vu les bons résultats de la vaccination en Belgique, il est possible d'investir dans des stratégies plus ciblées qui tiennent compte des réticences ou des caractéristiques culturelles. L'avantage d’une stratégie avancée, c'est d'être au plus près des personnes. Cela permet de consacrer plus de temps à une pédagogie adaptée à tout un chacun et de favoriser l’accessibilité géographique. Peut-être également de favoriser l’accessibilité culturelle, dans le sens où dans ces vaccibus, j’imagine qu’il y a des équipes adaptées et qui peuvent expliquer les choses calmement.
Et les désavantages ?
En termes d’impact, c’est beaucoup plus lent qu’une stratégie misant sur des centres de vaccination. L'autre gros désavantage est de proposer un acte médical dans un environnement qui ne l'est pas. C’est comme lorsque l'on a vacciné dans un Ikea en France, ou dans le stade du Standard de Liège chez nous : l’environnement n’est pas tout à fait propice. Même si je suis en faveur des vaccibus, le danger est d'attraper tous les gens qui “passent aux alentours”. C’est bien s’il y a une bonne information et que les gens ont bien analysé leur balance individuelle bénéfices/risques. Mais si c’est simplement happer les gens pour les vacciner, je pense que c’est une stratégie qui peut quand même être questionnée.

En fermant les centres de vaccination, la Région bruxelloise envoie-t-elle un mauvais signal aux jeunes, encore nombreux à devoir se faire vacciner ?
Si on veut que les jeunes se fassent vacciner, il faut rendre les choses accessibles. On sait que l’accessibilité financière et géographique sont deux éléments majeurs, plus encore chez les jeunes que dans une population plus adulte. En ce qui concerne l'aspect financier, même si le vaccin est gratuit, ça ne doit pas leur coûter d’argent de faire la démarche. En ce qui concerne l'aspect géographique, l'accessibilité signifie aussi de pouvoir se rendre facilement au rendez-vous pour aller se faire vacciner. Une fois que la personne est motivée, il faut donner la possibilité de le faire assez rapidement. Donc oui, la fermeture de ces grands centres peut en effet en décourager certains parce que la démarche pour se faire vacciner peut devenir plus compliquée.
Pensez-vous que le retour de vacances puisse provoquer une vague de personnes souhaitant être vaccinées ?
Sans doute qu’une partie de la population va vouloir se faire vacciner en septembre, à la reprise des activités classiques et professionnelles, dans lesquelles il y aura une certaine contrainte, en tout cas morale, pour les gens non vaccinés. A mon avis, il faut anticiper une recrudescence des demandes en septembre. Ensuite, tout dépend de la façon dont la société va vivre le fait que certains soient vaccinés et que d’autres ne le soient pas, ainsi que du discours politique autour de ça. Il est capital, en septembre, de ne pas entrer dans un discours qui clive la société. Sinon on va tomber dans des dérives, un peu comme en France, où l’on va dresser les différents groupes de personnes les uns contre les autres. Ce serait une erreur.
Quelle est la bonne attitude à adopter en septembre ?
Ce sera le moment de refaire une pédagogie, de réexpliquer les choses calmement, d’être bien conscient que certains se font vacciner même si, fondamentalement, ils n’en ont pas envie. Il faudra simplement être dans la compréhension de cette dynamique et sûrement pas commencer à cliver les gens et menacer ceux qui ne veulent pas se faire vacciner ou qui hésitent.
La vaccination des plus jeunes débute à peine en Belgique. La rentrée scolaire risque-t-elle aussi d'avoir un impact sur la vaccination ?
Tout dépend de la finesse des protocoles qui seront mis en place dans les écoles. Le risque est que les enfants vaccinés soient les seuls à rester en classe lorsqu'il y aura des cas de Covid. Cette stratégie entraînerait une discrimination, ou en tout cas une inégalité entre les élèves, puisque certains ne veulent pas se faire vacciner ou que leur famille est contre. Celles et ceux qui sont vaccinés ont un avantage certain par rapport à la protection individuelle et collective, mais il ne faudrait pas systématiquement arriver dans ce phénomène de clivage entre les vaccinés et les autres. Surtout chez les jeunes où, et c’est parfois difficile de le dire, on n’a pas beaucoup de recul. A l’échelle mondiale, la population adulte est vaccinée. Mais, du côté des plus jeunes, il y a un questionnement éthique sur le fait de les vacciner, mais aussi sur le fait de les culpabiliser de ne pas le faire à tout prix. On sait très bien que ce n’est pas ce groupe-là qui va développer des formes graves de la maladie.

De plus en plus de pays décident d’administrer une troisième dose de vaccin. Quatre centres seront-ils suffisant pour vacciner les personnes ayant besoin d’une troisième dose en automne ?
Dans l’état actuel des connaissances, cette troisième dose (qui est plutôt un booster de rappel) n’a d'intérêt que pour les personnes qui auraient eu une moins bonne réponse immunitaire au vaccin ou qui auraient déjà eu une descente naturelle de leurs anticorps post-vaccination. Ce sont plutôt des personnes âgées. Cela va concerner d’abord les personnes en maison de repos, puis les plus de 65 ans qui auraient déjà une diminution de leur protection. Dire qu’il faut garder ces centres ouverts pour ça me parait un peu excessif, en tout cas à partir du moment où l’on n'a pas décidé que cette troisième dose était destinée à toute la population.
Quel est le profil des Bruxellois non vaccinés ?
On sait que le taux de vaccination varie énormément d’une commune à l’autre. On observe une relation directe entre l’hésitation vaccinale et certaines catégories socioculturelles propres à la Région bruxelloise, liées à la diversité culturelle. C'était la même chose pendant la crise, puisque c'est dans ces groupes-là en particulier que les personnes développaient davantage de formes graves. On se rend donc bien compte que, dans certains contextes socioculturels, le respect des gestes barrières et maintenant l’adhésion à la vaccination sont plus compliqués.
Comment convaincre ces populations réticentes à se faire vacciner ?
Dans ces communautés, comme dans la population générale, il faut surtout convaincre les personnes âgées et les personnes à risque. Faire de la pédagogie pour sensibiliser les jeunes n’a de sens qu'à partir du moment où les groupes à risque sont suffisamment vaccinés. Il faut aller davantage dans les familles et avoir des relais sociaux pour s’approcher des personnes à risque. Je pense qu'il faut cibler les stratégies et qu'il est possible d’avoir des sensibilisations spécifiques.
Y a-t-il un problème avec la stratégie de convocation ?
Cette stratégie de convocation, avec des invitations standardisées par SMS, ne fonctionne pas dans certains groupes de la population. Lorsque l’on nous invite à nous faire vacciner, on ne nous explique pas et on ne nous décrit pas les avantages ou les risques de chaque vaccin. On ne nous dit pas “vous aurez tel ou tel vaccin” et on ne donne pas non plus le choix du type de vaccin. Or on sait qu’il y a toute une série de fausses croyances autour de certains vaccins qui les rendent impopulaires. Ceux qui sont convaincus vont simplement répondre à leur convocation sans se poser beaucoup de questions. Ils vont éventuellement questionner leur médecin traitant. Pour les autres, une démarche plus adaptée est nécessaire. Elle est certes peut-être plus longue à mettre en œuvre, mais peut-être que cela vaut la peine de le faire.
Que répondez-vous aux personnes vaccinées qui expriment un ras-le-bol et se disent “tant pis pour ceux qui refusent de se faire vacciner” ?
Les politiques et la société gèrent cette épidémie de façon collective depuis maintenant un an et demi. Le collectif doit encore fonctionner. On l’a démontré en Belgique avec l'adhésion à la vaccination, puisque l’on est dans des taux tout à fait honorables à l’échelle mondiale. Cette solidarité consiste aussi à protéger les personnes un peu plus fragiles ou à contribuer à l’effort collectif de diminution de la circulation du virus. Et ça, même si l’on est vacciné, on peut y contribuer par les gestes barrières.
Faut-il continuer à imposer des mesures à l'ensemble de la société, y compris aux personnes vaccinées ?
Si le masque redevient un outil plus nécessaire à partir de septembre - ce qui risque d'être le cas -, je pense que ça doit concerner tout le monde. On sait que les vaccinés peuvent encore être à l'origine de contaminations, même si la probabilité est plus faible. Ils contribuent donc encore à la circulation du virus. Selon moi, on ne pourra pas, en septembre ou en octobre, différencier l'application des gestes barrières. Si c’est le cas, alors il faut rentrer dans la logique française du pass sanitaire, où certaines personnes ont des droits que d’autres n’ont pas.
Pensez-vous que l’on risque d'observer une reprise de l’épidémie en automne? Beaucoup en parlent comme du vrai test pour la Belgique...
On voit très bien dans les chiffres qu’il y a une vraie dissociation entre les vaccinés et les non vaccinés au niveau de la transmission, des formes graves et de la mortalité. Il est impossible de prédire ce qu’il va se passer, mais on sait que la vaccination protège. La recrudescence sera nettement mieux gérée et sous contrôle grâce à la vaccination intensive, mais aussi, j’imagine, grâce à tous les autres protocoles que l’on va mettre en place (le testing dans les écoles, les protocoles dans la culture, etc). Depuis quelques mois, on ne parle plus que de la vaccination. Je comprends que ce soit la priorité politique, mais il ne faut pas oublier que la vaccination n’est qu’un des outils de contrôle de cette épidémie. Il faut anticiper la rentrée de septembre avec tous les outils que l’on a à notre disposition : le testing, la mise en quarantaine, le suivi de contact, les gestes barrières et, bien sûr, la sensibilisation par rapport au virus.