Les victimes de violences sexuelles sortent de l’ombre: "Elles arrivent maintenant sans discontinuer"
Les témoignages de viols dans le quartier estudiantin d’Ixelles ont accru la visibilité du Centre de prise en charge bruxellois.
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Publié le 18-10-2021 à 21h01 - Mis à jour le 19-10-2021 à 12h05
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Effet conjugué de la fin du confinement, de la rentrée dans les universités et hautes écoles, de la réouverture des bars et discothèques et d'un tabou qui a sauté sur la culture du viol ? Le Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) de Bruxelles a connu, au cours des dernières semaines, une hausse du nombre de victimes, indiquait lundi Sarah Schlitz, secrétaire d'État à l'Égalité des genres (Écolo) au micro de La Première (RTBF).
Depuis le mois de mai, le centre bruxellois reçoit environ 60 victimes par mois, alors que la moyenne mensuelle se situait précédemment plutôt entre 40 et 50, indique Christine Gilles, gynécologue et médecin responsable du centre. Et pour le mois d’octobre, le CPVS a déjà effectué (en date du 18), 41 prises en charge.
Cinq victimes en un seul jour
La semaine dernière, cinq jeunes femmes se sont ainsi présentées au cours d'une seule journée après avoir subi des abus sexuels ; lundi, il y en avait trois en même temps. "Prendre simultanément en charge autant de victimes, c'est extrêmement difficile à gérer, d'autant qu'on manque de places", commente le docteur Gilles.
Accessible 24 heures sur 24, le CPVS offre, dans un même lieu, un soutien pluridisciplinaire immédiat par un personnel formé à la problématique du viol (un médecin légiste, une équipe de police, des psychologues et infirmiers). La prise en charge prend donc plusieurs heures. Jusqu'ici, il pouvait se produire que trois ou quatre victimes s'adressent au CPVS sur une période de 24 heures, mais le rythme se ralentissait le jour suivant. "Elles arrivent maintenant sans discontinuer", poursuit la gynécologue responsable du centre.
"On parle beaucoup plus de nous"
"Je crois que ce qui s'est passé au cimetière d'Ixelles a augmenté la visibilité du centre sur les réseaux sociaux. On parle beaucoup plus de nous. Des victimes ont appris qu'on existait et se sont présentées", avance Christine Gilles. De nombreux témoignages d'agressions sexuelles et de viols qui auraient été commis dans deux bars connus de ce quartier festif et estudiantin bruxellois circulent depuis une semaine sur Instagram et Facebook. Cela a donné une certaine notoriété au CPVS, estime aussi Sarah Schlitz.
Des jeunes femmes accusent en particulier un barman de droguer les filles en versant une substance dans leur verre pour les avoir à sa merci. Certains faits seraient récents ; d’autres remonteraient à plusieurs années. Le parquet de Bruxelles a confirmé l’existence de plaintes pour faits de mœurs, sans en préciser le nombre. Il nous a indiqué lundi que le dossier était à l’information judiciaire ; aucun juge d’instruction n’a (encore ?) été désigné.
Sur des œufs
Dans ces matières, la justice marche toujours sur des œufs. L'établissement de la preuve est très compliqué. "On se trouve ici dans un contexte où le taux d'alcool des victimes est élevé et où une substance a été glissée dans une consommation", analyse une source proche du dossier. "Attention, ce n'est pas un jugement moral : un viol, ce n'est jamais la faute d'une victime, même si elle est saoule ou a pris un produit ! Mais cet état fragilise le témoignage : la personne agressée sexuellement n'est pas en mesure d'expliquer ce qui s'est passé, de donner un récit cohérent ou des détails qui permettent de remonter à l'auteur et de le confondre."
Deux tiers finissent par déposer plainte
Les chiffres le montrent : un nombre très réduit de victimes de viol déposent plainte. Et quand elles le font, une fois sur deux (53 %) le dossier est classé sans suite, le plus souvent pour manque de preuve (63 %).
Le dispositif des CPVS vise aussi à accompagner les victimes qui le souhaitent à s’adresser à la justice en constituant un dossier plus solide. Les données (constats médicaux, données médico-légales, récits…) y sont collectées et conservées pendant plusieurs mois. L’expérience montre que dans les trois CPVS qui ont ouvert leurs portes depuis 2017 (à Bruxelles, Liège et Gand), les deux tiers des patientes finissent par déposer plainte. Deux centres supplémentaires ouvriront leurs portes en novembre prochain (à Anvers et à Charleroi), l’objectif du gouvernement fédéral étant d’arriver à un CPVS par province d’ici la fin 2022, pour que chaque victime potentielle puisse y accéder en moins d’une heure.
Moyens étriqués
Du côté de la justice, la moitié des magistrats (1 700) ont déjà été formés à une meilleure prise en compte des victimes de violences sexuelles. Mais les moyens restent étriqués. À Bruxelles, les trois seuls magistrats du parquet affectés aux affaires de mœurs sont "très chouettes et compétents, mais ils ne savent plus où donner de la tête", témoigne un avocat pénaliste. En aval, la 54e chambre du tribunal correctionnel, qui traite ces dossiers au fond, est elle aussi complètement débordée…
Une réunion d’urgence est prévue mercredi entre la secrétaire d’État Schlitz, la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) et le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), pour mieux coordonner la prévention et la répression des violences sexuelles.