Comment conserver l'adhésion de la population dans la lutte face au virus ? "Il aurait fallu présenter un plan hiver"
Olivier Luminet est professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain. Il fait partie du groupe d’experts "psychologie et corona", en charge notamment du "Baromètre de la motivation" dont la 36e édition sortait ce mercredi. La Libre l'a interrogé sur le moral des Belges et sur les mesures envisagées par nos politiques.
Publié le 18-11-2021 à 06h49
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"Plus la crise avance, plus la dimension psychologique gagne en importance", soutient Olivier Luminet. Le professeur n'a pourtant pas l'impression que les psychologues soient assez écoutés par les instances décisionnelles.
La Belgique fait face à une quatrième vague, le monde politique se réunissait lors d’un énième Comité de concertation, et ce malgré des efforts consentis par la population depuis bientôt deux ans. Les Belges sont-ils encore prêts à suivre les mesures ?
Durant les travaux du dernier baromètre, nous avons exploré la question de l’adhésion à certaines mesures et à leur renforcement. Il ressort de nos enquêtes que les gens sont prêts à de nouveaux efforts mais seulement sur certains types de mesure. Nous observons une distinction entre les mesures qui ont peu d’impact sur la vie sociale des citoyens, et celles qui vont modifier les relations humaines. En ce sens, la population semble prête à respecter des mesures telles que la ventilation, puisqu’elle ne change pas vraiment la vie sociale. À l’inverse, le retour à la bulle ou les réductions d’invités dans la sphère familiale ne trouveraient aucun soutien.
Les experts évoquaient la mise en place du contrôle du CST dans les événements privés, ou le recours à des autotests pour les vaccinés. Ce type de mesures, qui donnent la possibilité à la population de restreindre l’accès à certains événements, sont-elles viables ?
Nous avions posé la question à propos des autotests rapides à l’entrée des événements privés. Chez les personnes non vaccinées, l’accueil de ce genre de dispositif est très négatif de façon presque unanime. Chez les personnes vaccinées, le sujet divise. Une moitié serait prête à jouer le jeu et à ne pas participer à l’événement si le résultat est positif. L’autre moitié en revanche reste rétive à s’y soumettre. Concernant le recours au CST, il faut faire attention à éviter une approche binaire entre les "bons vaccinés" et les "mauvais non-vaccinés". Selon nos dernières enquêtes, 95 % des non-vaccinés sont opposés au CST, peu importe le secteur. Chez les vaccinés, la réponse est plus partagée. Le recours au CST est mieux reçu pour certains types d’activités, comme le cinéma, les théâtres ou même des événements privés à l’instar des mariages. Par contre, on remarque une opposition lorsqu’il s’agit de l’école ou du travail.
Restreindre l’accès à certains événements aux seuls vaccinés afin de motiver les récalcitrants est une démarche crédible ?
Les informations autour de la vaccination circulent depuis plusieurs mois. On peut toujours espérer convaincre une partie des personnes qui ne sont pas vaccinées, mais vu la polarisation de la population, il vaut mieux rester sur le principe du CST car il laisse encore une liberté aux gens qui refusent toujours la vaccination. Parmi eux, il n’y a pas que des complotistes. Certains sont prudents ou ressentent encore certaines craintes. Leur interdire l’accès total à certaines activités me semble très risqué. Garantir l’autonomie de décision des personnes est essentiel.
Depuis plusieurs jours, le monde politique pousse le débat autour de la vaccination obligatoire. La population belge est-elle prête à le mener ?
Lancer un tel débat en pleine urgence épidémiologique ne me semble pas une bonne idée. Il faudrait au contraire le mener de façon sereine. En menant ce débat maintenant, on focalise l’attention sur un seul sujet, qui plus est un sujet ultra-polarisant. À mon sens, cela s’avère problématique car on court le risque de donner aux vaccinés l’impression d’être invincibles et aux non-vaccinés d’être des moutons noirs. Le monde politique semble parfois oublier qu’en mettant la pression sur un seul aspect, et ici une seule catégorie de personnes, on court le risque de démotiver la population. Il y a pourtant une multitude d’actions à mener.
La situation sanitaire belge est pire que dans d’autres pays européens qui présentent un taux de vaccination inférieur au nôtre. Les Belges sont-ils plus rétifs à suivre les règles sanitaires ?
Cela est difficile à dire car les causes qui peuvent expliquer la situation sanitaire sont multiples. Le comportement de la population intervient mais il faut aussi tenir compte du climat, des politiques mises en place, etc. Par contre, un point important à analyser concerne la constance et la prévisibilité des mesures. Cela fait défaut aujourd’hui et conduit à démotiver la population. Si on veut garder l’adhésion de la population, il aurait fallu présenter un plan hiver qui guiderait l’action durant cette saison particulièrement difficile.