"Le Covid a volé mon accouchement": comment les femmes ont-elles donné naissance en pleine crise sanitaire?
Comment les femmes ont-elles vécu leur grossesse, leur accouchement et la période du post-partum depuis la crise sanitaire ? La Plateforme citoyenne pour une naissance respectée a mené une enquête en ligne sur le sujet. Plus de 4200 femmes y ont répondu.
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Publié le 19-11-2021 à 21h00 - Mis à jour le 20-11-2021 à 11h44
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"Le Covid a volé mon accouchement." Une phrase qui témoigne d'une réalité pas toujours rose pour les femmes qui ont accouché en Belgique francophone pendant les plus pénibles périodes de la crise sanitaire. Elle illustre pourtant, comme bien d'autres, le vécu de ces mamans qui se sont livrées dans le cadre d'une enquête réalisée par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée. Ce collectif, qui "rappelle le droit des femmes à choisir les circonstances de leur accouchement dans l'intérêt des nouveau-nés, des mères et de leur partenaire", a dévoilé, vendredi soir, les résultats d'une recherche sur le vécu des femmes lors de leur suivi de grossesse, de leur accouchement et de la période du post-partum en lien avec le Covid.
1. L’objet et le déroulement de l’étude
Soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, cette étude est basée sur un questionnaire (établi par Anissa Amjahad, une chercheuse indépendante) mis en ligne entre le 4 juin et le 18 juillet 2021 et diffusé via des institutions partenaires, des personnalités dans le domaine de la périnatalité, la presse, les réseaux sociaux… Répondant aux critères de l'étude (avoir plus de 18 ans et avoir accouché en Wallonie ou à Bruxelles entre le 1er janvier 2019 et le 18 juillet 2021), 4 226 femmes ont participé à cette enquête. Parmi elles, 2 606 ont témoigné de leur vécu par l'ajout d'un texte. "Ces chiffres-clés montrent que les femmes ont besoin de témoigner de leurs expériences. Cette enquête a permis de libérer la parole et d'ouvrir un espace qui aujourd'hui n'existe pas", commentent les auteurs de l'étude.
2. Les peurs et angoisses pendant et après la grossesse
Au vu des résultats, le moins que l’on puisse dire est que le Covid a eu des impacts à plusieurs niveaux dans ce domaine aussi. Pour ce qui est des peurs et des angoisses au cours de la grossesse, l’étude montre qu’elles étaient plus intenses et présentes chez les femmes ayant accouché après le 18 mars 2020, correspondant au premier confinement : 87,6 % des femmes disent avoir ressenti des peurs à cette période. Peur de quoi ? De l’absence du co-parent au cours de l’accouchement (41 %), d’être séparée de leur bébé (32 %), d’avoir une césarienne (27,7 %), du non-respect du projet de naissance (19 %), de ne pas avoir accès à la péridurale (12,7 %). Au premier déconfinement, elles étaient encore 83,3 % à éprouver des peurs. Si la crainte de la séparation avec le co-parent était la plus forte, dans les faits, elle a été très peu pratiquée, note l’étude.
3. La durée du séjour à la maternité réduite
Est-ce la peur d’être contaminée en milieu hospitalier, l’ambiance pesante dans les hôpitaux, la séparation du cercle familial en raison des interdictions de visite des proches à la maternité, toujours est-il que la durée du séjour en clinique a été réduite pour toutes les périodes Covid. On a en outre observé une volonté de changer de lieu d’accouchement au cours des périodes post-Covid. Davantage de femmes ont en effet choisi d’accoucher à domicile accompagnées d’une sage-femme.
4. Les violences obstétricales et gynécologiques, une réalité
"Un premier constat sans appel : des actes délétères, tels que l'expression abdominale (consistant à appliquer une pression sur le fond de l'utérus pendant les efforts expulsifs afin d'accélérer la sortie du bébé), les actes à vif (pratiques sans anesthésie ou avec une anesthésie inefficace) et le point du mari (le fait de recoudre une épisiotomie plus serré, pour soi-disant augmenter le plaisir du mari lors des rapports sexuels), continuent à être pratiqués", déplore la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée. Parmi les répondantes, une femme sur cinq en a été victime ; un chiffre qui monte à une femme sur trois si cette dernière a une couleur de peau pouvant conduire à une discrimination. En plus de ces violences physiques, ressenties par près de 3 % des répondantes, une femme sur quatre rapporte avoir vécu de la violence psychologique au cours de son accouchement (verbale pour 6 %).
5. Les raisons (pas toujours bonnes) du déclenchement
Nombreuses sont les femmes chez lesquelles l'accouchement a été provoqué. Les raisons avancées pour ce déclenchement sont dites "médicales" dans 50 % des cas, dont le poids présumé élevé du bébé (12 %). "Or cet élément n'est pas une recommandation basée sur les preuves (Evidence-based medicine) pour un déclenchement", peut-on lire dans l'étude. Pour 40 % le déclenchement a eu lieu en raison du dépassement du terme, pour 6 % en raison des convenances personnelles des parents et pour 4 % en raison des convenances du gynécologue ou du service. Par ailleurs, plus d'une femme sur trois avait une perfusion afin d'accélérer son travail. "L'usage de l'ocytocine est banalisé alors qu'une étude de l'Inserm montre que son utilisation pendant le travail augmente le risque d'hémorragie grave du post-partum (et ceci proportionnellement à la dose reçue", soulignent encore les auteurs.
6. Les écarts importants entre les pratiques des différents hôpitaux
À l'analyse des résultats de cette étude, une chose saute aux yeux : la grande disparité des pratiques entre les différentes maternités. "Sur base des données triées par maternité, nous pouvons constater une culture institutionnelle plus ou moins bienveillante vis-à-vis des femmes", fait remarquer la Plateforme citoyenne.
7. Les recommandations scientifiques sont parfois peu appliquées
Alors qu'il est aujourd'hui prouvé que l'interdiction de boire et manger ne relève d'aucun fondement scientifique - les techniques actuelles d'anesthésie ne nécessitant plus que la femme soit à jeun -, certaines maternités persistent à maintenir ces interdits, alors que d'autres les ont au contraire levés. Même disparité entre hôpitaux pour ce qui concerne certains actes médicaux pratiqués de manière routinière et/ou en surnombre. Ainsi l'épisiotomie pratiquée dans 7 % des cas dans une maternité et 37 % dans une autre. Ou l'acte à vif qui varie de 3,4 à 19 %, selon le service. De même pour les violences psychologiques, avec un écart allant de 7 à 37 %. Ce qui fait dire aux auteurs de l'étude que "certaines maternités se retrouvent avec des taux extrêmes de maltraitance sur plusieurs aspects, quand d'autres sont exemplaires sur de nombreux aspects".
8. La place des femmes n’est pas assez centrale
Si l’on prend en compte les césariennes, les épisiotomies et l’utilisation d’instruments en cours d’accouchement, 2 037 actes médicaux ont été posés dans l’échantillonnage portant sur 4 226 femmes. Dans deux cas sur trois (61,6 %), l’acte posé n’est pas expliqué. Le consentement n’est pas demandé dans près de la moitié (49,4 %) des actes posés.
9. Quelles sont les conclusions et les recommandations ?
Suite à cette première étude, la Plateforme recommande d’assurer une meilleure transparence des données et informations aux patientes, de prendre mieux en charge les conséquences qu’une crise sanitaire a sur l’accouchement, d’établir un observatoire de la naissance, de garantir que les femmes aient des choix, de repenser le cursus de formation des professionnels notamment en intégrant la physiologie de l’accouchement comme angle fondamental, sans oublier, bien sûr, d’encourager la bienveillance obstétricale.
La maternité en période Covid: les chiffres
- 3,5 % privées de visite: Lors de séjours du bébé en néonatologie, 3,5 % des femmes concernées et 4,5 % des co-parents dans ce cas n'ont pas pu rendre visite au bébé en raison du Covid. Elles sont 41 % à avoir eu peur que le co-parent soit absent lors de l'accouchement. Et 32 % à avoir eu peur d'être séparées de leur bébé.
- 6 % visites de l'ONE: Alors qu'avant le confinement près d'une femme sur deux (45,2 %) recevait la visite d'une personne de l'Office de la naissance et de l'enfance (ONE), ce taux a chuté à 6 % pour les femmes ayant accouché lors du premier confinement. Ce qui n'a pas empêché les femmes privées de cette visite d'organiser la venue d'une sage-femme ou d'un autre professionnel de la santé.
- 95 % inconscientes des violences: Contre toute attente, 95 % des femmes qui ont subi des actes délétères n'ont pas conscience d'avoir subi des violences physiques. Or, d'après un indicateur global de violences obstétricales, 40 % des répondantes ont subi au moins une des six violences physiques et psychologiques. À savoir : violence physique, verbale, psychologique, point du mari, expression abdominale, acte à vif.
- 42,5 % ont choisi leur position: Dans les maternités hospitalières, 42,5 % des femmes ont pu choisir leur position lors de l'accouchement contre 94 % qui ont pu le faire en dehors de l'hôpital.
- 40 % ont pu changer de lieu: Seulement quatre femmes sur dix qui ont souhaité changer de lieu pour le domicile avec une sage-femme ont pu voir leur souhait se réaliser.
- 54 % estiment avoir été respectées: Dans le cadre du respect du projet de naissance, seule une femme sur deux (54,4 %) qui ont accouché en maternité estime que les professionnels l'ont toujours respectée, alors que c'est le cas pour 88,7 % dans les maisons de naissance ou les gîtes intra-hospitaliers et pour 92,3 % lors des naissances qui se déroulent à domicile.
Des témoignages percutants
“J’avais peur de ne pas savoir respirer correctement au moment des contractions et des poussées avec un masque obligatoire.”
“Un jour, le papa pouvait venir ; le lendemain, c’était fini. Les règles changeaient tous les jours.”
“Sans péridurale ou calmants, on m’a fait une révision utérine à vif. Je me suis sentie violentée.”
“Quand ils m’ont recousue, j’ai signalé avoir très mal et on m’a répondu ‘occupez-vous de votre bébé, ça vous changera les idées’.”
“Sentiment persistant d’un rendez-vous manqué, surmédicalisé, sans plaisir, un gâchis alors que rencontrer et accueillir son enfant devrait être un moment tendre et harmonieux.”
“Si vous ne vous calmez pas, je vous fais une (anesthésie) générale et vous ne verrez pas votre bébé aujourd’hui.”
“La péridurale m’a été posée de manière très brutale ; on m’a pliée en deux, une sage-femme couchée sur mon dos.”
“J’ai été mise sur le dos d’autorité alors que j’étais plus confortable en latéral.”