"Les politiques ne sont pas à l'origine des tensions entre vaccinés et non vaccinés, mais ils les rendent plus visibles"
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Publié le 22-11-2021 à 16h55 - Mis à jour le 23-11-2021 à 13h38
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Nouvelle vague, nouvelles mesures, mais la vaccination suit peu. Face à la recrudescence de l'épidémie de coronavirus en Belgique, le gouvernement a renforcé les mesures sanitaires la semaine dernière, en imposant davantage le port du masque, en obligeant au télétravail et en forçant la vaccination pour les soignants. En réaction, les soignants vont enclencher la grève, et des citoyens protestent, avec violence, pour certains. Les mesures semblent de moins en moins susciter l'adhésion. La stratégie du gouvernement est-elle toujours efficace ? Réponses avec Vincent Lorant, professeur en sociologie médicale et en politique de santé à l'Institut de recherche santé et société de l'UCLouvain.
Les politiques opposent de plus en plus les vaccinés aux non vaccinés. On pense aux propos de Frank Vandenbroucke sur la colère des vaccinés et d'Alexander De Croo sur "l'épidémie de non vaccinés". Sont-ils à l'origine des tensions qui grandissent dans notre société ?
Non, ils ne sont pas à l'origine des tensions, ils les rendent plus visibles. Les tensions existaient déjà puisque nos statuts vaccinaux sont liés les uns aux autres de fait : notre statut vaccinal a un impact sur la santé des autres. Quand on se vaccine, c'est pour se protéger individuellement mais aussi pour protéger les autres. La vaccination est un enjeu collectif, on sera protégé quand tout le monde sera vacciné.
Quand on voit la manifestation de dimanche et la grève des soignants, de tels propos et les nouvelles mesures ne sont-ils pas contre-productifs ? Les politiques ne feraient-ils pas mieux d'apaiser les tensions ?
Ce que fait le politique, c'est prendre cause pour un des deux groupes, ce pourquoi une polarisation sociale apparaît. Le gouvernement ne donne plus l'image d'une équipe de 11 millions. Mais la vaccination, c'est un bien collectif donc c'est le rôle des pouvoirs publics d'intervenir. Avec ces propos, ils ne visent pas à attiser les tensions, ils veulent créer un environnement paternaliste libertarien par des incitants à la vaccination et des coûts à la non vaccination. C'est-à-dire laisser les individus libres de leur choix mais créer un environnement pour les mener à la vaccination. Les non vaccinés ne sont pas tous des durs à cuire. Parmi eux, les 'anti-vax' purs et durs sont juste une minorité, il y en a moins de 10 %. Il y a par contre une majorité d’hésitants. Ce sont certaines communautés où il y a une défiance envers les pouvoirs publics.
Des mesures comme le CST sont-elles vraiment utiles ?
Le CST est une stratégie qui vise à créer des gagnants et des perdants. C'est une forme de contrat social, tout comme vous avez besoin d'un permis pour conduire. Mais qui n'est pas forcément facile à faire adhérer. Il a un effet modéré, et il peut aussi avoir un effet polarisant. Les plus réfractaires vont au contraire davantage résister, et la capacité des groupes à être d'accord va diminuer.
Comment mieux inciter à la vaccination ?
Une alternative à la situation actuelle, c'est créer des espaces de débats entre les pour et les anti vaccination, et être plus à l'écoute de ceux qui sont contre. La vaccination est plus élevée en Flandre qu'à Bruxelles, parmi le corps médical, elle est plus élevée chez les médecins que chez les aides-soignants, cela relève de caractéristiques sociales, qu'il faut comprendre. Il faudrait peut-être davantage d'incitants positifs pour créer davantage d'intérêt à se faire vacciner. Les dernières mesures s'appliquent à tout le monde, vaccinés ou non. Prenons le télétravail, par exemple : ceux qui ont fait l'effort de se faire vacciner le subissent aussi, il n'y a donc pas plus d'intérêt à être vacciné.
En ce qui concerne les conspirationnistes, ils ont de vraies revendications. Ils ont un raisonnement qui ne tient pas debout, certes, mais ils s'appuient sur un vrai raisonnement. Ce n'est pas une mauvaise chose de les écouter, pour comprendre ce qu'ils veulent.
Faut-il donc arrêter de stigmatiser les non vaccinés ?
Il faut quatre critères pour une stigmatisation : la labellisation, le stéréotypage, la privation de droits, et la séparation du reste de la société. C'est vrai que pas mal d’éléments sont réunis. Mais finalement c'est une stratégie que l'on retrouve dans d'autres domaines de la santé publique, sans que ça pose problème. C'est le cas des fumeurs par exemple. Le coronavirus, c'est une guerre qui se gagne sur le long terme et avec le respect des outils légaux.
Donc la vaccination obligatoire pour tous ne serait pas une solution, contrairement à ce que beaucoup de partis prônent ?
Non, la vaccination obligatoire pour tous n'est pas implémentable. Ce n'est pas faisable en démocratie.
Pour celle des soignants, le gouvernement a-t-il raison ?
Il a totalement raison. Un professionnel de santé ne doit pas nuire à ses patients, c'est un principe déontologique et éthique. D'ailleurs le manque d'adhésion à la vaccination n'apparaît pas dans toutes les professions, c'est surtout le cas chez les aides-soignants, dans les maisons de repos à Bruxelles. Il faut donc combiner les deux stratégies : la formation, la communication avec l'obligation et les sanctions. Mais ce n'est pas encore fait puisque les sanctions (suspension du contrat de travail, ndlr)ne seront effectives qu'en janvier. Et, pour que ça fonctionne, le gouvernement doit pouvoir être crédible dans sa capacité à mettre en œuvre les sanctions. Or avec le manque de personnel, je me demande si cela va tenir.
La manifestation de dimanche illustre-t-elle la division actuelle de la société ?
La pandémie de coronavirus accentue les inégalités éco-sociales, intergénérationnelles, et de santé qui existaient. La qualité de vie des jeunes est sacrifiée pour le bien-être des personnes âgées, le bien-être des personnes en bonne santé est redistribué vers le bien être des personnes en mauvaise santé, les conflits socio-économiques sont accentués... Pour moi, le plus gros fossé qui se creuse, c'est la solidarité intergénérationnelle. Mais les conflits socio-économiques sont aussi accentués. Les plus riches qui peuvent faire du télétravail ont économisé. Résultat : le niveau d'épargne est monté en flèche. A contrario, les précaires et indépendants, qui ne peuvent faire du télétravail et ont dû stopper leur activité pour certains, frôlent maintenant la ligne de pauvreté.
Est-on à l'aube d'une crise sociale d'ampleur ?
C'est difficile de savoir comment cela va aboutir. Un mouvement doit être organisé. Or parmi les contestataires, il y a des groupes proches de la gauche en faveur du rôle de l'Etat dans cette crise, et d'autres groupes de droite méfiants vis-à-vis des pouvoirs publics. En Belgique, certains partis pourraient profiter de cela, mais il faudra voir dans les mois à venir. Pour l'instant ce ne sont que des soubresauts.
La colère contre la vaccination et le CST ne sont-ils pas un prétexte pour exprimer son ras-le-bol du politique ?
Il faudrait voir qui porte les enjeux du mouvement et si c'est lié à des revendications plus larges. Il y a plusieurs groupes, avec plusieurs enjeux. On ne connaît pas encore tellement le visage des protestataires. La première chose à faire, c'est comprendre.