"Les médias sociaux exacerbent la colère de la population envers les mesures Covid"
Des groupuscules extrémistes récupèrent les revendications de la population concernant le Covid. Manuel Abramowicz, spécialiste des mouvements d’extrême droite, appelle toutefois à la nuance quant au profil des manifestants.
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Publié le 23-11-2021 à 21h23 - Mis à jour le 24-11-2021 à 08h28
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La manifestation de dimanche à Bruxelles qui a rassemblé 35 000 personnes pour s’opposer aux mesures sanitaires n’en finit pas de faire réagir. Si l’adhésion faiblissante de la population aux contraintes imposées par les autorités peut expliquer les raisons d’une telle mobilisation, le succès du rassemblement (qui s’est soldé par des actes de vandalisme) suscite encore des interrogations. Surtout au sujet de l’identité des groupes et des personnes qui sont à la base de l’événement.
Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?
Si les logos à la base de la manifestation étaient nombreux, c'est bien le mouvement " Ensemble pour la Liberté " (Samen voor Vrijheid) qui était à la manœuvre. Divers porte-parole sont présentés sur sa page Facebook. C'est le cas de Ezra Armakye (voir portrait), peu connu du grand public avant ce dimanche 21 novembre.
C’est aussi le cas de l’avocat Michael Verstraeten. L’homme est loin d’être un novice dans l’organisation de rassemblements anti-Covid. Il est notamment derrière le site "Viruswaanzin", littéralement "folie virale". C’est sur ce site que des menaces de mort avaient été proférées à l’égard du virologue Marc Van Ranst.
Autre nom bien connu et également listé comme un des porte-parole de "Ensemble pour la Liberté" : le Dr David Bouillon, Montois réputé pour ses positions contre la vaccination.
Pour échanger et partager leur colère, ces différents groupes se retrouvent et se fédèrent sur les médias sociaux. Facebook reste le principal lieu de rencontre, mais les initiateurs de ces groupes d’échanges n’hésitent pas à appeler leurs sympathisants à les rejoindre sur des messageries cryptées pour échapper aux menaces de censure de Facebook. Parmi ces canaux, Signal et Telegram.
"Manifester ne fait pas de vous un facho"
Pour Manuel Abramowicz, spécialiste des mouvements d'extrême-droite à RésistanceS, l'influence et la force des médias sociaux expliquent le succès de tels rassemblements noyautés par les extrêmes. Mais l'analyste appelle à la nuance quant aux raisons qui poussent les gens à dénoncer les mesures sanitaires. Et de rappeler que "manifester ne fait pas de vous un facho".
"Ne négligeons pas le fait qu’il y a une récupération très importante de la part des mouvements d’extrême droite et, dans une moindre mesure, des mouvements d’extrême gauche. D’ailleurs, dénoncer les mesures Covid, cela n’a pas toujours été leur cheval de bataille. Au début de la crise, Filip De Winter, du Belang, distribuait des masques dans sa ville. À cette époque, la crise touchait tout le monde, c’était donc très impopulaire de ne pas adhérer aux mesures. Puis, en août 2020, il y a eu un basculement avec des manifestations d’envergure organisées en Allemagne et aux Pays-Bas. Rien de tel n’était organisé en Belgique, mais les groupuscules d’ultra droite ont senti l’usure gagner la population et en ont profité pour surfer sur cette vague. Et ils continuent aujourd’hui."
C'est l'impopularité grandissante des mesures sanitaires, couplée à la fatigue de la population, qui va donc susciter l'intérêt des partis d'extrême droite. Le tout sera attisé par l'usage des médias sociaux. "Les partis d'extrême droite se sont toujours montrés présents virtuellement, surtout quand il s'agit d'être proche des préoccupations de la population. Récupérer le rejet des mesures, c'est donc du pain bénit."
Le café du commerce supplanté par Facebook
Rien de tel, donc, que les réseaux sociaux pour pénétrer les ménages, surtout dans une période où les contacts virtuels sont devenus plus fréquents avec le Covid. "Dans le contexte actuel, les médias sociaux permettent surtout d'exacerber la colère envers les mesures Covid. On peut même dire que le café du commerce a été supplanté par Facebook et autres. Mais n'oublions jamais que si une partie de la population est sensibilisée aux messages diffusés par ces groupuscules, c'est surtout parce qu'il y a de la fatigue, qui s'accumule avec le prolongement de la crise socio-sanitaire. Au point de ne plus porter attention aux logos des organisateurs, aussi obscurs soient-ils."
Si Manuel Abramowicz insiste sur l'importance de rester nuancé au sujet des manifestants anti-Covid, c'est parce que le rassemblement de ce dimanche 21 novembre était, selon lui, particulièrement hétéroclite. "On pouvait croiser une dame voilée, un punk, un supporter de foot et un sympathisant d'extrême droite. Les croiser dans le même rassemblement, mais sans pour autant qu'ils soient ensemble. C'est tout le paradoxe de cette manifestation. Si elle a réuni 35 000 personnes, cela ne signifie pas qu'il y a eu 35 000 racistes ou complotistes, mais bien qu'il y a une usure généralisée qui prend de plus en plus d'ampleur. Et quand, sur Facebook ou sur WhatsApp, on reçoit un appel à aller exprimer sa colère dans les rues de la capitale, personne ne dit non. Et puis, parmi les gens qui se sont exprimés durant la manif, il y avait… Francis Lalanne à côté d'un dirigeant catholique traditionaliste. Je suis certain que peu, au sein de la population, ont conscience du virage idéologique de cet homme qui était pourtant un chanteur qui a été jadis au sommet du show-biz. La seule chose qui était ressentie, c'est qu'il y a un ras-le-bol, et qu'il semble concerner énormément de monde."