Au centre de tracing bruxellois, "on remarque une différence notable par rapport aux précédentes vagues"
La recrudescence de l'épidémie que connait actuellement notre pays impacte directement les services de tracing. Leur charge de travail a considérablement augmenté. Au call-center bruxellois, on comptabilise six fois plus d'appels qu'en septembre. Mais cela n'empêche pas les opérateurs de mener à bien leur tâche d'information et de prévention. Entre situations compliquées, incompréhensions et demandes cocasses, le travail du service tracing n'est pas de tout repos... Dans le cadre de son dossier "Dans le secret des lieux", LaLibre.be vous emmène à la découverte de ce call-center pas comme les autres.
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Publié le 28-11-2021 à 11h56 - Mis à jour le 17-01-2022 à 21h10
Alors que débute l'heure de table, le quartier de la gare du Nord à Bruxelles semble plutôt inanimé. Quelques personnes se pressent tout de même pour aller chercher leur déjeuner, mais le retour du télétravail obligatoire impacte visiblement la fréquentation de la rue où se succèdent les immeubles de bureaux. Dans la tour Engie, le hall d'entrée est désert. Seul un barista installé à l'entrée voit défiler de temps à autre un client à la recherche de caféine pour attaquer le reste de sa journée. Mais dix étages plus haut, au centre d'appel bruxellois Covid de la Cocom (géré par la société N-Allo), l'ambiance est bien différente. Quelque 160 personnes, armées de casques téléphoniques et installées à des tables blanches sur lesquelles trônent des ordinateurs, passent des coups de fil dans un certain brouhaha. Les bureaux s'étalent sur trois étages du bâtiment.
Si les locaux accueillaient autrefois le call-center d'Engie, on n'y parle désormais plus que de Covid sept jours sur sept, de 9 heures à 20 heures la semaine et de 9 heures à 18h30 le week-end. Comptabilisant au total 480 travailleurs (dont deux tiers en télétravail), le service s'occupe du contact tracing, de la prise de rendez-vous pour la vaccination ou encore des questions relatives au certificat Covid européen.

Comment se passe un appel ?
Au fond de l'open space aux grandes baies vitrées, se trouve le bureau de Nelly, l'employée "star" du call-center. Après plus d'un an à "tracer" les contacts des Belges, la jeune femme est devenue experte dans l'art de délier les langues. Nombre de ses appels sont concluants. Alors qu'elle s'apprête à contacter un jeune Bruxellois atteint du Covid, Nelly s'empare de son bic et de son bloc-notes, même si c'est sur son PC qu'elle encode la majeure partie des informations. "Je prends toujours de quoi écrire, on ne sait jamais", nous confie-t-elle avant de débuter la discussion. D'un ton posé et avenant, elle détaille les raisons de son appel à la personne positive au Covid au bout du fil. "Avez-vous de la fièvre ? Est-ce que vous toussez ? Avez-vous perdu l'odorat ?", s'enquière celle qui a "voulu apporter sa pierre à l'édifice" en venant travailler au tracing. Elle explique ensuite la procédure que le malade devra suivre, à savoir un isolement de 10 jours minimum. "Si au terme de cette période, vous n'avez plus de symptôme, vous pouvez reprendre le cours de votre vie", ajoute-t-elle. "Si ce n'est pas le cas, vous devez prendre contact avec votre médecin généraliste." Après cette mise au point, Nelly passe en revue les dernières activités du jeune homme. L'objectif est de répertorier le nom et le numéro de téléphone de chaque contact qu'il pourrait avoir contaminé, ainsi que les lieux qu'il a fréquentés.

La conversation dure plus de vingt minutes. "Cela prend parfois une heure", signale Nelly après avoir raccroché. "L'appel à des personnes infectées au Covid est celui qui prend le plus de temps, car il faut récolter beaucoup d'informations." Les appels à des cas contacts, à des personnes revenues de zone rouge ou à des entreprises ayant été fréquentées par une personne malade sont moins chronophages.
Pour aiguiller les opérateurs, un "script" correspondant à chaque cas de figure est mis à leur disposition. Ces plans de discussion reprennent les informations que chaque appelant doit transmettre ainsi que les données qu'il doit recueillir en fonction de la situation (cas contact, personne contaminée, retour de zone rouge...). "Chaque opérateur a suivi deux jours de formation au préalable", précise François-Xavier Dohet, Covid Bruxelles Project Manager. "On leur explique comment tenir la conversation. On leur détaille également l'ensemble du dispositif, en présentant les différents scripts." Il existe certaines procédures particulières qui, elles, demandent des formations supplémentaires. "Pour ce qui est des écoles par exemple, la démarche est différente. On ne la confie qu'à des opérateurs plus expérimentés", continue le Project Manager.

Une équipe à l'image de la diversité bruxelloise
Toutefois, le responsable confie qu'il y a beaucoup de mouvement au sein des équipes du call-center Covid. "Peu de gens qui sont entrés en fonction au début de la crise du coronavirus sont encore là", admet-il. Ainsi, de nombreuses personnes s'étant retrouvées sans emploi en mars 2020 ont œuvré au sein du service de contact tracing. "On a, par exemple, accueilli de nombreux restaurateurs", raconte François-Xavier Dohet. "Mais ils sont partis une fois que la vie 'normale' a pu reprendre."
Se mélangent donc au sein des locaux de la tour Engie des personnes d'âge, de milieu et de formation très différentes. "Nous ne cherchons pas un profil particulier", poursuit le manager, qui souligne qu'il s'agit en majorité d'intérimaires. L'homme se réjouit même d'avoir réussi à constituer une équipe qui reflète parfaitement la diversité de la population bruxelloise. "Nos agents parlent une trentaine de langues", se félicite-t-il. "Ici, on entend du turc, du roumain, de l'arabe et même des dialectes arabes. Cela permet de passer outre la barrière de la langue et de pouvoir informer au mieux des personnes parfois isolées du fait qu'elles ne parlent pas le français ou le néerlandais."
Mais si le profil des opérateurs est varié, il reste toutefois "une qualité indispensable" que chacun d'eux doit avoir pour travailler dans ces bureaux: l'empathie. "Il faut qu'ils aient le contact facile avec les citoyens", précise François-Xavier Dohet. "Depuis le début de la crise sanitaire, les opérateurs ont été amenés à discuter avec des gens inquiets vivant des situations parfois très compliquées."

Aujourd'hui, la crainte n'est plus la même
"Lors des précédentes vagues, on ressentait la peur au bout du fil", confirme Zoé, une étudiante en psychologie sociale travaillant au même étage que Nelly. "Les gens étaient plutôt contents d'avoir quelqu'un à qui parler et poser leurs questions." Aujourd'hui, la crainte n'est plus la même à l'égard du virus qui occupe nos vies depuis presque deux ans, mais les règles qui évoluent constamment restent parfois méconnues. "Il est important de tout réexpliquer clairement à la personne qui a été testée positive", acte la jeune femme, qui ne voit pas de grand changement à ce niveau-là par rapport aux pics épidémiques antérieurs.
Elle constate par contre une "différence notable par rapport aux vagues précédentes" dans le comportement des répondants. "Les citoyens en ont marre et sont donc plus à fleur de peau", estime Zoé. "Cela concerne tant les vaccinés, que les non-vaccinés. Mais beaucoup comprennent que le virus reste problématique et qu'une quarantaine doit être respectée si on a été en contact avec une personne contaminée."

"Un travail de séduction"
Si 90% des appels se passent sans encombre, 9% des personnes restent injoignables. Après 48 heures sans réponse, le centre confie le dossier aux agents de quartier. Le dernier pourcentage concerne les personnes refusant de collaborer. Pour Zoé, il s'agit des "cas les plus compliqués". "C'est très dur de discuter avec une personne convaincue que le Covid n'existe pas", explique-t-elle. "C'est également difficile, quand on entend que la personne ment. Par exemple, quand elle dit qu'elle vit seule et qu'on distingue clairement le bruit de sa famille derrière elle."
Mais dans ces cas-là, il s'agit avant tout de garder son calme, selon l'étudiante. "Je trouve que l'on fait un peu un travail de séduction, il faut convaincre les personnes au bout du fil et, pour cela, il faut les comprendre", ajoute-t-elle. L'étudiante se souvient ainsi d'un appel au cours duquel un jeune homme refusait de se mettre en quarantaine. Après de longues minutes de discussions, elle a appris que, travaillant au noir, il voulait à tout prix continuer l'exercice de ses fonctions. Elle a finalement réussi à lui faire comprendre que cela était bien trop dangereux.
Zoé s'est plus d'une fois retrouvée dans des situations cocasses. "Alors que j'expliquais à un homme positif au Covid les mesures de quarantaine et les gestes barrières, il m'a stoppée net afin de savoir s'il devait porter un masque pour faire l'amour à sa femme, également positive au Covid", se souvient-elle, le sourire aux lèvres. Plus récemment encore, elle s'est retrouvée plus d'une heure au téléphone avec une dame en pleurs, craignant que son perroquet ne soit contaminé à son tour: "Elle était vraiment paniquée !"

La quatrième vague n'a pas (encore?) submergé le service de tracing bruxellois
Si les services de tracing wallons et flamands se retrouvent la tête sous l'eau en cette fin de mois de novembre, la situation est tout autre dans la capitale. En effet, les effectifs ont été renforcés dès septembre. "Il y a eu une mini-vague à Bruxelles, donc on a décidé d'anticiper les tendances épidémiologiques et les retours de vacances et d'engager des opérateurs au début de l'année scolaire", détaille François-Xavier Dohet.
Le call-center a ainsi recruté 180 personnes depuis la rentrée. Ce qui permet au service de tracing de traiter notamment les plus de 1.500 appels quotidiens à des personnes contaminées. "C'est plus de six fois ce qu'on a connu en septembre", souligne le project manager. Chaque Belge positif donne en moyenne le nom de trois contacts que les opérateurs doivent à leur tour appeler. Pourtant, seulement 880 "cas contacts" sont avertis chaque jour. "Cela s'explique par des aspects techniques", évoque François-Xavier Dohet. "Par exemple, lorsqu'il s'agit de cohabitants, on n'ouvre pas de nouveaux dossiers, on les gère au cours du même appel."
Malgré la situation qui ne cesse de se détériorer et l'approche des fêtes de fin d'année, le manager ne s'inquiète pas outre mesure pour la gestion du tracing à l'échelle bruxelloise. "Nous sommes prêts", conclut-il, confiant.
