Le Covid Safe Ticket, un échec ?
En Belgique, posséder un Covid Safe Ticket est nécessaire pour participer à de nombreuses activités (culture, Horeca, sport). Face au rebond épidémique, de plus en plus de voix s’élèvent et s’interrogent sur la pertinence de la mesure, remettant parfois en doute son efficacité. Le député Ecolo Laurent Heyvaert et le virologue Emmanuel André ont récemment affirmé que l'outil était inefficace. Est-ce réellement le cas ?
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Publié le 29-11-2021 à 12h24 - Mis à jour le 01-12-2021 à 20h11
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Le dimanche 21 novembre, près de 35.000 personnes se sont rassemblées à Bruxelles pour manifester, entre autres, contre l’utilisation du Covid Safe Ticket (CST). Elles dénonçaient notamment la mise en place d’un système liberticide qui clive la société, jugeant qu’il ne constitue pas une solution structurelle à la saturation des soins de santé. Pour Laurent Heyvaert, député Ecolo wallon ouvertement critique envers la gestion fédérale de la crise, le CST est même jugé inefficace.
"On peut clairement enterrer le Covid Safe Ticket dans son objectif officiel de limitation des contaminations ", a-t-il affirmé mardi dernier à l'occasion d'une séance de la commission Santé du parlement wallon . Contacté par La Source, Laurent Heyvaert n'a pas souhaité s'expliquer au sujet de sa déclaration. Mais d'autres, comme le virologue de la KU Leuven Emmanuel André, estiment également que le CST est passé à côté de ses objectifs. "Il n'a pas tellement augmenté le taux de vaccination, mais il a mené à davantage de contacts entre les gens et donc indirectement aussi à plus de contaminations puisque les deux sont liés",déclarait-il dans le quotidien De Morgen, ce lundi.
Le Covid Safe Ticket a-t-il eu un effet probant dans la lutte contre le coronavirus ou est-il, au contraire, passé à côté de ses objectifs ?
À quoi servait initialement le Covid Safe Ticket ?
Le certificat COVID numérique a initialement été conçu pour sécuriser les voyages internationaux . Très vite, plusieurs pays ont toutefois décidé d'étendre son usage sur leurs territoires, afin d'encadrer la réouverture de certains secteurs et opérer un retour progressif à la vie normale.
En Belgique, le CST est entré en vigueur le 13 août pour les événements en extérieur , avant de voir son usage étendu aux événements en intérieur et aux boîtes de nuit. Depuis le 15 octobre à Bruxelles et le 1er novembre en Wallonie , il est nécessaire pour avoir accès au secteur Horeca, aux salles de sport et aux lieux culturels.
Dans leur avis du 18 août 2021 , les experts du Groupe d'Experts de stratégie de crise pour le Covid-19 (GEMS) estimaient que le CST devait être présenté comme " un instrument de réduction des risques et d'amélioration de la sécurité plutôt que comme une obligation cachée de vaccination ou un laissez-passer pour la liberté ". Pourtant, dès son entrée en vigueur, le CST a également été considéré par plusieurs experts et politiques comme un moyen de convaincre les non-vaccinés de franchir le pas.
Un pass pour convaincre les non-vaccinés ?
En France, l'allocution d'Emmanuel Macron annonçant le 12 juillet l'entrée en vigueur du pass sanitaire avait provoqué un raz-de-marée sur les rendez-vous de vaccination . Le taux de couverture vaccinal du pays avait nettement augmenté à la suite de l'annonce, passant de 53,8% le 12 juillet à 70% le 20 août 2021, selon les données publiées par le ministre de la Santé français . L'effet s'est particulièrement fait sentir au sein des tranches les plus jeunes de la population, comme le montre le graphique ci-dessous.

Cela n'a pas été observé de manière aussi marquée en Belgique. Les situations constatées à Bruxelles et en Wallonie sont toutefois très différentes. À Bruxelles, où la couverture vaccinale des plus de 18 ans a atteint les 72% le 23 novembre, l'introduction du Covid Safe Ticket n'a pas eu l'effet escompté. " L'effet du CST n'est pas très visible à Bruxelles. Il y en a bien un, mais c'est un effet parmi d'autres actions qui sont menées sur le terrain ", reconnaissait Inge Neven, la directrice du service Hygiène de la Cocom , dans une interview accordée le 5 novembre à la DH.
Le porte-parole d'Alain Maron explique quant à lui, dans le même article, qu'un pic avait été enregistré la semaine du 22 octobre au 28 octobre, soit juste après l'entrée en vigueur du CST, avec 10 500 primo-vaccinations. Mais cela n'a pas duré et la tendance est désormais à la baisse, avec environ 6 100 primo-vaccinations la semaine du 15 au 21 novembre.
En Wallonie, c'est une autre histoire. Le CST a eu un réel effet sur le nombre de primo-vaccinations. Les chiffres de l'Aviq montrent que celles-ci sont passées de moins de 5500 la semaine du 13 septembre à près du double la semaine suivante, avec environ 9500 premières doses administrées. Une tendance qui semble se maintenir depuis l'entrée en vigueur de l'usage étendu du CST en Wallonie, le 1er novembre.
Pour Nathan Clumeck, professeur émérite en maladies infectieuses à l'ULB et au CHU Saint-Pierre, l'effet du Covid Safe Ticket sur la vaccination a été limité à cause de la communication des autorités belges. " En France, il a été dit que le pass sanitaire était une incitation à la vaccination, comme en Italie. Chez nous, on ne l'a pas dit clairement ", explique-t-il.
Yves Coppieters attribue quant à lui cette différence au plus haut taux de vaccination de la population belge. "En imposant le pass sanitaire, la France n'a fait que convaincre plus rapidement ceux qui hésitaient ou qui n'avaient pas encore fait la démarche de manière proactive. Chez nous, cette catégorie de la population n'existait déjà plus quand le CST est entré en vigueur : elle était soit déjà vaccinée, soit convaincue de ne pas se faire vacciner ", avance le professeur de santé publique.
Le Covid Safe Ticket permet-il de limiter les contaminations ?
Un CST est octroyé à toute personne vaccinée, testée négative dans les 48 à 72h ou guérie d'une infection au cours des 6 derniers mois. " Ces trois critères garantissent que si vous êtes en présence de personnes qui possèdent un CST, le risque est moins grand de vous infecter ", estime Nathan Clumeck. Selon Sciensano, entre avril et juillet 2021, le risque d'infection (tant symptomatique qu'asymptomatique), a été réduit de 80-90 % chez les personnes entièrement immunisées par rapport aux personnes non vaccinées, quel que soit leur âge.
"Les personnes vaccinées sont moins porteuses du virus que les non-vaccinées et, quand elles sont porteuses du virus, il persiste moins longtemps et est présent dans des quantités qui sont plus faibles. Par définition, quelqu'un qui est vacciné est donc moins contaminant que quelqu'un qui est non-vacciné", résume le professeur, qui considère que le CST est " un outil de protection tout à fait important ".
Dans la pratique, le Covid Safe Ticket se heurte pourtant à plusieurs limites. Le principal problème est que l'effet de la vaccination sur la dissémination du virus a largement été surestimé. " Il a été montré, dans une étude qui a comparé l'efficacité des trois vaccins au cours du temps, que la protection contre les formes graves était très bien conservée. Par contre, la protection contre l'infection s'effondrait au moins d'un facteur 2 ", précise Eric Muraille, maître de recherches FRS-FNRS et immunologiste à l'ULB. "Pour le vaccin Pfizer, on est passé de 70-80% de protection contre l'infection à environ 40%".
Des études montrent également que les personnes vaccinées continuent à transmettre le virus (ici, ici et ici). Plus l'immunité baisse, plus la capacité à transmettre le virus augmente. Or, la majorité des Belges a été vaccinée entre mars et juin, soit il y a plus de 6 mois. "Dire que les gens en possession d'un CST ne peuvent pas propager l'infection est désormais difficile à défendre", résume l'immunologiste.
Selon Yves Coppieters, la circulation du virus influe sur l'efficacité du Covid Safe Ticket. "Quand le virus circule peu, c'est une barrière tout à fait efficace", estime le professeur de santé publique. Par contre, lorsque le virus circule beaucoup, comme c'est le cas actuellement, le CST ne suffit plus et d'autres mesures doivent être ajoutées. "On avait fondamentalement sous-estimé la contagiosité du variant Delta, à la fois chez les vaccinés et chez les non-vaccinés", pointe également l'expert.
Enfin, pour être pleinement efficace, une mesure doit être respectée. Or, de nombreux Belges refusent encore d'utiliser le CST ou ont recours à de faux pass , parfois délivrés par des médecins . Le CST n'a en effet aucune influence sur les non-vaccinés et les personnes qui refusent de l'utiliser et qui peuvent donc continuer à se contaminer entre elles, dans les lieux où le CST n'est pas nécessaire.
Que disent les chiffres ?
Mais que disent les chiffres ? Selon les données de Sciensano, présentées dans le bulletin épidémiologique du 26 novembre, l'introduction du Covid Safe Ticket le 13 août ne coïncide pas avec une hausse significative des contaminations. Par contre, on observe une hausse progressive dans les semaines qui suivent la réouverture des discothèques, où le CST était obligatoire. Au niveau du nombre de tests effectués, aucun effet marqué ne peut être décelé dans un premier temps, hormis une légère augmentation du taux de positivité à la fin du mois d'août. Par contre, l'extension de son usage à Bruxelles et en Wallonie semble coïncider avec une hausse du nombre de tests et du taux de positivité, qui correspond cependant également au changement de saison.

Qu'il s'agisse de l'effet sur la vaccination ou sur les contaminations, il est difficile de quantifier l'efficacité du Covid Safe Ticket. Dans le cas des transmissions, "les études évaluent toujours l'ensemble des mesures et font, sur cette base, des hypothèses pour voir le poids de chaque mesure ", explique Yves Coppieters. "Définir le poids exact d'une mesure sur la chaîne des transmissions, c'est impossible", insiste-t-il. Tous les experts interrogés s'accordent toutefois sur le fait que le pass Covid ne peut, à lui seul, stopper entièrement les contaminations.

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