"Le tracing est dépassé", "Il faudrait vacciner 24 heures sur 24": les médecins généralistes prennent la parole
Les médecins généralistes prennent la parole.
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Publié le 29-11-2021 à 06h41 - Mis à jour le 29-11-2021 à 12h55
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Cela fait vingt mois qu’ils sont au four et au moulin, sans répit ou presque. Face à la pandémie de coronavirus, les médecins généralistes sont tout à la fois soignants, conseillers, pédagogues, psychologues, confidents.
En pleine quatrième vague de contaminations, La Libre donne la parole à trois d’entre eux pour comprendre leur quotidien, leurs difficultés, leurs attentes, leurs espoirs.
Audrey Bonnelance (Woluwe-Saint-Pierre) : "Beaucoup de confrères sont fatigués, épuisés"
"Cette quatrième vague, elle n'est pas facile, surtout parce qu'on est fatigués. Mais il y a aussi une certaine lassitude parce que, de vague en vague, on n'a pas l'impression que les choses sont mieux anticipées par le politique" , raconte Audrey Bonnelance, médecin généraliste (dans une pratique de groupe) à Woluwe-Saint-Pierre, en Région bruxelloise.
"On espère à chaque fois que les mesures seront mieux en accord avec ce que la première ligne dit, mais ce n’est pas le cas. On n’est même pas entendus. On entend beaucoup parler d’experts, de Gems, etc. Mais les généralistes ne sont même pas autour de la table. Pas plus que les infirmiers d’ailleurs. C’est dommage. Dans une vague, ceux qui sont en première ligne doivent être les plus forts. De la reconnaissance, on en a. Mais du soutien, pas toujours."
La Dr Bonnelance est membre du GBO (le groupement belge des omnipraticiens). Cela fait des mois que ce syndicat de médecins généralistes demande aux autorités de pouvoir participer, si pas à la prise de décision, au moins aux travaux préparatoires afin de faire entendre la voix des généralistes. "On demande notamment du soutien administratif et financier. On est face à des dépenses qu'on n'avait pas avant. On a dû prendre plus de secrétaires, entre autres pour gérer le téléphone, sinon on ne sait plus travailler."
"Les patients ont besoin d’être écoutés"
"Le job, on l'a toujours fait et on continuera à le faire, poursuit Audrey Bonnelance. On a une relation privilégiée avec les gens. Ils nous font confiance. Dans la cacophonie politique, c'est toujours vers le généraliste que le patient se tourne. On doit donner du sens à des règles pour lesquelles, nous-mêmes, nous ne trouvons pas de sens. Cela rend parfois la discussion un peu difficile avec les patients. 'Docteur, pourquoi est-ce que mon enfant qui est en pleine forme n'a été que deux semaines à l'école et que moi je ne peux pas bosser ?' 'Docteur, pouvez-vous me faire un certificat normal parce que, si j'ai un certificat de quarantaine, je dois bosser de la maison et avec mes trois enfants, ce n'est pas possible.' Ce sont les réalités de la vie. On les comprend. Ce n'est pas vraiment de la médecine, mais les gens ont besoin d'être écoutés."
"Notre téléphone sonne tout le temps. Parfois cent appels par jour. Avec toujours les mêmes questions. Au début, c’étaient des questions sur le testing-tracing. Puis sur la vaccination. Maintenant, on a les deux. Et très courageusement et patiemment, on répond…"
"J’entends que beaucoup de confrères sont fatigués, épuisés, en burn-out, en arrêt maladie. Dans les maisons médicales, ça va encore, mais pour les médecins qui travaillent seuls, c’est vraiment difficile. Il y en a qui ont aussi attrapé le virus, qui sont malades. Être généraliste, pour le moment, ce n’est pas facile, il faut s’accrocher."
Patrick Jadoulle (Charleroi) : "Le tracing est dépassé, il y a des défaillances"
Sans surprise, lorsque Patrick Jadoulle, médecin généraliste dans une maison médicale à Marchienne-au-Pont (Charleroi), compare la quatrième vague de Covid-19 avec les précédentes, il pointe la vaccination comme différence majeure. "On voit que le virus tourne beaucoup chez les gens non vaccinés , dit-il. Dans notre pratique, on constate que la gravité de la maladie est moindre parce que les gens les plus à risque ont été vaccinés. Heureusement, la plupart des non-vaccinés sont des gens qui, en général, ne présentent pas de grosses comorbidités."
"Cela dit, il y a beaucoup de cas, insiste-il, et cela nous occupe pas mal de temps. D'autant plus qu'il y a de grosses défaillances au niveau du tracing. Je ne leur jette pas la pierre, mais le tracing est dépassé. Il n'arrive pas à contacter les gens en temps et en heure. Du coup, les gens se tournent vers nous pour savoir ce qu'ils doivent faire. On doit souvent prescrire des testings pour des cas de contact à haut risque, alors que c'est le tracing qui aurait dû le faire. Cela implique qu'il y a une charge administrative assez importante sur nos épaules."
"Un autre élément qui augmente notre charge de travail, c’est la démission de la médecine scolaire (les PSE, NdlR). Ils ont dit qu’ils ne pouvaient plus assumer la charge de testing et de tracing dans les écoles. Cela veut dire que des gens s’adressent à nouveau à nous parce qu’il y a eu un cas Covid dans l’école de leur enfant. Cette démission de la médecine scolaire est extrêmement mal vécue par les médecins généralistes. C’est perçu comme un abandon de poste. Comme souvent, quand il y a un maillon de la chaîne qui est défaillant, c’est sur la médecine générale que ça retombe parce que nous sommes censés être taillables et corvéables à merci. Tout ce que les autres ne savent pas faire, c’est sur nous que ça retombe."
Un diagnostic plus difficile à poser
Le Dr Jadoulle, qui est aussi le président du cercle des médecins généralistes de Charleroi, mentionne une autre évolution, plus inattendue, dans cette quatrième vague : un diagnostic plus difficile à poser. "J'ai une collègue qui a décidé, il y a une quinzaine de jours, de tester tous les patients qui viennent avec le moindre symptôme suspect. Elle a trouvé quelques cas positifs pour des tableaux cliniques pour lesquels elle se serait a priori dit que ce n'est pas le Covid. On a l'impression que les tableaux cliniques que l'on rencontre sont moins spécifiques que par le passé. Au début, on avait des tableaux classiques : des gens qui avaient très mal à la tête, une perte d'odorat, qui toussaient énormément… Maintenant, on a des tableaux plus variés, avec parfois des symptômes discrets, et qui se mélangent avec des patients qui ont d'autres maladies virales. Faire le tri sur base des symptômes est devenu compliqué. On y va un peu au feeling."
Pierre-Yves Devresse (Yvoir) : "Il faudrait vacciner 24 heures sur 24"
"Il y a plus de contaminations durant cette quatrième vague, donc plus de travail , doit constater Pierre-Yves Devresse, médecin généraliste à Durnal (Yvoir). Il y a plus de patients infectés, mais en général plus jeunes, donc des cas plus légers. On doit jongler avec une organisation professionnelle très fine pour pouvoir aller vite, sérier les appels. La médecine doit s'organiser, elle est un peu plus froide. Et il y a toujours cette difficulté à gérer les patients non vaccinés."
L'une de ses préoccupations majeures concerne justement le statut vaccinal des patients. "J'ai dû renoncer à voir un jeune enfant parce que les deux parents, non vaccinés, étaient devenus positifs. L'enfant commençait à avoir des problèmes respiratoires et j'ai dû le faire passer en seconde ligne (en hôpital)."
"Le profil type des patients non vaccinés ? On est en zone rurale. Ce sont en général des gens plus jeunes, qui ont peur, qui ont de jeunes enfants. Je suis aussi confronté à quelques grossesses où les dames ne veulent pas se faire vacciner. Je pense en particulier à une dame enceinte, avec deux jeunes enfants. Elle a fait une embolie pulmonaire quand elle avait une vingtaine d’années et, à présent, elle refuse de se faire vacciner. Les deux enfants viennent d’être positifs par l’école. Elle n’a eu qu’une seule chose à faire, c’est aller se réfugier chez ses parents. Il y a une certaine irritation qui monte dans notre tête dans ce genre de situation, mais on essaye de garder la tête froide."
En faveur de l’obligation vaccinale
"Je suis pour l'obligation vaccinale pour l'ensemble de la population, tranche le Dr Devresse, qui préside par ailleurs le cercle des généralistes de l'arrondissement de Dinant. Quand j'entends des soignants qui ne veulent pas se faire vacciner, ça ne va pas. Nous sommes soignants, nous avons des obligations liées à notre profession. Quand une situation est exceptionnelle, il faut des moyens exceptionnels."
"On a déjà commencé à injecter la troisième dose de vaccin chez les personnes âgées. Maintenant, il faut vraiment appuyer sur l’accélérateur. On est en train de remonter les centres de vaccination. Je pense que si on veut faire quelque chose d’efficace, il faudra faire plus. Il faudrait vacciner 24 heures sur 24 jusqu’à ce que 95 ou 98 % des gens soient vaccinés."
"Si on arrive à cette obligation vaccinale, il faudra le faire de manière graduelle dégressive. D’abord les personnes les plus à risque, les soignants, peut-être les enseignants, puis les métiers de contact comme les policiers, les ambulanciers, etc. Et ne pas oublier les autres pays. Nous sommes interdépendants. L’arme que nous avons face à cette pandémie, c’est la vaccination, et elle devra sans doute être répétée. Moi, ça fait 38 ans que je me vaccine contre la grippe et je n’ai plus jamais eu la grippe depuis mes études."