Deal préalable, "front flamand", un ange passe : dans les coulisses du Codeco qui a décidé de fermer la culture
La fermeture des cinémas, théâtres et concerts provoque un tollé. "Nous avons estimé que la culture pouvait rester ouverte", rappelle Marc Van Ranst.
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Publié le 23-12-2021 à 20h27 - Mis à jour le 24-12-2021 à 13h14
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"La rupture de confiance est totale", souffle l'épidémiologiste Marius Gilbert (ULB), les larmes aux yeux, ce jeudi matin sur La Première, au sujet "du marchandage politique" des Codeco.
Dès dimanche, les événements en intérieur, dont les cinémas, théâtres et concerts, sont mis sous cloche. Cet arrêt de l'essentiel du monde de la culture provoque l'incompréhension d'une partie des experts et la colère du secteur. Plusieurs partis de la majorité fédérale se sont distanciés des mesures du Comité de concertation.
Déroulons le fil de ces décisions. En ce début de semaine, deux scénarios sont proposés par les experts du Gems, chargés de conseiller le gouvernement. L’un plus léger, à mettre en place dans l’attente d’informations supplémentaires sur le variant Omicron ; l’autre, proche du confinement, en cas d’aggravation sanitaire.
Dans le rapport du Gems que La Libre a pu consulter, parmi les mesures à prendre immédiatement, les experts préconisent de conserver des événements jusqu'à 200 personnes. Ils recommandent en revanche d'avancer l'heure de fermeture de l'Horeca à 20 h. Les mesures radicales, incluant la fermeture d'événements de tous types, ne doivent être prises qu'en cas d'évolution défavorable. La décision de ce mercredi se situe entre les deux.
"L'analyse venant des laboratoires sur l'évolution d'Omicron nous informait du fait que les chiffres allaient remonter autour de Noël", nous indique une source fédérale. Le gouvernement a voulu éviter de se voir reprocher une réaction tardive, et avoir à annoncer des restrictions à des Belges en train de découper leur dinde de Noël.
Pour Marc Van Ranst, virologue et membre du Gems, cette fermeture d'une partie du secteur culturel n'est pas justifiée. "Nous, experts, avons estimé qu'ils pouvaient rester ouverts", souligne-t-il.
Marc Van Ranst parle d'une "petite erreur avec de grandes conséquences pour le secteur". Il ajoute que "cette fermeture ne va pas aider à lutter contre Omicron".
Pas dans le 1er scénario
Si la fermeture de la culture ne figure pas dans le premier scénario des experts, elle est de facto englobée dans la seconde. "Je trouve hypocrite de la part des experts de dire qu'ils n'avaient pas prévu de fermer la culture. Non, ce qu'ils avaient prévu, c'est de dire, plan A : 'Ne durcissons pas, mais dès que les contaminations augmentent, c'est lockdown", a lancé Pierre-Yves Jeholet (MR), ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur Bel RTL.
Ces décisions de fermeture n'émanent toutefois pas d'une initiative spontanée du Codeco. Car dans son rapport, du 20 décembre, le commissariat corona recommande bien une "annulation totale des événements intérieurs et extérieurs, des manifestations culturelles". On n'y trouve pas de justification scientifique à proprement parler, mais ce n'est pas davantage le cas d'ordinaire. Ce rapport se veut une synthèse des analyses et recommandations du Gems, du Risk Management Group (RMG) et des mesures prises à l'étranger. Dans l'entourage du commissariat corona, on souligne que le rapport se borne à formuler une liste de dispositions qui peuvent être prises par le Codeco, sans injonction.
Une fermeture recommandée par Facon
C’est de la décision politique que semble bien venir le déséquilibre. Les restrictions dans l’Horeca ou dans les transports en commun, formulées tant par le Gems que par Pedro Facon, n’ont par exemple pas été retenues, à l’inverse de celles qui concernent la culture.
"Alors, on fait quoi ?"
La réunion a débuté depuis plusieurs heures mercredi lorsque le Premier demande à l’assemblée si chacun est prêt à accepter un large paquet de mesures. Un ange passe…
Les crispations ne surviennent que lorsque se profilent les débats concrets sur les fermetures, dont celle de la culture. Des protestations de Pierre-Yves Jeholet (MR), Georges Gilkinet (Écolo) et Sophie Wilmès (MR) s’élèvent, et celle, plus molle, de Jan Jambon (N-VA). Wilmès et Jeholet pointent un manque de justification scientifique.
"Certaines mesures n'ont peut-être pas d'effet micro. Mais il y a l'effet macro. Le but, c'est de casser les transmissions. Pour cela, il faut que les gens aient le moins possible de contacts", rappelle une source fédérale.
Pour Frank Vandenbroucke, si l'on garde ouvert le "robinet" de la culture, il faut nécessairement fermer un autre. "Alors, on fait quoi ?", demande-t-il. Georges Gilkinet suggère de fermer les bars et les cafés. Frank Vandenbroucke met un pied dans la porte et propose de fermer tout l'Horeca, faire une différence avec les restaurants étant épineux. Impensable pour une grande partie des participants. "Là, Jan Jambon ne défendait plus la culture", note un participant.
"D’habitude, c’est rock-and-roll"
Au terme de cette discussion, et à l'approche des fêtes, la fermeture de la culture est jugée politiquement préférable à celle de l'Horeca. "L'élément marquant, c'est que la N-VA a accepté facilement cette fermeture, alors que d'habitude, c'est rock-and-roll. Il n'y a finalement pas eu de fortes tensions. La preuve : on a fini assez vite. Je ne peux pas m'imaginer qu'il n'y ait pas eu un préaccord", pointe un participant, parlant de "front flamand". Selon nos informations, un tel deal préalable a bien eu lieu, ce qui n'a rien d'inhabituel.
D'autant que la fermeture figurait déjà dans les propositions de décisions soumises aux membres du Codeco mercredi matin, avant la réunion. Certains ont effectivement tenté d'infléchir le cours des décisions, d'autres non. "Je respecte la responsabilité des politiciens, c'est lourd à assumer", souligne Marc Van Ranst, philosophe . "Il n'y a aucun scénario où tout le monde dira que le Codeco a bien fait son boulot."