La "loi drogues" nuit à la santé et n’empêche pas le trafic
La campagne lancée à l’occasion du centenaire de la vieille loi de 1921 a fait doucement bouger les politiques.
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Publié le 24-02-2022 à 07h56
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À 101 ans, la plus vieille accusée du pays s’est récemment vu infliger un verdict sans appel : non, la "loi drogues" n’empêche pas l’accès aux drogues et ne permet pas d’endiguer la criminalité organisée, ni la violence liée au trafic. Non, cette loi ne met pas les publics les plus vulnérables (jeunes, personnes en situation de précarité ou de fragilité mentale…) à l’abri. Et non, elle ne protège pas la santé publique et entrave même l’accès aux soins. Le jury associatif (où on retrouvait des représentants de la Ligue des familles, d’associations de parents, de ligues de santé mentale, de services sociaux, de promotion de la santé, de prévention) a tranché. À l’unanimité.
"Inefficacité et nombreux effets pervers"
Ce procès symbolique de la loi du 24 février 1921 "concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes" était organisé dans le cadre de la campagne (unhappybirtday.be) lancée, en février 2021, par les collectifs citoyens #Stop1921 et Smart on Drugs à l'occasion du centenaire de la loi prônant la prohibition. Les associations actives sur le terrain voulaient par là pointer l'inefficacité et les nombreux effets pervers de cette loi qui stigmatise les usagers, produit des effets délétères sur la santé publique et engorge la justice et les prisons.
La campagne visait à ouvrir une réflexion politique : va-t-on continuer de punir des personnes dont le problème (éventuel) relève davantage de la santé publique que de la criminalité ? Les trois fédérations professionnelles (flamande, wallonne et bruxelloise) du secteur "drogues et addictions" défendent un changement législatif qui va dans le sens d’une décriminalisation des usagers.
Pendant un an, le site de la campagne s'est étoffé de messages, d'arguments et de chiffres soutenant le constat que cette loi est devenue désuète et contre-productive. Comme ce témoignage, confondant, d'un policier. "Mon travail aux stups ne sert à rien", déclare ce responsable d'une brigade de police locale qui lutte contre le trafic de drogues. "On prend en moyenne 100 à 150 dealers en flagrant délit par an. Si vous me donnez 50 hommes en plus, je vais tripler mes chiffres, mais il y aura toujours des dealers dans les rues du centre-ville. Ça ne changera pas !" La marchandise arrive par tonnes d'Amérique du Sud, des pays de l'Est et du Maroc. "Et nous, on nous félicite quand on saisit deux kilos en un mois !"
Le trafic reste aux mains des organisations criminelles "qui génèrent un pognon de fou", se chiffrant en milliards, poursuit-il. Selon lui, il faut inverser la logique et modifier la loi de 1921 en permettant aux gens de consommer, "mais en connaissance de cause et avec un max de prévention". Ce qui dégagerait des moyens à la police pour faire des opérations liées au banditisme et au proxénétisme, "bien plus rentables".
Un débat qui est aussi politique
Cela bouge aussi au niveau politique, se réjouissent les collectifs. En avril 2021, le Sénat s’est emparé du sujet, décidant de faire le point sur les connaissances scientifiques "qui ont fortement évolué depuis un siècle", à l’inverse de la loi. Un rapport sur l’opportunité de modifier la loi de 1921 est attendu d’ici la fin de la législature.
Un groupe de travail du Parlement bruxellois prépare de son côté une proposition de résolution qui devrait remettre en question l’actuel paradigme répressif. Notons que Bruxelles a aussi décidé - après Liège, et sans cadre légal fédéral -, d’autoriser l’ouverture de salles de consommation à moindres risques (les "salles de shoot").
Une "analyse et discussion des éventuelles lacunes, points névralgiques et questions de modifications de la loi drogues de 1921" est aussi au programme de la Cellule générale de politique drogues, qui réunit les ministères compétents du fédéral et des entités fédérées (une sorte de Codeco Drogues). #Stop1921 incite dès lors les élus à "l'audace, la clairvoyance et l'opiniâtreté", pour que la Belgique change de cap dans son approche de la politique des drogues.