"J'étais perdue" : ces jeunes qui optent pour un service citoyen après leurs études
L'entrée dans la vie active est une étape parfois difficile à surmonter pour les jeunes. Alors, pour leur permettre de prendre le temps, de mieux cerner leurs aspirations, et d'éviter d'être livré à eux-mêmes lors de cette période charnière, une alternative semble faire l'unanimité : le service citoyen.
- Publié le 19-04-2022 à 10h30
- Mis à jour le 19-04-2022 à 12h48
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Dans chacune des quatre antennes du service citoyen (Bruxelles, Charleroi, Namur, Liège), tous les mois, une vingtaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans s'apprêtent à vivre, pour la plupart, leur première expérience professionnelle. Celle-ci est, cependant, plutôt atypique : pendant six mois, ils alternent quatre jours de volontariat avec une journée de formation. Une sorte de parenthèse durant laquelle ils sont dispensés de chercher de l'emploi, et conservent leur statut et leurs éventuelles indemnités .
L'objectif ? " Offrir un temps de réflexion, de maturation ", explique François Ronveaux, directeur général du service citoyen. "Cela leur permet de se reconnecter avec leurs envies profondes et de faire ensuite des choix plus conscients, tout en s'engageant pour le bien commun. Toutes nos enquêtes montrent d'ailleurs que l'immense majorité des participants ont de meilleures perspectives après ces 6 mois ".
1000 missions et des volontaires de tous les horizons
Depuis une dizaine d'années, ce programme propose donc plus de 1000 (!) missions différentes. En fonction de leurs propres compétences et/ou aspirations, les volontaires se voient suggérer une liste de jobs susceptibles de les intéresser. Le choix est ensuite totalement libre.
"Les deux champs de missions principaux, et dans lesquels le plus de jeunes s'investissent, sont l'aide aux personnes et le développement durable ", résume ainsi François Ronveaux. " On collabore autant avec le monde associatif (centres culturels, Croix-Rouge, potagers collectifs, etc.), que le secteur public (parcs naturels, maisons de repos, etc.) ou privé (exploitations agricoles, auberges de jeunesse, etc.) ".
Les profils et parcours de ces quasi-bénévoles (défrayés à hauteur de 10 €/jour, et 100€/mois pour les déplacements) sont quasiment aussi variés que leurs missions. Diplômée d'un master en traduction, Marina était demandeuse d'emploi depuis trois mois lorsqu'elle s'est engagée, il y a deux ans. " Je ne trouvais aucune offre d'emploi qui me correspondait et me plaisait. J'étais perdue, et je voulais en profiter pour découvrir d'autres choses ", explique-t-elle. "C'est ainsi que j'ai passé six mois dans une maison d'accueil pour femmes en situation de précarité. Et douze jours dans une ferme à Écaussinnes, pour ma mission complémentaire (NDLR : une possibilité offerte à mi-parcours pour se diversifier, sur base volontaire)".
Bruno, lui, accomplit sa mission depuis février dans l'antenne liégeoise de RCF, une radio chrétienne. " Après avoir fini mes études en journalisme, le monde du travail m'angoissait . J'avais besoin de me laisser du temps. Ici, c'était l'occasion de me perfectionner dans mon domaine lors d'une sorte de stage, mais sans les contraintes de 'rentabilité' qui vont avec. Et je travaille pour une émission qui traite d'initiatives citoyennes, donc ça reste dans l'esprit du programme ", explique-t-il.
Pour autant, on ne retrouve pas non plus que des jeunes fraîchement diplômés au service citoyen. Marie a rejoint le programme après avoir arrêté son bachelier d'architecture, en novembre dernier : "Ne sachant pas quoi faire du reste de l'année, j'ai trouvé cet intermédiaire parfait pour découvrir le monde du travail. Au départ, j'avais commencé dans un endroit qui ne me plaisait pas, mais j'ai pu changer. Désormais, je m'épanouis à la maison de la culture de Saint-Gilles ", se réjouit-elle.
Certains, bien que ça soit un cas plutôt particulier, font même ce choix en étant encore aux études. " Après deux ans de Covid, j'avais l'impression de ne vivre que pour moi et j'avais besoin de vivre une aventure humaine qui a du sens pour la collectivité ", se rappelle Louise, qui s'occupe de l'intendance dans un hébergement pour femmes migrantes. " Vu que j'ai étalé mes études sur quatre ans et, que je n'avais que quinze crédits lors de ma dernière année, c'était l'occasion ou jamais d'accomplir cela ".

Solidaires dans la solidarité
Autre particularité de cette formule : l'alternance avec une journée de formation.
"Les formations ne sont pas vraiment liées à notre mission, mais plutôt à la citoyenneté au sens large ", explique Bruno. "Certaines sont plus théoriques, sur la communication non-violente ou les impacts environnementaux, par exemple. D'autres sont plutôt pratiques, comme une formation aux premiers secours ou une initiation à la politique belge via une visite des institutions ". Sans remettre en cause la plus-value et la pertinence de ces formations, leur intérêt principal semble néanmoins résider ailleurs. "Le fait d'aller seul en mission puis revenir en groupe, c'est vraiment bénéfique. On est embarqué dans la même aventure, et on se voit ainsi tous évoluer. Parfois cette journée se limite même à des échanges avec le reste de sa promo. Chacun s'exprime et partage son expérience ", explique Maëlle, ex-étudiante en pharmacie qui, depuis toujours ou presque, avait comme projet de faire du volontariat à la fin de ses études. " C'est la raison pour laquelle j'ai choisi le service citoyen plutôt qu'un programme de volontariat 'classique', pour faire, ensemble, quelque chose qui nous dépasse", renchérit Marie. " C'est un grand facteur de motivation. Cela crée, dans l'action, une solidarité entre jeunes ", conclut François Ronveaux.
"Grandir de manière accélérée"
Pour certains, le service citoyen permet même un nouveau départ. Comme Loris qui, après une formation de soigneur animalier, s'était résigné à enchainer des petits boulots peu valorisants : " Via le travail, j'ai retrouvé la confiance en moi que j'avais alors un peu perdue. Et, via l'hippothérapie (NDLR : thérapie assistée par le cheval), je me suis même découvert une nouvelle vocation d'éducateur ". Même son de cloche pour Marina qui, elle, souligne le suivi personnalisé du programme : " Une psychologue est mise à notre disposition et son rôle ne se limite pas à l'aspect professionnel. Elle m'a ainsi permis de sortir d'une courte dépression à l'époque. Sans ce boost de confiance que m'a offert cette expérience, je ne me serais d'ailleurs probablement jamais lancée comme indépendante par la suite ".
Cette période qui précède l'entrée dans la vie active est appelée par les sociologues "l'espace transitionnel". Un moment lors duquel un jeune doit être en mesure de vivre des expériences pour mieux comprendre et cerner ce à quoi il aspire. " Cet 'espace transitionnel' s'est grandement dilaté en quelques décennies" analyse François Ronveaux . "
Aujourd'hui, passé 25 ans, on peut encore vivre chez ses parents sans savoir quoi faire de sa vie. Pour répondre à ce besoin, et en l'absence de structures porteuses (syndicats ou autres), il faut des programmes sur lesquels les jeunes peuvent s'appuyer au sortir des études. D'ailleurs, en 2000, il n'y en avait qu'une seule dans toute l'Europe. Aujourd'hui, on en dénombre 12..."
Le service citoyen déplore cependant, depuis de nombreuses années déjà, un sous-financement structurel . En cause, un cadre légal qui n'a toujours pas été vraiment défini par la loi. Le programme demeure ainsi fort méconnu du grand public et peine à prendre son envol. Tandis que, chez nos voisins, des initiatives similaires jouissent déjà d'une grande légitimité et popularité. " Chez nous, il y a encore beaucoup de chemin à faire. En France, le service civique, un programme plus ou moins équivalent au nôtre, rassemble 200.000 jeunes par an. Ici, on espère seulement étendre notre capacité d'accueil à 1000 jeunes (NDLR : contre 500 actuellement) d'ici à l'année prochaine, grâce à l'octroi d'un nouveau Fond européen".