Les régies communales, "bouffées d'oxygène financières pour les communes", sont dans le viseur du fisc
Les régies communales autonomes se développent de plus en plus. Elles présentent des avantages financiers, et sont d’utilité publique. Le fisc s’y intéresse davantage, surtout en Flandre.
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Publié le 28-04-2022 à 06h35 - Mis à jour le 28-04-2022 à 07h53
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Une "régie communale autonome" - c'est son nom - de la commune d'Ittre, dans le Brabant wallon, a fait l'objet d'un avis de rectification par l'administration fiscale. Montant figurant sur l'avis : un million d'euros. Une belle somme. L'information est confirmée par Christian Fayt (PS), le bourgmestre - très remonté - de la commune brabançonne. On peut comprendre son amertume. Le budget tournant autour de douze millions d'euros, la pilule peut sembler difficile à digérer. "Quelle que soit l'issue de ce dossier, cela ne changera rien aux finances communales", assène cependant le bourgmestre qui avance que le dossier fait toujours l'objet d'une concertation. "Mais s'il le faut, nous irons en justice", avertit-il.
Bouffée d’oxygène financière pour les communes
Le cas de la commune d'Ittre n'est pas isolé. "Cela chipote au fisc, avec ces montages liés aux régies communales autonomes (RCA)", nous glisse une source bien informée. Dans les couloirs des administrations communales, les bourgmestres s'inquiètent. Les RCA suscitent des discussions dont l'écho se répercute jusque dans les travées du Parlement.
En commission des Finances, deux députés, l'un socialiste (Malik Ben Achour) et l'autre libéral (Benoît Piedbœuf), ont récemment interpellé le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (Cd&V) sur ces montages un peu particuliers que sont les RCA. Ce n'est pas nouveau. En 2014-2015, le ministre des Finances de l'époque, Johan Van Overtveldt (N-VA), avait lui aussi été interrogé sur ces montages financiers, et avait fait publier une circulaire en janvier 2016 pour préciser la position de l'administration. Le SPF Finances, contacté, nous assure que "la position qui est décrite est encore aujourd'hui d'actualité". Circulez, il n'y a rien à voir ? Pas vraiment…
On résume l’affaire : ces structures présentent plusieurs intérêts pour les communes. Elles peuvent d’abord leur procurer un avantage fiscal. Elles permettent en effet, sous certaines conditions, la déduction de la TVA sur les structures culturelles ou sportives - une piscine communale par exemple. En d’autres mots, elles donnent droit à la déduction de la TVA payée en amont, tant sur la construction de leurs infrastructures que sur leurs dépenses de fonctionnement.
Prenons un exemple. Une commune investit quatre millions d’euros dans un centre sportif. En lui donnant la structure d’une régie communale autonome, elle va pouvoir récupérer près d’un million via la TVA. Elle devra cependant, en échange, compenser ce million avec des bénéfices tirés de l’exploitation de l’infrastructure sur vingt ou trente ans. Cette compensation se fait surtout grâce aux prix d’entrée réclamés aux utilisateurs du centre sportif.
Structures socialement utiles
"Ce n'est pas le seul avantage, explique Laurent Baudinet, conseiller liégeois sur ces questions (Isiro). Les régies communales procurent aussi une autonomie de gestion réelle aux communes, souvent paralysées par les contingences budgétaires. Elles permettent donc aux communes de mettre sur pied des projets d'utilité publique, ou à vocation sociétale, voire sociale, tout en gardant un contrôle sur ces régies puisque le CA est composé de membres du conseil communal. Enfin, ces structures, moyennant le respect de certaines conditions, peuvent aussi favoriser l'emploi, qui peut être partiellement subsidié sur le long terme."
Globalement, sur le plan financier, une commune peut améliorer ses comptes de quelques centaines de milliers d’euros avec une structure de taille moyenne sur toute la durée de vie d’une régie.
Bien conscientes du bénéfice qu'elles peuvent en tirer, les communes ont de plus en plus souvent recours aux RCA. "Ce type de structure se développe, note l'une des avocates spécialistes de la question, Aurélie Soldai. Ce sont des structures un peu complexes, qui nécessitent le respect de certaines conditions. Mais qui connaissent une croissance importante." Laurent Baudinet le confirme. "Il doit y en avoir une bonne centaine en Région wallonne, et encore plus en Flandre. À Bruxelles, il y en a moins", ajoute le consultant.
La Flandre pionnière
"C'est surtout en Flandre qu'il y en a le plus. C'est d'ailleurs là que le développement de ces structures intéressantes à plus d'un titre a commencé. Cela dit, les montages y sont plus agressifs qu'en Wallonie", complète l'une de nos sources contactées pour ce dossier. Qui ajoute : "Demandez-vous surtout dans quelle région les contrôles sont les plus fréquents."
C'est en Flandre, manifestement, que le fisc s'y intéresse le plus. Sans entrer dans les détails, parce que l'enjeu financier derrière ces structures n'est pas mince, les communes essaient de se prémunir de tout contrôle fiscal en sollicitant un ruling auprès du service des décisions anticipées (SDA). Un rejet de la déduction TVA ou une requalification des subsides de fonctionnement pourrait faire mal aux budgets communaux. " Le problème, c'est que les contrôles deviennent plus nombreux, surtout au Nord, ce qui pourrait déstabiliser certains budgets ou remettre en cause des projets dont la portée est avant tout sociétale", glisse l'une de nos sources.
Pour corser l'affaire, la crise sanitaire et… les inondations de juillet 2021 ont ajouté un élément d'incertitude, soulevé par le député verviétois Malik Ben Achour. "Certaines infrastructures sportives et culturelles de régies communales autonomes ont été durement touchées par les inondations et ont, par conséquent, été contraintes de fermer (partiellement). Dans ces circonstances de fermeture nécessaires à la reconstruction ou aux travaux, ces RCA éprouvent des difficultés à concrétiser le but de lucre. De ce fait, ces RCA ne réaliseront probablement que peu de bénéfices durant la période nécessaire auxdits travaux." De sorte que les compensations relatives aux prix coulées dans les conditions de la RCA pourraient ne pas être respectées. Le ministre s'est montré conciliant, tout en restant très prudent. Pour résumer sa réponse, la crise sanitaire ou les inondations sont de bons motifs pour calmer d'éventuelles ardeurs du fisc, mais cela n'empêchera pas des contrôles pour vérifier le bon respect des conditions liées aux RCA.
Pas d’action spécifique, dit le fisc
Interrogée, l'administration se défend de tout zèle exagéré. " L'administration générale de la Fiscalité n'a pas lancé une action spécifique à ce sujet. Néanmoins, les régies communales autonomes peuvent être sélectionnées pour un contrôle comme tous les contribuables - par la gestion des risques centralisée, ou bien sur la base d'une initiative locale. Les chiffres montrent quand même un renforcement des contrôles. En 2018, 2019 et 2020, respectivement 50, 55 et 24 régies communales autonomes ont été contrôlées en matière de TVA. En 2021, 79 régies communales autonomes ont été sélectionnées pour un contrôle. Et en 2022, 27 régies communales autonomes ont déjà été sélectionnées pour contrôle jusqu'à maintenant", nous explique le SPF Finances. Pas sûr que cela rassure les communes. Mais le nombre de RCA grandissant d'année en année, il n'est pas illogique que le nombre de contrôles aille croissant également…