"Si on ne réforme pas le secteur hospitalier, on va dans le mur"
Le gouvernement a défini les missions de soins qui seront assurées au niveau local ou suprarégional. Le secteur réagit positivement, mais s’étonne de certains choix. Les hôpitaux vont devoir à présent négocier entre eux.
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- Publié le 05-08-2022 à 06h34
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"Enfin ! On a une vision de ce qui doit être fait au niveau local ou au niveau suprarégional." Yves Smeets, directeur général de Santhea, une fédération d'institutions de soins en Wallonie et à Bruxelles, traduit bien l'impatience qui était celle du secteur hospitalier. "Gibbis salue la volonté de clarifier la catégorie des différentes missions de soins, abonde cette autre fédération, active en Région bruxelloise. Cela va permettre aux réseaux hospitaliers de pouvoir avancer dans les réflexions."
Cela fait des années que l’on parle de la mise en réseau des hôpitaux. Le projet était déjà dans les cartons de Rudy Demotte (PS), lorsqu’il était ministre de la Santé entre 2003 et 2007. Il a fallu attendre la ministre Maggie De Block (Open VLD), sous la précédente législature, pour que la création de 25 réseaux hospitaliers (maximum) soit inscrite dans la loi. Et ce n’est que ce vendredi 20 juillet que le Conseil des ministres a donné de la substance à ces réseaux en approuvant un projet d’arrêté royal du ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit). Celui-ci définit les missions hospitalières assurées dans chaque réseau (les missions locorégionales) et celles centralisées à un échelon supérieur (suprarégionales). L’arrêté a été envoyé au Conseil d’État.
Un accueil plutôt positif des acteurs de la santé
Le secteur de la santé partage largement les objectifs de la réforme du paysage hospitalier. En résumé, il s’agit d’encourager les collaborations entre les hôpitaux pour éviter une concurrence exacerbée entre eux, réduire les achats de matériel très coûteux, et faire en sorte que le bon soin soit donné au bon endroit en fonction des besoins de la population et des capacités des hôpitaux. En bout de course, cela doit permettre une gestion plus efficiente des budgets, et surtout d’offrir des soins de meilleure qualité aux patients.
"Si on ne fait pas cela, on va droit dans le mur, commente Gilbert Bejjani, vice-président de l'Absym, un syndicat de médecins. Quand vous avez des surcoûts, que vous perfusez de l'argent dans le secteur au lieu de le réformer, à un moment vous n'aurez plus assez de moyens, sauf à aller en prendre à d'autres secteurs. Mais va-t-on réduire les budgets de l'enseignement pour financer la santé… ? Selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la Belgique est déjà l'un des pays qui facturent le plus au patient. Il faut agir. La réforme est nécessaire pour améliorer la qualité des soins et pour garder des soins accessibles financièrement."
De même, la répartition des missions de soins entre le niveau locorégional et le niveau suprarégional satisfait le secteur. "La ministre De Block avait en son temps proposé une répartition, mais cette répartition avait été refusée par le secteur parce qu'on centralisait quasiment toutes les missions de soins, rembobine Jean-Marc Laasman, conseiller stratégique aux mutualités socialistes Solidaris. C'était problématique parce que des missions de base doivent rester accessibles sur le plan géographique." "Le projet de Maggie De Block vidait de leur substance certains hôpitaux et créait des impossibilités de travailler correctement à un niveau local", appuie Yves Smeets, de la fédération Santhea.
"Mme De Block était dans une logique d'économies, selon M. Laasman. Le ministre Vandenbroucke n'est pas dans ce schéma-là. Il y aura des rationalisations, bien sûr, mais le but poursuivi est la qualité des soins, ce qui a permis l'adhésion du secteur."
Gilbert Bejjani, pour l'Absym, estime toutefois que Frank Vandenbroucke "ne va pas assez vite et n'est pas assez courageux. J'adhère à ce qu'il fait, mais j'ai toujours l'impression qu'il y a des groupes de pression qui freinent des réformes plus ambitieuses. À quelques exceptions près, toutes les missions reprises au niveau supra (le niveau le plus centralisé, NdlR) sont des évidences. Il ne se mouille pas beaucoup."
Quels sont les soins qui seront dispensés dans tous les réseaux hospitaliers ?
Selon le projet d'arrêté royal, que La Libre a pu lire, "les missions de soins locorégionales […] doivent être assurées dans chaque réseau [hospitalier] mais pas nécessairement dans chaque hôpital du réseau". L'arrêté précise "que cette liste a un caractère dynamique et évolutif. Elle devra faire l'objet en temps utile d'une évaluation […] compte tenu notamment de l'évolution des technologies médicales". C'était un point d'attention important du secteur hospitalier, de Gibbis en particulier.
Ces soins sont, par exemple, les services de pédiatrie et gériatrie ; la maternité ; les services spécialisés dans les affections cardiopulmonaires, neurologiques ou psychogériatriques ; les soins palliatifs et intensifs ; les urgences ; les hospitalisations de jour ; la pharmacie et la banque de sang ; les centres de traitement de l’insuffisance rénale chronique ; les services de radiothérapie et d’imagerie médicale (sauf le PET-scan) ; l’essentiel des soins cardiaques et en oncologie ; les soins pour les enfants ; etc.
Un critère de proximité : à 30 minutes pour 90 % de la population
Ces missions de soins locorégionales se caractérisent par un critère de proximité. Sachant que chaque hôpital ne prodiguera pas nécessairement chacune des missions, le projet d'arrêté royal prévoit que celles-ci "doivent être proposées dans le réseau hospitalier de manière telle que le temps de parcours, en véhicule ordinaire (en voiture, NdlR) dans des conditions de circulation normales un jour moyen de semaine, ne dépasse pas 30 minutes pour 90 % des habitants de la zone géographique couverte par le réseau". "Ce temps de parcours concerne non seulement les situations où un traitement d'urgence est requis, mais [aussi] les missions de soins dont le patient a fréquemment besoin (radiothérapie par exemple) ou les situations où un séjour plus long avec nécessité de visites de l'entourage du patient est requis (gériatrie par exemple)."
Ce critère de 30 minutes laisse le secteur hospitalier perplexe. "C'est du grand n'importe quoi, ça ne veut rien dire, tranche le directeur général de Santhea. Nous avions plaidé jusqu'au bout pour supprimer cette notion qui n'a jamais été utilisée. On ne voit pas comment l'appliquer." Cela dit, poursuit M. Smeets, "comme de toute façon, ce n'est pas le fédéral mais les Régions qui sont compétentes pour délivrer les agréments [pour l'exercice des missions de soins], elles interpréteront cette notion comme elles le veulent. Ça n'apporte vraiment rien."

Quels sont les soins qui seront dispensés à un niveau suprarégional ?
Les missions de soins suprarégionales concernent des pathologies aiguës, peu courantes, faisant appel à un haut degré d’expertise, et qui seront traitées dans des hôpitaux de référence. Le cabinet Vandenbroucke précisait, le 20 juillet, qu’elles ne pourront pas être proposées dans chaque réseau.
Les missions suprarégionales sont, par exemple, le service des maladies contagieuses ou de néonatologie intensive ; les centres pour brûlés ou de transplantation ; le PET-scan (l’imagerie en trois dimensions des organes) ; les soins cardiaques ou en oncologie les plus pointus ; les soins spécialisés pour les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ; etc.
Cette liste est plutôt bien acceptée par le secteur, dit Yves Smeets, "même si des petites choses restent problématiques, comme le PET-scan" parce qu'il ne sera dès lors pas possible de réaliser un diagnostic complet du patient dans chaque réseau lorsque cet appareillage est nécessaire. "Cela nous semble un peu incohérent."
Un délai de trois ans pour se mettre en ordre
L'arrêté royal du ministre Vandenbroucke stipule que "les réseaux hospitaliers […] disposent d'un délai de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur du présent arrêté pour se conformer à la condition du temps de parcours" de 30 minutes pour 90 % de la population. "Cette période transitoire permettra la coordination tant entre les réseaux qu'au sein de chacun d'entre eux et la concertation avec les entités fédérées qui appliqueront la norme d'agrément organique établie." Les hôpitaux vont donc devoir négocier entre eux pour savoir qui fait quoi.
Sur le terrain, ces échanges existent depuis longtemps, parfois spontanés, parfois liés à des injonctions. Les cancers du pancréas et de l'œsophage sont par exemple déjà traités à un niveau suprarégional dans des établissements de référence avec lesquels les autres hôpitaux doivent collaborer. "Des ajustements vont devoir se faire, mais ça ne pourra pas être la révolution, conclut M. Smeets. Ça demandera du temps, de l'adaptation."