Les prestataires de soins paient un lourd tribut à la crise énergétique: "On ne va pas obliger nos patients à venir avec trois pulls"
Médecins, kinés, logopèdes… Les prestataires de soins indépendants paient un lourd tribut à la crise énergétique.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/8c2a809e-16a2-4e3a-b0bc-9a5b8136731c.png)
Publié le 11-10-2022 à 06h34
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/YT4LAJGE4BB3XFR6LWN5RW5QUE.jpg)
"On croise les doigts pour ne pas avoir un hiver trop rude." En pleine crise énergétique, Nathalie Saczuk, logopède à Spy, redoute les températures polaires qui entraîneraient inévitablement une explosion de ses factures de gaz, déjà très onéreuses. Ces craintes, partagées par une large frange de la population, sont d'autant plus vives pour les prestataires de soins indépendants qui exercent en cabinet privé.
Si dans de nombreux secteurs, la diminution du chauffage est envisagée pour éviter des factures trop salées, le corps médical peut rarement recourir à cette solution. "Lors d'une séance de kiné, le patient reste une bonne demi-heure dans le cabinet, parfois juste en sous-vêtements, expose Fabienne Van Dooren, présidente d'Axxon, l'association professionnelle des kinésithérapeutes belges. On est obligés de chauffer à bonne température, sinon les patients seraient frigorifiés." "En tant que logopède, on reste souvent immobile en position assise, donc ce n'est pas raisonnable de mettre le cabinet à 17 ou 18 degrés, abonde Nathalie Saczuk. On ne va pas non plus obliger nos patients à venir avec trois pulls."
Des honoraires plafonnés
En outre, les professionnels de la santé consultent généralement jusque tard dans la soirée, entraînant une consommation plus importante de l'électricité pour l'éclairage. "Tant qu'on n'a pas le changement d'heure, ça va, mais ça risque de devenir très compliqué", s'inquiète encore Nathalie Saczuk.
À ces difficultés s'ajoutent d'autres coûts liés au conflit ukrainien, tels que l'augmentation des matières premières. "Les matériaux pour faire nos semelles orthopédiques ont augmenté de 200 % !, déplore Nicolas Crecx, podologue à Forest et Braine-le-Château. De nombreux prestataires effectuent également des visites à domicile et souffrent de l'augmentation du prix du carburant. "Il y a une volonté politique d'encourager les psychologues à faire davantage de visites à domicile. On ne roule pas à l'eau, et pourtant, l'État ne prévoit pas de compensation pour nos frais de déplacement, s'inquiète Quentin Vassart, psychologue clinicien. Si on fait le calcul, on risque de finir par faire du bénévolat." Un constat partagé par les généralistes. "Il n'y a pas eu de revalorisation des visites à domicile depuis environ 30 ans", déplore Luc Herry, médecin à Vaux-sous-Chèvremont (Chaudfontaine), qui peine encore à se remettre des dégâts causés par les inondations de juillet 2021.
Pour les kinés, les sages-femmes et les logopèdes, il est impossible de répercuter l'augmentation de ces coûts sur le patient. Les honoraires des séances sont en effet fixés par une convention signée avec l'Inami. "Ce n'est pas comme le boulanger, qui peut augmenter le prix de son pain de 50 cents", caricature Fabienne Van Dooren. Face à des prix jugés trop bas, nombreux sont les professionnels de la santé à s'être récemment déconventionnés, afin de fixer leurs propres tarifs, quitte à empêcher le remboursement des soins pour les patients. En juin, 33 % des kinés ont ainsi refusé d'adhérer à la convention, contre seulement 16 % en 2020. En juillet, les logopèdes ont également rejeté en bloc (à 60 %) la convention imposée par l'Inami.
"Je ne veux pas être un frein à la santé des gens"
Dans d'autres secteurs, certains prestataires refusent spontanément d'augmenter leurs tarifs afin de garantir l'accessibilité des soins à tous. "Certains patients annulent leur rendez-vous ou hésitent à venir parce qu'ils ont peur de ne pas avoir les moyens de payer les factures d'électricité à la fin du mois, explique le podologue Nicolas Clerck. Pour le moment, j'essaie de ne pas augmenter mes prix, car je ne veux pas être un frein à la santé des gens, mais je ne sais pas comment je vais faire plus tard." "C'est indispensable que nos soins restent accessibles financièrement, abonde le psychologue Quentin Vassart. On a besoin d'un investissement massif de l'État dans la santé mentale, faute de quoi les gens vont hésiter avant d'aller consulter et risquent de se retrouver avec des problématiques sévères, qui vont engendrer l'intervention de soins plus lourds."
"Gagner sa vie en tant que prestataire de soins devient de plus en plus compliqué, résume Luc Herry. P our le moment, on gagne suffisamment pour payer nos factures, mais est-ce que ça va être suffisant pour véritablement gagner notre vie ? Je ne sais pas."