"Les inégalités numériques s’ancrent sur les inégalités sociales”: des informaticiens publics aident les citoyens largués par le tout-au-clic
Un réseau est en place à Bruxelles ; un autre se constitue en Wallonie. Pour raccrocher les gens aux services essentiels.
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- Publié le 13-10-2022 à 20h22
- Mis à jour le 13-10-2022 à 21h52
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Ça ne va pas le faire ! Je vais lui planter son ordi. La seule chose que je peux utiliser, c'est le téléphone." Fabienne, 60 ans, rigole en s'installant à côté d'Adrien, informaticien public. "J'ai déjà un peu chipoté, mais je n'ai jamais dû l'utiliser pour mon travail. Je ne m'y suis pas intéressée. Sauf que maintenant on n'a plus trop le choix", soupire-t-elle.
La sexagénaire s'est déplacée à l'Atelier du Web, à Saint-Gilles, où le réseau des informaticiens publics de Bruxelles organise une permanence pour épauler les citoyens largués du clic. Il en existe déjà une cinquantaine de ce type, installées dans des associations de quartier en contact direct avec les gens. Les informaticiens publics aident à faire un paiement en ligne, à télécharger un document administratif, à envoyer un mail ou à utiliser les plateformes de services, publiques comme privées.
Une dématérialisation qui s’accélère
Animateur et éducateur permanent à l’ASBL Arc (Action et recherche culturelle), Adrien a démarré dans cette fonction il y a six ans, quand l’informaticien public en était à ses premiers balbutiements. Avec la crise Covid, la dématérialisation s’est accélérée, coupant les citoyens éloignés du numérique de l’accès à de nombreux droits et services essentiels.
D’où l’initiative de l’Arc de connecter l’aide numérique de première ligne (espaces publics numériques, associations de cohésion sociale, secteur de la santé, des CPAS…) à Bruxelles. Un réseau d’informaticiens publics se met aussi en place en place en Wallonie.
Aujourd'hui, Fabienne a besoin d'aide pour demander de payer sa taxe de circulation en plusieurs fois. "Il faut Itsme, mais quand j'essaie sur mon téléphone, il y a toujours un moment où ça bloque."
Fabienne n'a pas davantage réussi à remplir sa déclaration d'impôts "papier". "La fiche de rémunération m'a été envoyée par mail. Mais je ne sais pas télécharger la pièce jointe sur mon téléphone !" Elle a donc écrit une lettre à l'administration fiscale, en leur disant de compléter le formulaire à sa place puisqu'ils avaient de toute façon toutes les informations. "Ça a marché. J'ai reçu le courrier m'invitant à payer ce que je devais", ironise la sexagénaire.
Éducatrice pendant 32 ans, demandeuse d'emploi, Fabienne travaille dans une crèche sous statut ALE. "Ce qui me dérange beaucoup, c'est qu'on ne nous laisse plus le choix. Mais moi, j e n'ai pas les moyens d'avoir un ordinateur." Alors elle se débrouille comme elle peut sur son téléphone. Sa fille lui a installé les applis bancaires. Et quand elle n'y arrive pas, elle vient à la permanence. "J'ai un carnet avec plein de mots de passe."
Vulnérabilité numérique
Les sollicitations rencontrées pendant les permanences suivent les saisons : les déclarations d'impôts en juin ; les bourses d'étudiants en septembre ; les Covid Safe Tickets pendant la crise sanitaire… Les demandes sont parfois plus techniques, comme récupérer des mots de passe ou faire de la place sur le téléphone.
Mais les citoyens s’adressent surtout aux informaticiens publics pour des services qui ne sont plus accessibles qu’en ligne. Comme obtenir une composition de ménage auprès de leur commune. Ou prendre un rendez-vous médical dans un hôpital.
Le dernier baromètre de l'inclusion numérique de la Fondation Roi Baudouin est sans appel. Aujourd'hui, en Belgique, près d'un citoyen sur deux est en situation de vulnérabilité numérique. Une situation d'autant plus grave qu'elle touche principalement des personnes déjà exclues de la société, dont un quart des ménages à plus faibles revenus qui ne disposent même pas d'une connexion internet à domicile. "Pour les personnes défavorisées, qui ont de bas revenus, les inégalités numériques s'ancrent sur les inégalités sociales", insiste Adrien.
Le Réseau des informaticiens publics a été sélectionné pour le Prix fédéral de lutte contre la pauvreté.