Au "Palais des droits", un millier de demandeurs d’asile survivent dans la crasse et l’insalubrité
Depuis deux mois, des centaines de candidats à l'asile ont envahi d'anciens bureaux du SPF Finances, à Schaerbeek. Ces personnes auxquelles l'Etat ne donne ni le gîte ni le couvert s'y sont réfugiées pour ne pas être à la rue. Elles sont devenues invisibles.
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Publié le 23-12-2022 à 06h32 - Mis à jour le 23-12-2022 à 09h43
Des immeubles grisâtres, des enseignes de fast-food, des rails de tram et quelques coups de klaxon. Pour tout passant qui se balade innocemment dans le quartier, la rue des Palais ressemble à s’y méprendre à la plus classique des artères schaerbeekoises. Mais à hauteur du numéro 48, l’ambiance change radicalement. Sur la façade du bâtiment, qui abritait autrefois les bureaux du SPF Finances, ont été placardés des avis d’expulsion. À quelques mètres de là, une petite porte de secours permet de pénétrer dans l’enceinte du “Palais des Droits”. C’est ici qu’un millier de demandeurs d’asile ont élu domicile, pour certains depuis plus de deux mois. “C’est déjà mieux que dormir à la rue, parce qu’au moins, ici, on a un toit, confie Nasratullah, d’origine afghane, dans un anglais approximatif. Mais les conditions restent difficiles.”

L’entrée de secours donne sur une cour bétonnée, où sont entassées des montagnes de déchets. Des sacs-poubelles éventrés côtoient des cannettes de bière à moitié vides, des couvertures déchirées et des mégots de cigarettes. Les kilos de détritus baignent dans de grandes mares d’eau. Un ponton de fortune construit par les occupants à l’aide de planches en bois permet d’accéder à l’entrée principale.

“Êtes-vous vacciné contre la diphtérie et le tétanos ?” L’affiche de Médecins Sans Frontières apposée sur la porte prévient des risques de maladies et d’infection, qui se sont inévitablement développées en raison des conditions sanitaires déplorables.
Un “Palais des Droits” qui n’a rien d’un palais
Une fois à l’intérieur du bâtiment, une forte odeur d’urine prend à la gorge. Un premier couloir inondé de flaques boueuses abrite quelques douches et toilettes, pour la plupart hors d’usage ou non raccordées. “En plus, l’eau est tout le temps froide”, regrette Nasratullah. Une porte plus loin, des centaines de matelas sont posés à même le sol, ou surélevés par quelques cartons pour les plus chanceux. “La nuit, il fait vraiment froid comme il n’y a pas de chauffage, raconte Namatullah, 23 ans, qui a fui seul l’Afghanistan il y a un an. J’ai trouvé mon matelas et ma couverture dans la rue. Mais j’ai attrapé une maladie à cause du matelas. Le docteur m’a prescrit des médicaments, mais ça ne marche pas.”
Dans la pièce, les conversations en pachto, dari ou français se mêlent aux ronflements et aux quintes de toux de nombreux occupants. Dans les couloirs, certains téléphonent à leurs familles restées au pays, tandis que d’autres fument, mangent ou boivent de la bière. “Il faut faire attention aux rôdeurs, alerte Nasratullah en désignant d’un geste de la main son sac à dos. Beaucoup d’amis se sont fait voler leurs affaires.”

”Le manque de sécurité est l’un des plus grands problèmes à l’heure actuelle, confirme Lorenzo De Lucia, bénévole au sein du Palais Des Droits. Jusqu’il y a quelques semaines, il était possible de contrôler les entrées et les sorties. Mais les derniers jours, avec le froid, de plus en plus d’individus se sont infiltrés et il est donc difficile de garantir la sécurité dans l’enceinte du bâtiment.”
Une augmentation “exponentielle” du nombre de résidents
C’est le 21 octobre que les premiers occupants ont investi les lieux, illégalement, faute de logement alternatif. “Le premier week-end, on comptait environ 200 personnes, se remémore Lorenzo De Lucia. Mais en deux semaines, on dénombrait déjà 600 à 700 résidents.”
"Plus le temps passe, plus le bâtiment se remplit et moins cela devient gérable”, confirme Naim Daibes, lui aussi volontaire au sein du Palais. La toute grande majorité des occupants (80 à 90 %) sont demandeurs de protection internationale. Si la plupart sont des hommes, quelques femmes et mineurs étrangers non accompagnés y ont également trouvé refuge. Les communautés afghanes et burundaises sont fortement représentées.
Au quotidien, ce sont les demandeurs d’asile qui s’autogèrent, avec le soutien opérationnel d’associations et de citoyens volontaires. “Aucune organisation n’est mandatée pour la gestion du bâtiment dans sa totalité”, précise Lorenzo De Lucia. “Les premières semaines, on était en mesure de préparer des repas tous les jours. Mais avec le nombre d’occupants, aujourd’hui, cela devient compliqué”, poursuit le bénévole.
Les associations exigent des solutions concrètes et structurelles pour reloger dignement ce millier de demandeurs d’asile. “Mais le relogement va prendre du temps, reconnaît Naim Daibes. Ça ne se comptera pas en semaines, mais bien en mois. En attendant, il est impératif d’améliorer urgemment les conditions de vie au Palais.” Outre le besoin criant de sécurité, les associations appellent notamment à de meilleures infrastructures sanitaires, indispensables à la propagation de maladies, ainsi qu’à une meilleure gestion des déchets.