“On va vers une crise sanitaire plus grave que le Covid”
Les syndicats du secteur non marchand manifestent ce mardi à Bruxelles. On attend entre 10 000 et 25 000 personnes.
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Publié le 30-01-2023 à 20h16 - Mis à jour le 30-01-2023 à 22h25
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Les syndicats du secteur non marchand (social, santé, culture) descendent ce mardi dans les rues de Bruxelles pour lancer un cri d’alarme au sujet de leurs conditions de travail et de la pénurie de personnel. L’action est menée en front commun (syndicats chrétien, socialiste et libéral, du secteur public comme du secteur privé). Certains services pourraient être perturbés. Le cortège démarrera à 10 h 30 de la gare du Nord. On attend entre 10 000 et 25 000 personnes. La Libre a recueilli les témoignages de certains d’entre eux (lire ci-dessous).
De nombreux postes sont vacants et le personnel encore présent est sur les genoux, résume la Centrale nationale des employés (CNE). Les burn-out se succèdent, les jeunes ne sont plus intéressés par ces métiers inconciliables avec la vie privée. Quelques chiffres pour illustrer la problématique : plus de 2500 lits d’hôpitaux fermés ; près de 5 % de diminution des postes en maisons de repos (et de soins) ; des milliers de bénéficiaires sur listes d’attente des services ; près de 50 % de plus d’absence de longue durée pour le personnel soignant par rapport aux autres secteurs ; 13,7 % d’absentéisme dans les soins de santé en 2020…
Bientôt des services réduits ?
Pour le syndicat chrétien, “tous les voyants sont au rouge. Et pourtant l’immobilisme semble s’imposer dans la classe politique et chez les fédérations patronales”. “Bientôt, prévient la CNE, on ne pourra plus se contenter de demander au personnel de faire plus, plus vite, plus longtemps pour compenser la pénurie. Il faudra réduire l’offre sociale, de santé, du socio-culturel.”
”Les travailleurs de ce secteur essentiel tirent la sonnette d’alarme, appuie le Syndicat des employés, des techniciens et des cadres (Setca, socialiste). Nous ne pouvons plus nous contenter de sparadraps ou de la prolongation de mesures prises durant la crise sanitaire.” “Il est temps de réagir afin de redonner du sens aux métiers du non-marchand et d’attirer à nouveau les jeunes dans le secteur”, conclut le syndical libéral CGSLB.
Témoignages
Insertion socioprofessionnelle
”C’est comme si on fabriquait des boîtes de conserve”
Anne-Sophie Collard, 52 ans, travaille à la Mission locale de Forest, qui est un partenaire d’Actiris dans la mise à l’emploi d’un public peu qualifié et de chômeurs de longue durée. Il n’y a pas à proprement parler de pénurie comme dans la santé par exemple, explique celle qui est aussi déléguée CNE, “mais cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans le secteur de l’insertion et j’ai vu une évolution très claire vers un modèle d’efficacité et de rationalisation. On doit prendre en charge plus de personnes, avec davantage de contraintes administratives et informatiques. Il y a une méfiance vis-à-vis des travailleurs. On nous demande de tout justifier”.
Résultat : une perte de sens pour les travailleurs. “On est dans une logique quantitative. C’est comme si on fabriquait des boîtes de conserve. Entre ce que je voudrais faire et ce que je peux faire, il y a un décalage. Dès lors, certains vont voir ailleurs. C’est difficile de tenir le coup.”
Maisons de repos
”Quinze résidents à laver chaque matin”
Meriam El Mensouri, 33 ans, technicienne de surface dans la maison de repos et résidence services Le Lothier (groupe Armonea) à Ottignies et déléguée CNE. Elle estime qu’il manque 40 % de personnel dans cette institution. “Des aides-soignantes se retrouvent seule à l’étage avec 30 résidents. Le matin, chacune doit laver quinze résidents entre 7h et 10h. Elles sont à bout. Moi, au départ, je suis aide-soignante, mais je préfère être technicienne de surface pour le moment. Je sais que je ne pourrais pas. Les résidents et les familles ressentent que le travail est bâclé. On ne peut plus passer de temps avec les gens. On court tout le temps. On est nombreuses à être prêtes à faire grève.”
Hôpitaux
”On va vers une crise sanitaire encore plus grave que le Covid”
Geoffrey Bezin est infirmier spécialisé au bloc opératoire à l’hôpital Erasme à Bruxelles. Il a 43 ans mais se considère déjà comme “un dinosaure” dans un service où “la carrière moyenne dure cinq à sept ans”. “C’est un service technique, où le stress est grand. Après quelques années, les gens changent pour un autre service ou, souvent, quittent la profession.”
L’infirmier dresse un tableau sombre de la situation : “On est arrivés à un point de non-retour. Il y a trop peu de personnel, la charge de travail augmente, notamment à cause des reports de soins durant la crise Covid, l’absentéisme est exacerbé et on doit reprendre les horaires des collègues absents.”
La profession a été partiellement revalorisée, mais c’est insuffisant, estime le délégué CNE. “Le salaire est misérable, il n’y a pas de 13e mois. La profession n’est pas attractive. Les études d’infirmiers ont été allongées et les écoles se vident. On est en train de se mordre la queue et on va vers une crise sanitaire encore plus grave que le Covid si on ne réinvestit pas dans le secteur. Au bloc opératoire, tous les jours, on ferme des salles et on reporte des cas faute d’infirmiers ou d’anesthésistes. L’épuisement touche toute la profession.”
Aide à domicile
”On vit sous pression et c’est compliqué quand on doit travailler avec de l’humain”
Natacha Deboeck, 47 ans, est aide familiale et déléguée CNE chez Aide et soins à domicile pour la région de Liège-Huy-Waremme (aide familiale mais aussi aide ménagère sociale, soins infirmiers, garde-malade). Il peut s’agir d'aider des personnes âgées, mais également des malades sortis de l’hôpital, des femmes enceintes ou de jeunes mamans précaires, des personnes psychologiquement fragiles. “Parfois je veille simplement à ce que les enfants déjeunent, je les conduis à l’école, mais nous devons aussi faire la toilette des gens, vider les chaises percées, changer les lits, veiller à ce que nos bénéficiaires prennent bien leurs médicaments… Et tout cela en 45 minutes. Nous allons dans des situations de plus en plus précaires avec de moins en moins de temps chez les personnes.” Dans le secteur, c’est surtout les infirmières qui manquent, “mais on ne trouve plus aussi facilement des aides familiales car le métier est physique et pénible. On vit sous pression et c’est compliqué quand on doit travailler avec de l’humain. Quand on expédie des schizophrènes ou des victimes d’AVC à la maison, nous sommes en première ligne avec les infirmières. C’est un métier lourd, qu’on ne peut pas faire longtemps à temps plein. Même les jeunes, elles travaillent à 4/5e temps.”