“Je craignais le moment où je devais me retrouver dans mon lit”: comment votre pharmacien peut vous aider à arrêter les somnifères
Depuis ce 1er février, un nouveau service de sevrage progressif des somnifères est proposé en pharmacie. Une utilisation inadéquate et excessive comporte des risques importants pour la santé.
Laurent GérardPublié le 01-02-2023 à 18h58 - Mis à jour le 02-02-2023 à 09h58
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Paul est étudiant en psychologie à l'Université libre de Bruxelles. Ses problèmes de sommeil commencent l’an dernier. Les causes de ses insomnies sont multiples. Il souffre d’anxiété et d’hyperactivité. Il décrit ses crises d’insomnie comme une petite voix dans sa tête qui ne cesse de le maintenir éveillé. Au fil du temps, Paul en vient à redouter le temps qui passe et la nuit qui pointe le bout de son nez. “Je craignais le moment où je devais me retrouver dans mon lit”, confie-t-il. S’il arrive à bien gérer son manque de sommeil, il est conscient que ne pas dormir peut représenter un danger. “Je craignais pour ma santé mentale car je n’arrivais pas à dormir plus de six heures et cela empirait.”
Ses troubles du sommeil s’accentuent en période d’examen, “le blocus est une source d’anxiété supplémentaire”. Alors, face à sa détresse, sa psychiatre lui prescrit des somnifères. Pour Paul, ce médicament tombe à pic. “Je savais que les somnifères m’aideraient à arrêter ma journée.” Avant de commencer à prendre ses médicaments, il est conscient du risque d’addiction. Aujourd’hui, cela fait dix jours qu’il a arrêté mais “cela n’a pas été difficile”, assure-t-il. En réalité, si tout semble aller mieux, c’est surtout parce que Paul à un nouveau remède pour son anxiété : “J’ai un autre traitement anxiolytique dont on augmenté la dose, cela m’aide probablement à m’endormir”.
Trop de somnifères, trop longtemps
Le cas de Paul n'est pas rare dans notre pays. La consommation de somnifères en Belgique est l’une des plus élevées d’Europe. Selon l’Association pharmaceutique belge (APB), en 2021, près de 400 millions de doses quotidiennes y ont été délivrées en pharmacie, soit environ 1,1 million de doses par jour. L’APB ne dispose pas de chiffres sur le nombre de personnes consommant chaque jour des somnifères dans notre pays, mais elle renvoie vers l’enquête de santé de 2018, selon laquelle 12 % de la population avait consommé des sédatifs (somnifères ou tranquillisants) cette année-là.
Cette forte consommation se double d’un autre problème : les personnes qui font usage de somnifères le font souvent durant une trop longue période. Pour l’APB, l’utilisation prolongée de somnifères (benzodiazépines et “Z-drugs”) atteint des niveaux alarmants dans notre pays. Les résultats d’une enquête menée en 2020 par l’Agence fédérale des médicaments sur l’usage des benzodiazépines et médicaments apparentés révèlent que la plupart des patients prenaient ces médicaments (beaucoup) plus longtemps que recommandé. Et plus d’un tiers d’entre eux présentaient des signes psychologiques de dépendance.
Dangereux, surtout au volant
Or, ces médicaments ne sont efficaces sur les troubles du sommeil que sur de courtes durées, souligne l’APB. Au-delà de quatre semaines de traitement, leur efficacité diminue. Ils ne peuvent donc pas aider en cas d’insomnie chronique. Au contraire, en continuant à en prendre, on risque une accoutumance et une dépendance physique et psychique, ainsi que des effets indésirables particulièrement graves : troubles de la vigilance et de la mémoire, risque de chute multiplié par quatre, perte d’autonomie chez les personnes âgées. “La coordination des mouvements est altérée et la réactivité ralentie, ce qui peut être dangereux, surtout au volant”, insiste le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit).
Pour ces raisons, ainsi que pour éviter des dépenses inutiles à la sécurité sociale, l’Institut national d’assurance maladie invalidité (Inami) et le ministre Vandenbroucke ont dégagé un budget afin de lancer un programme de sevrage progressif des somnifères en partenariat avec les pharmaciens. Il s’agit d’arrêter progressivement la prise de somnifères à l’aide de préparations magistrales du pharmacien, remboursées par l’Inami et sur prescription du médecin. Les patients pourront prendre leur médicament habituel, mais à un dosage adapté, qui sera réduit par palier, jusqu’à l’arrêt complet ou une stabilisation au niveau le plus bas possible.
Service gratuit
Le budget doit permettre d’accompagner de 600 à 900 patients en 2023. Sont éligibles uniquement les personnes adultes vivant à domicile et prenant de manière chronique (c’est-à-dire depuis au moins trois mois) un somnifère, à un dosage de maximum trois fois la dose usuelle, avec pour indication principale l’insomnie.
Différents schémas de sevrage par palier sont possibles, pour une durée de 50 à 360 jours, selon le programme prescrit par le médecin (5, 7 ou 10 paliers de 10, 20 ou 30 jours). Le pharmacien proposera un entretien d’initiation et un entretien de suivi ; il accompagnera son patient, le motivera et réalisera les préparations magistrales. Ce nouveau service ne coûtera rien au patient concerné. Ce dernier devra uniquement payer les médicaments que le pharmacien utilise dans les préparations.
Via ce programme, le ministre de la Santé veut accentuer le rôle de conseil que jouent les pharmaciens : “De tous les prestataires de soins de santé, ce sont eux qui ont le plus grand nombre de contacts avec la population (plus de 500 000 par jour). Les pharmaciens ont la confiance des patients”. Pour le ministre, il convient donc de leur confier davantage de tâches, sous la forme de services pharmaceutiques.