"Une opération gagnante à tous les niveaux": près de trois mois après son entrée en vigueur, quel bilan pour la semaine de quatre jours ?
Depuis fin novembre, tout employé du secteur privé peut demander à aménager sa semaine de travail sur quatre jours au lieu de cinq. Certains employeurs refusent le système.
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Publié le 05-02-2023 à 11h05
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Depuis le 21 novembre 2022, la “semaine de quatre jours” est officiellement applicable en Belgique. Cet aménagement permet à tout employé du secteur privé de réaliser l’entièreté de ses heures de travail sur quatre jours au lieu de cinq. Loin de correspondre à la réduction collective du temps de travail souhaitée par les syndicats, la mesure vise tout de même à assurer un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Un objectif que s’était fixé le ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), dans son “deal pour l’emploi”, approuvé par la Chambre fin septembre. En réalité, de nombreuses entreprises offraient déjà cette possibilité à leurs employés via des conventions collectives de travail. Mais couler la mesure dans la loi a permis à faciliter sa mise en œuvre.
Concrètement, tout employé peut introduire la demande à son employeur, qui dispose d’un délai d’un mois pour y répondre. Ce dernier peut s’y opposer, mais son refus doit être motivé par des raisons ayant trait au bon fonctionnement et à la bonne organisation de l’entreprise.
Selon une étude d’Acerta, 5 travailleurs sur 1 000 ont actuellement recours à la semaine de quatre jours. La mesure serait plus populaire chez les ouvriers (0,69 %) que chez les employés (0,4 %).
”Ce petit jour de récupération en plus fait une grosse différence”
À 45 ans, Ibrahim est collaborateur polyvalent chez BelRefugees, la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Il travaille dans un centre d’hébergement d’urgence, au rythme de 40 heures par semaine. Une charge de travail qu’il effectue en quatre jours. “Je ne travaille pas le vendredi, donc j’ai un week-end de trois jours. Ce petit jour de récupération en plus fait une grosse différence. Deux jours de week-end, c’est trop peu : le premier jour, on a à peine le temps de réaliser qu’on est en congé, et le deuxième, on pense déjà au lundi qui arrive.” Père de famille, Ibrahim profite de son vendredi pour aller chercher sa fille à l’école et passer du temps avec elle, ou pour faire des démarches administratives. Très actif sur le terrain, il reconnaît que ses journées sont épuisantes. “Dix heures debout, c’est très long et très intense. À la fin de la journée, je suis lessivé. Mais dans l’ensemble, ce petit jour de congé en plus en vaut la chandelle.”
"Une opportunité manquée"
À 30 ans, Isaure (prénom d’emprunt) travaille comme juriste dans le secteur de la finance. Fin novembre, elle a introduit une requête formelle pour bénéficier de la semaine de quatre jours. Une demande qui lui a été refusée. “Mon employeur a estimé qu’il n’était pas réaliste d’instaurer cet aménagement, en justifiant que nous devions être en mesure d’assurer une continuité dans nos services. C’est une excuse bidon : il aurait suffi d’une bonne organisation entre les collègues.” Ce système aurait permis à Isaure d’assurer un meilleur équilibre entre vie priée et vie professionnelle. “J’avais besoin de ce jour en plus de repos. Ça aurait été vraiment salvateur niveau fatigue. Au travail, nos journées sont extensibles à gogo. Quand on est là, on ne sait jamais quand on va finir car il y a toujours une demande de dernière minute. Mais quand on est en congé, on n’est pas là et c’est tout.” Isaure estime que ce refus est “une opportunité manquée”, tant pour les employés que pour l’attractivité de l’entreprise.
"Quand on est heureux à la maison, on est plus heureux au boulot !"
Depuis le 1er janvier, 80 employés du prestataire de services SD Worx ont recours à la semaine de 4 jours. Si l’écrasante majorité des employés qui ont introduit une demande d’aménagement ont pu en bénéficier, une dizaine n’y a pas eu droit. “Certaines fonctions, notamment dans les relations clients, sont incompatibles avec ce système car nous devons assurer une réactivité maximale, justifie Bruce Fecheyr-Lippens, chief people officer chez SD Worx. Certains employés venaient à peine d’arriver dans la boîte. On préférait qu’ils se familiarisent avec notre environnement avant de profiter de cet aménagement.” Un mois seulement après l’introduction du système, Bruce Fecheyr-Lippens en observe déjà les résultats positifs. “Les employés qui ont des enfants, notamment, sont extrêmement satisfaits. Ils peuvent passer plus de temps avec leur famille lors de leur jour de congé, et cela se ressent sur leur épanouissement. Quand on est heureux à la maison, on est aussi plus heureux au boulot ! ”
"Une opération gagnante à tous les niveaux"
Depuis un an et demi, Gentis Recruitment a mis en place la semaine de quatre jours. “On n’a pas attendu que le gouvernement légifère sur le sujet, on a été un peu avant-gardiste”, explique Stéphanie Reniers, CEO de l’entreprise, qui se dit positivement surprise de la démarche. “On avait compté sur une baisse du chiffre d’affaires de 5 %, mais il a finalement augmenté. Ça a été une opération gagnante à tous les niveaux.” La CEO reconnaît toutefois que le système n’est pas adapté à tout le monde : “Cela peut engendrer plus de stress, surtout pour les jeunes employés, car toutes les tâches doivent être bouclées en quatre jours au lieu de cinq.” Le choix est donc laissé à chaque employé d’adhérer ou non à l’aménagement. “Notre vision est de laisser un maximum de flexibilité à nos collaborateurs, en fonction de leur mode de travail et de leur concentration, tant que les résultats sont là. C’est comme à l’école : certains réussissent leurs examens en étudiant deux heures, d’autres en étudiant deux semaines.”