Le français est-il menacé par l’anglais à Bruxelles? "Il y a une forme de renoncement francophone"
Pour Jean-Paul Nassaux, historien et politologue, l’arrivée de Rudi Vervoort (PS) comme ministre-président bruxellois a été “le tournant politique” sur l’usage de l’anglais, au lieu du français.
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Publié le 08-02-2023 à 09h55 - Mis à jour le 08-02-2023 à 13h24
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La langue française est-elle menacée par la toute-puissance de l’anglais ? C’est la théorie soutenue par Jean-Paul Nassaux, historien et politologue, dans la revue française “les cahiers de psychologie politique”. Cet article intitulé “le recul de la francophonie”, engagé mais abondamment sourcé, s’est intéressé à la situation de la langue de Molière dans les instances européennes, dans le monde scientifique et académique mais aussi, en particulier, à Bruxelles.
Cet auteur, qui collabore par ailleurs avec le Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), plaide pour “un rééquilibrage linguistique où de grandes langues intermédiaires, dont le français, ne sont pas écrasées.”
Jean-Paul Nassaux juge incertain l’avenir de la langue française. “Il peut prendre la forme d’un basculement du français vers une position de simple langue vernaculaire ou se présenter sous un jour plus favorable avec la préservation d’un statut de langue mondiale.”
S’exprimer en français deviendra-t-il “de plus en plus comme parler wallon”, ainsi que l’a prophétisé le philosophe Philippe Van Parijs ?
”Des organismes rebaptisés d’un nom anglais”
Sur le cas de notre capitale, le politologue estime qu'” on assiste à une forme de renoncement francophone”, citant l’influence des milieux économiques, naturellement convertis à l’anglais, mais aussi des acteurs politiques.
”On peut situer un tournant politique lors du changement de ministre-président à la Région de Bruxelles-Capitale, Rudi Vervoort, socialiste, succédant à un autre socialiste, Charles Picqué (mai 2013), souligne Jean-Paul Nassaux. Le gouvernement régional a rebaptisé une série d’organismes publics d’un nom anglais, aux dépens de leur double appellation française et néerlandaise. La Société de Développement régional de Bruxelles (SDRB), est ainsi devenue Citydev. brussels ; l’Agence bruxelloise pour l’Entreprise (ABE), Impulse. brussels ; le Port de Bruxelles, Port of Brussels ; le Service public régional Bruxelles Fonction publique (Brufop), talent.brussels, perspective.brussels, etc.”
Le cabinet de Rudi Vervoort précise que ce choix témoigne “d’un souci de simplification et de compréhension pour les citoyens”. “SDRB ou GOMB, c’est moins compréhensible que Citydev.” L’argument peut s’entendre.
Jean-Paul Nassaux pointe par ailleurs les différences idéologiques entre communautés, jugeant que “la Flandre, très majoritairement à droite, entend s’engager résolument dans les modifications structurelles prescrites par le néolibéralisme alors que la Wallonie, plus marquée à gauche, oppose une certaine résistance à une telle évolution.” De cette différence de vision découleraient bien des conséquences puisque “la propagation du néolibéralisme s’accompagne d’une expansion de la langue anglaise qui expulse progressivement les autres langues de diverses sphères de la vie sociale.”
Ce politologue et historien relève encore que, depuis 2000, un “nouveau mouvement bruxellois” s’est développé en mettant l’accent sur le multilinguisme, plutôt que le bilinguisme.
Or, selon Jean-Paul Nassaux, “l’insistance répétée à mettre l’accent sur la multiculturalité bruxelloise peut être comprise comme une façon de minimiser le caractère francophone de Bruxelles.”
”On ne peut flamandiser cette ville mais on va la défranciser”
Charles Picqué, ex-ministre-président bruxellois, prolonge l’analyse. “L’usage exagéré de l’anglais peut aussi être une stratégie chez certains Flamands. Certains se disent : 'On ne peut flamandiser cette ville, mais alors on va la défranciser', souligne-t-il. J’ai par exemple été très étonné de voir dans les textes préparatoires de Bruxelles 2030 Capitale de la culture évoqués les mérites du multilinguisme de notre capitale. Or, ce multilinguisme a pour vocation et comme résultat, d’affaiblir le français. Il faut être attentif à garder un équilibre sur la question de l’identité bruxelloise.”
Les revendications flamandes sont toutefois loin d’apparaître comme centrales dans le chef de ministres bruxellois néerlandophones comme Elke Van den Brandt (Groen) et Pascal Smet (Vooruit), tandis que Sven Gatz (Open VLD) s’est assoupli sur la question. “Non, nous ne renonçons pas à la francophonie au profit de l’anglais, réagit la porte-parole de Rudi Vervoort. Bruxelles est une région bilingue à vocation internationale. Et lorsqu’on parle de promotion du multilinguisme aujourd’hui, c’est toujours d’abord la promotion du bilinguisme français/néerlandais, avant les autres langues, dont l’anglais, notamment dans l’éducation ou l’apprentissage des langues.”