Prostitution de mineures: les proxénètes d'ados poussent désormais leurs victimes à recruter des copines
Cette tendance s’est marquée en 2022, observe Child Focus. La Fondation pour enfants disparus et sexuellement exploités a traité l’an dernier 63 nouveaux dossiers de prostitution d’ados. Dans plus de la moitié des cas, les proxénètes ont joué un rôle majeur.
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Publié le 11-02-2023 à 07h26 - Mis à jour le 11-02-2023 à 12h54
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Combien de (très) jeunes filles sont-elles exploitées pour vendre leurs charmes ? Impossible à dire. Parce qu’il n’y a pas moyen, en Belgique, de quantifier le proxénétisme des adolescent(e)s. Il n’existe actuellement aucun système de centralisation des données. Ni sur les auteurs, ni sur les victimes. Le phénomène, qui fait des ravages, reste largement dans l’ombre. Sauf quand des langues se délient… C’est d’ailleurs une dénonciation qui a récemment permis à la zone de police de Bruxelles-Capitale/Ixelles d’interpeller trois jeunes hommes, le 9 janvier 2023, un quatrième auteur étant recherché. La bande contraignait des jeunes filles fragilisées à se prostituer, après les avoir inscrites sur “Quartier rouge”, un site que l'on retrouve dans de nombreux autres dossiers de prostitution de mineurs. Les suspects publiaient et géraient des “offres d’emploi”, déplaçant les filles d’un endroit loué à un autre pour les proposer à des clients potentiels.
Hasard du calendrier : deux jours plus tard, le 11 janvier 2023, le tribunal correctionnel de Liège condamnait un Liégeois à cinq ans de prison avec sursis partiel pour des faits de même nature – cinq complices avaient déjà été condamnés à de la prison ferme. Entre décembre 2019 et décembre 2020, les trafiquants avaient recruté six jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, dont quatre mineures d’âge, pour les prostituer, via le même site “Quartier rouge”. Les rencontres étaient organisées dans des hôtels de Liège ou dans des locations Airbnb.
En plein essor
Le phénomène criminel du proxénétisme d’ados “est en plein essor”, affirme la police de Bruxelles-Capitale/Ixelles. Dans quelles proportions ? Là encore, il reste extrêmement compliqué de répondre à la question. Outre l’absence de statistiques officielles, une étude exploratoire sur l’existence de la problématique à Bruxelles, publiée en juin 2020 par Child Focus, pointe une série d’éléments qui expliquent pourquoi il est difficile d’évaluer, en particulier, le nombre de victimes de cette forme de traite des êtres humains. Les ados concernés ont souvent tendance à éviter les contacts avec la police et se montrent plutôt avares en révélations à l’égard de leur famille, de leurs proches ou de la société. C’est par des voies détournées qu’on apprend qu’une jeune fille est sous l’influence d’un proxénète, indique l’étude. Quand une adolescente fugue à plusieurs reprises d’une institution où elle a été placée ; si elle change de cercle d’amis ; si elle s’affiche soudain avec un smartphone dernier cri qu’elle n’a pas les moyens de s’offrir, un sac de luxe, des vêtements de grandes marques…
”Un rôle majeur”
Pour approcher la réalité, on dispose notamment des données collationnées chaque année par Child Focus, la Fondation pour enfants disparus et sexuellement exploités. Les chiffres collectés pour 2022 (qui doivent encore être consolidés) montrent que la fondation a traité 63 nouveaux dossiers de prostitution d’ados l’an dernier, concernant en majorité Bruxelles. Soit une hausse légère par rapport à 2021 (56 cas). “Il existe probablement beaucoup plus de situations qui ne nous sont pas signalées. Le phénomène reste encore malheureusement sous les radars”, pointe d’emblée Héloïse du Roy, experte chez Child Focus.
Dans plus de la moitié des cas (37), les proxénètes d’adolescents ont joué un rôle majeur. “Chez Child Focus, on considère que les proxénètes d’adolescents sont des trafiquants et qu’il s’agit systématiquement d’une forme de traite des êtres humains”, insiste Héloïse du Roy. Raison pour laquelle la Fondation pour enfants disparus et sexuellement exploités n’utilise pas le terme de loverboys, qui a une connotation romantique. Alors que les proxénètes d’ados sont de véritables prédateurs qui déploient des stratégies redoutables (lire par ailleurs).
Une victime d’à peine douze ans
En 2022, comme les autres années, les victimes signalées à Child Focus ont, en moyenne, entre 15 et 17 ans. Mais trois d’entre elles avaient 14 ans, trois autres 13 ans et une mineure avait à peine 12 ans. Il s’agit majoritairement d’adolescentes belges issues du secteur de l’aide à la jeunesse, précise Héloïse du Roy. “Dans certains cas, on constate des liens entre les jeunes filles qui sont exploitées par les mêmes proxénètes.” Une liste d’indices permet de conclure à la forte probabilité qu’il existe un réseau derrière ces dossiers.
Dans les autres cas (26), il ne semble pas y avoir de liens avec un proxénète. Il s’agit, par exemple, de jeunes filles qui postent des photos d’elles sur Snapchat ou TikTok, avec renvoi vers le prix de la prestation. “Mais il ne faut pas se méprendre, insiste l’experte de Child Focus, même sans la contrainte d’un proxénète, d’un point de vue pénal, la prostitution des mineurs est illégale : cela reste de l’exploitation.”
En position de fragilité
Il est très rare que les adolescentes prennent d’initiative contact avec Child Focus (deux cas en 2022). “Il y a un problème d’auto-identification. Certaines jeunes filles ne voient pas le problème et ne se considèrent pas comme victimes.” Dans la majorité des cas, ce sont plutôt des éducateurs, des accompagnants, des parents ou des policiers qui signalent les faits.
S’il n’existe pas de profil type de l’adolescente victime, certaines caractéristiques sont toujours présentes : des jeunes filles en position de fragilité, avec des antécédents familiaux chaotiques. Beaucoup se retrouvent dans le circuit de l’aide à la jeunesse. “Ce sont principalement ces très jeunes filles, en manque de repères socioaffectifs, qui tombent dans les griffes de proxénètes”, ajoute Héloïse du Roy.
Mais une tendance se marque en 2022, souligne l’experte : “Les proxénètes chargent les victimes de prostitution de recruter elles-mêmes d’autres victimes, au sein de l’institution, et de les faire entrer dans le réseau. On a constaté une nette hausse de ce type de dossiers. Quand une jeune fille fugue, entraînée par une copine, elle est happée par un réseau ou par un proxénète qui agit individuellement”. Une manière pour les trafiquants d’éviter de se faire repérer en rôdant aux abords des institutions, de déléguer le “sale boulot” et aussi d’augmenter l’emprise sur ces jeunes filles. “Attention, même si des adolescentes ont un rôle actif comme recruteuses, elles doivent toujours être considérées comme victimes”, insiste Héloïse du Roy.
Le début de l’engrenage
Child Focus observe un parallèle entre les dossiers de fugues et l’exploitation sexuelle dans la prostitution : en 2022, dans plus d’un signalement sur deux (34 sur 63), ce lien est établi. “Dans de nombreux cas, les jeunes qui se retrouvent exploitées dans la prostitution ont fugué dans le passé”, relève encore l’experte de Child Focus. Que ce soit d’une institution ou de chez leurs parents, elles se retrouvent dans une situation de vulnérabilité, sans argent, sans lieu de refuge… Les proxénètes ont vite fait de repérer leurs proies qui errent dans une gare ou dans certains quartiers. Ils les attirent avec des phrases enjôleuses : “Si tu veux, je t’héberge une nuit” ou “Viens te reposer un peu chez moi : tu pourras manger”. C’est le début de l’engrenage.