Les jeunes boivent moins d’alcool, mais l’université reste un lieu à risque: "Il n’y a pour l’instant aucun véritable plan de santé pour le supérieur"
En Angleterre, 26 % des jeunes de 16 à 24 ans disent ne plus boire d’alcool. Chez nous, la consommation de bière a diminué de moitié en 30 ans. Les jeunes Belges se montrent plus sobres que les générations précédentes. Mais les taux de consommation d’alcool se révèlent toujours très élevés chez les étudiants du supérieur.
Publié le 23-02-2023 à 11h31
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Le succès de la tournée minérale qui bat son plein actuellement en Belgique en est l’un des signes : la consommation d’alcool est à la baisse depuis de nombreuses années déjà chez nous. Cela se marque notamment dans les tableaux statistiques du dernier rapport annuel des Brasseurs belges. On y apprend que la consommation annuelle de bière en Belgique est passée, en trente ans, de 12 017 à 6 512 milliers d’hectolitres, soit presque une diminution de moitié. La Belgique n’est pas un cas isolé. L’Europe des 27 dans son ensemble est passée de 9,5 % de consommateurs d’alcool quotidiens en 2014 à 8,4 % en 2019. Le baromètre européen d’octobre 2022 (Eurostat) montre que l’abstinence a grimpé de 25,1 % à 26,2 % sur la même période.
Le niveau d’étude est déterminant
Cette diminution de la consommation se marque également chez les jeunes. Selon les chiffres les plus récents livrés par l'institut de santé publique Sciensano, 28 % des Belges âgés de 15 à 24 ans sont considérés comme abstinents. Colin, étudiant en master de journalisme, par exemple, se tient à distance de l'alcool. "Je n'aime pas particulièrement la bière ou l'alcool, explique-t-il. J'ai commencé à boire pour rentrer dans le moule, comme beaucoup d'autres je pense. Mais je bois seulement avec mes bons amis. Je ne me sens pas obligé de boire dès qu'il y a de l'alcool sur la table. Je n'ai jamais été saoul ou vomi."
Le passage dans l’enseignement supérieur semble cependant être un élément déclencheur déterminant pour la consommation d’alcool. Plus le niveau d’éducation est élevé, plus la consommation quotidienne d’alcool augmente chez les jeunes. Et l’attrait néfaste demeure, une fois sorti des études. Quelque 10,9 % des personnes issues de l’enseignement supérieur boivent tous les jours, selon l’enquête de santé sur la consommation d’alcool menée par Sciensano en 2018. Autre chiffre : 51,3 % des moins scolarisés boivent contre 85,7 % des plus instruits. Soit une proportion bien plus significative, prouvant que la fréquentation des établissements supérieurs fait exploser la consommation d’alcool.
Un besoin d’appartenance
"J'ai commencé à boire avec des amis à 16 ou 17 ans, confirme Marie, étudiante en journalisme à Bruxelles. J'ai l'alcool social. Depuis le début de mes études supérieures, je bois en plus grande quantité, et des alcools plus forts. J'en suis consciente mais je sais aussi dire stop pour ma santé. Ce n'est pas directement à cause des études que je bois davantage. Simplement, je sors plus souvent et je rencontre plus de gens. Pour moi, l'alcool rend les discussions plus conviviales, c'est un plaisir."
Ce qui n'étonne pas Pierre-Henri Mullier, psychologue et alcoologue à Leuze-en-Hainaut : "Les jeunes ont un besoin d'appartenance très marqué. En arrivant à 18 ans à l'université, on commence à boire et on se cale sur le groupe auquel on appartient. Le risque, avant 25 ans, est que l'alcool interfère avec le développement du cerveau. L'alcool est un lubrifiant social et connoté positivement. Je suis moi-même passé par-là, j'ai observé des consommations à risque."
"Il n’y a pour l’instant aucun véritable plan de santé pour le supérieur"
C'est une réalité : les jeunes prennent le temps pour décrocher leur diplôme. Seuls 27 % des étudiants en bachelier terminent leur cursus sans retard, selon la publication Regards sur l'éducation de 2019 (OCDE). Les études supérieures ont donc tendance à se prolonger. Or c'est une période cruciale pour la consommation d'alcool.
Vincent Lorant est sociologue en santé publique (UCLouvain). Il se félicite d'emblée qu'"au cours des dernières années, les jeunes consomment de plus en plus tard de l'alcool". "Ce qui est une bonne chose, explique-t-il. L'âge de la première consommation est un déterminant majeur. C'est pour cela que les marques ciblent les jeunes. C'est une stratégie très cynique. Plus vous consommez jeune, plus vous avez de risques de devenir dépendant à l'alcool." Dans un pays reconnu pour sa bière, nous sommes en droit de nous demander si cela ne joue pas un rôle. "La consommation d'alcool à l'université est en grande partie le résultat d'une culture universitaire, avance l'expert. La Belgique n'a rien à voir là-dedans."
Un fossé entre les genres
"Il y a des jeunes qui ne consomment pas d'alcool et d'autres qui en consomment excessivement, insiste Vincent Lorant. La consommation varie fort d'une faculté à l'autre. Les ingénieurs et agronomes boivent très différemment des psychologues, par exemple." La différence entre ces facultés ? Le genre des étudiants. La consommation d'alcool dans les facultés majoritairement masculines est beaucoup plus importante que dans les autres facultés.
Et pour cause. Les femmes consomment moins que les hommes, toutes tranches d'âge confondues. Selon l'étude Sciensano de 2018, 34 % des femmes entre 18 et 24 ans s'abstiennent de boire, contre 22 % des hommes dans la même tranche d'âge. Pourquoi ? "Il y a derrière cette moindre consommation une stratégie de prudence. Les femmes comme les hommes boivent parfois de l'alcool pour réduire leurs inhibitions, notamment dans leurs relations à l'autre genre. Mais les risques sont bien plus élevés pour les femmes. Sur une étude que j'ai réalisée à l'UCLouvain il y a quelques années, entre 10 % et 12 % des étudiants admettaient avoir eu des relations sexuelles regrettées après une surconsommation d'alcool. Et puis les hommes métabolisent l'alcool plus facilement que les femmes."
Parmi les autres risques liés à l’alcool en milieu étudiant : l’impossibilité d’étudier, le séchage de cours, les blessures physiques, ou encore la violence sexuelle, autant comme victime que comme agresseur(e).
Chaque jeune doit dès lors créer sa propre culture de l’alcool, construire sa propre approche en ayant conscience des risques que cela peut engendrer et de l’environnement dans lequel il consomme. La remise en question ne doit en aucun cas être taboue.

Des consommations à risques
Selon l'enquête de santé de Sciensano de 2018, le nombre de personnes en Belgique ayant connu des problèmes liés à l'alcool a augmenté de moitié entre 2013 et 2018, grimpant de 10,3 % à 15 % de la population. Alors oui, les jeunes boivent moins, mais les comportements à risque ne diminuent pas pour autant. "L'environnement dans lequel les jeunes commenceront à boire est fondamental, professe Vincent Lorant. Cette initiation ne se fait désormais plus à la maison, mais dans les milieux universitaires. Si vous exposez la moitié des jeunes à des pratiques de consommation excessive, sans cadre, alors vous allez droit vers un problème." Les établissements d'études supérieures - universités comme hautes écoles - ont un rôle majeur à jouer dans la santé des jeunes. Les choses tendent à s'améliorer légèrement. Des initiatives sont prises. Une première polyclinique dédiée aux problèmes d'alcool chez les jeunes ouvrira ses portes à Anvers en avril. Une initiative qui est le fruit d'une collaboration entre l'Université d'Anvers et l'hôpital de la ville néerlandaise de Delft.
La Belgique est, à ce niveau-là, en retard par rapport à ses voisins néerlandais où une telle structure existe depuis plus de dix ans déjà. Et Vincent Lorant de conclure : "Je n'observe pas de plans de la Fédération Wallonie-Bruxelles à ce niveau sauf quelques campagnes éphémères. Il n'y a pour l'instant aucun véritable plan de santé pour le supérieur. Chaque établissement agit à sa façon."