"Mon stage d’infirmière devait être un rêve. Je suis devenue de la main-d’œuvre gratuite et corvéable pour des supérieurs qui me méprisent"
Mépris, humiliation, remarques sexistes ou racistes des patients sous le rire moqueur du personnel soignant : des étudiants en soins infirmiers témoignent de leurs conditions de stage.
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Publié le 28-02-2023 à 06h35 - Mis à jour le 28-02-2023 à 13h22
Sara, Élodie, Maeva et Thomas (prénoms d’emprunt) sont étudiants en 2e année dans une haute école de soins infirmiers à Bruxelles. Une profession qu’ils ont surtout découverte durant la crise sanitaire. “Des héros et surtout des héroïnes – parce qu’il y a beaucoup de femmes – à qui on avait envie de ressembler”, lance Sara. “Et la pénurie du secteur était aussi un incitant, parce que ça nous assure d’avoir un job à la sortie des études. Et ça, c’est un vrai plus”, poursuit Maeva. Sauf que ces jeunes ont très vite déchanté.
S’ils s’attendaient à vivre un cursus réputé difficile dans le domaine médical, ils ne s’imaginaient pas que leurs rêves se transformeraient en cauchemar. Pas encore diplômés, certains songent déjà à abandonner. D’autres luttent pour terminer leurs études avec en tête une volonté bien précise : “Dénoncer cette culture du non-dit sur cette violence qui marque le monde des infirmiers”. “Parce que mon stage d’infirmière devait être un rêve. Je suis devenue de la main-d’œuvre gratuite et corvéable pour des supérieurs qui me méprisent. Je n’en peux plus”, explique Sara, en retenant ses larmes.
Si la bande de copains ose s’exprimer, c’est toutefois de façon anonyme pour “éviter des problèmes en plus avec nos écoles et nos encadrants dans les hôpitaux”. “Nous avons peur, et en même temps, on veut parler pour donner du courage aux autres.”
Mépris, humiliation des supérieurs, harcèlement, remarques sexistes ou racistes des patients sous le rire moqueur du personnel soignant… La bande d’étudiants dit avoir déjà tout vécu. “On savait qu’on entrait dans un monde compliqué. Mais là, on est dégoûtés.”
"J’ai expliqué que ça n’était pas normal, qu’on était plusieurs à se plaindre de la situation, mais la supérieure est intervenue pour dire : 'votre avis de stagiaire, vous pouvez vous le f*** là où je pense. Moi, contrairement à vous, j’ai un diplôme. Donc chacun reste à sa place, et votre place, c’est en bas'. Quand quelqu’un vous humilie comme ça, à part pleurer, y a rien à faire."
”On doit juste obéir. Si on n’obéit pas…”
”Toutes les infirmières qui nous encadrent ne sont pas à mettre dans le même sac, poursuit Sara. Mais les encadrants bienveillants sont si rares qu’on s’est dit qu’il y avait un problème profond. Durant l’un de mes stages, je devais à la fois me charger de la médication des patients, prendre les paramètres de l’ensemble de l’unité et faire les soins d’hygiène. Bref, je devais me couper en trois. Parfois, j’étais seule. J’avais peur, parce que c’est une lourde responsabilité et qu’on est là pour apprendre, pas pour remplacer des collègues plus expérimentés.”
Maeva poursuit : “Un jour, l’infirmière que je suivais m’a demandé de prendre les paramètres de tout l’étage. Je pensais le faire avec elle, mais je me suis retrouvée seule. Pendant ce temps-là, elle se prenait une tasse de thé et papotait avec le reste de l’équipe”. “J’étais choquée, mais j’ai quand même essayé de me défendre, explique la jeune fille. J’ai expliqué que ça n’était pas normal, qu’on était plusieurs à se plaindre de la situation, mais la supérieure est intervenue pour dire : 'Votre avis de stagiaire, vous pouvez vous le f*** là où je pense. Moi, contrairement à vous, j’ai un diplôme. Donc chacun reste à sa place, et votre place, c’est en bas'. Quand quelqu’un vous humilie comme ça, à part pleurer, y a rien à faire.”
Thomas, qui raconte avoir vécu une expérience similaire, ajoute : “En fait, nous, on doit juste obéir. Et si on n’obéit pas, c’est la m****”.
"J’ai peur de devenir un robot, d’être complètement déshumanisée par cette expérience alors que je pensais me former pour la plus humaine des professions."
Harcèlement et rires
Il n’est pas rare non plus que le malaise provienne du comportement des patients, racontent les jeunes. Et en parler aux infirmières encadrantes ne semble pas être bénéfique. “On nous répète souvent qu’on n’a pas le droit de pleurer, qu’on doit tout intérioriser. Du coup, notre échappatoire, c’est la toilette. C’est là-bas qu’on va pour pleurer en cachette.” Sara hoche de la tête, pour acquiescer. “À mon premier jour de stage, mon patient est mort et j’ai pleuré. L’une des infirmières m’a dit : 'Pas de larmes, on n’a pas le temps pour ça, ici'”. Élodie ajoute : “J’ai peur de devenir un robot, d’être complètement déshumanisée par cette expérience alors que je pensais me former pour la plus humaine des professions”.
Sara dénonce également une vision “hypersexualisée” de la profession. Et de citer des exemples de réflexions entendues de la part de collègues. “Mais ça, c’est encore rien comparé aux rires quand un patient dit ou fait un truc bizarre. Comme ce monsieur que j’ai dû nourrir, car il ne savait pas le faire seul. Mais qui a quand même réussi à mettre sa main sur ma cuisse, ce qui faisait rire l’infirmière qui me supervisait”, déplore la jeune fille. “Ou encore ce patient qui m’a demandé si je n’étais pas une nourrice africaine, en faisant un geste sous-entendant que j’avais une grosse poitrine.”
Et de poursuivre : “Un jour, un patient m’a dit : 'Je vous trouve hypersensuelle'. Au début, j’ai rien dit, parce que franchement, on ne sait pas comment réagir. En plus, l’infirmière que je suivais était là et elle n’a pas dit un mot. Quelques jours plus tard, le même patient m’a dit :'J’ai rêvé qu’on avait fait l’amour toute la nuit, et à la fin, vous avez même dit merci'. J’ai eu peur, j’ai quitté la chambre en courant. Et vous savez qu’elle a été la réaction de l’infirmière qui m’encadrait ? Elle a raconté ça à tout le personnel, tout le monde a bien rigolé. Et moi, j’ai bien pleuré”, confesse-t-elle.
Campagne de sensibilisation et collecte de témoignages
Ces stagiaires ont interpellé le Conseil étudiant de leur établissement pour leur faire part de leurs difficiles expériences. Le Conseil s’est dit “inquiet d’entendre le vécu de leurs camarades”, et “inquiet face à l’inaction de la coordination des stages et de l’école quand des élèves soulèvent des problèmes”.
Une campagne de sensibilisation et de recueil de témoignages sera prochainement lancée pour saisir les autorités académiques et politiques. “Même quand on en parle à l’école, y a zéro réactions des profs. Donc on espère que ça va bouger. Parce qu’on est très nombreux à souffrir, et on veut que ça s’arrête”, concluent Sara, Élodie, Maeva et Thomas.