À Saint-Josse, le squat des demandeurs d’asile est un geste politique : “Le droit à la propriété est bafoué, mais le droit à l’accueil l’est aussi”
Une centaine de personnes occupe le futur centre de crise fédéral. La police surveille de près.
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Publié le 15-03-2023 à 20h30 - Mis à jour le 15-03-2023 à 23h54
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Derrière les vitres du bâtiment qui hébergera bientôt le centre de crise fédéral, les premières têtes émergent des sacs de couchage. Le troisième jour d’occupation des demandeurs d’asile démarre. Quelques journalistes arrivent et filment à travers la façade transparente. Petit à petit, on décèle du mouvement à l’intérieur. Des personnes viennent montrer leur visage, lèvent le pouce, signalent que tout va bien. Dehors, les téléphones s’activent. On prend des nouvelles de l’intérieur, des mots s’échangent dans un mauvais anglais, parfois en Ourdou ou en Kirundi. “On dirait un vivarium géant”, observe ce cameraman de l’agence de presse internationale Reuters. Drôle de spectacle.
Depuis dimanche soir, une septantaine de demandeurs d’asile a trouvé refuge dans ce bâtiment inoccupé, à deux pas de la gare du Nord. Un énième point de chute pour ces délaissés de Fedasil, l’agence de l’accueil censée leur fournir un toit. Tous avaient trouvé refuge au Palais des Droits à Schaerbeek. Lors du démantèlement de ce squat géant, ils avaient été laissés sur le carreau. Ils avaient alors dressé des tentes sur les quais en face du Petit-Château, avant d’en être expulsés. Sans solution de logement, une soixantaine d’entre eux avait séjourné à “L’allée du Kaai”, un bâtiment en face de Tour et Taxi. Mais là aussi, la police les a délogés manu militari.

Bientôt devant la justice
Une fois de plus à la rue, ces demandeurs d’asile cherchaient un endroit où se protéger du froid et de la pluie. Entourés par différents groupes de soutien et de juristes, ils s’accordaient sur le bâtiment du futur centre de crise, vide le temps des travaux d’aménagement. Un choix hautement symbolique. “Il y a très clairement une dimension politique dans le choix du lieu”, pointe Yan, l’un des porte-parole du mouvement.
D’un point de vue logement, les exilés auraient plus d’intérêts à trouver une place dans un des autres squats sur le territoire de la région bruxelloise. Même s’ils ont accès à des douches chaudes et à l’électricité à l’intérieur, le focus médiatique posé sur l’occupation en fait un sujet ultra-sensible. La preuve avec cette requête unilatérale lancée par la Régie des bâtiments (propriétaire du site) afin de faire vider les lieux. L’affaire passera devant la justice de paix de Saint-Josse-Ten-Noode dans les prochains jours.
La thèse qui sera défendue par les avocats des demandeurs d’asile est déjà connue : puisque le bâtiment est la propriété de l’État belge et que c’est justement à cause du non-respect des lois par l’État belge que ces demandeurs d’asile sont à la rue, n’y a-t-il pas lieu de maintenir l’occupation ? “On nous dit que le droit à la propriété est bafoué, mais le droit à l’accueil l’est aussi”, résume l’avocate Marie Doutrepont.
Du mauvais côté de la vitre
Depuis le début de l’occupation, la situation est assez nébuleuse. Après un blocus policier de 24 heures, les demandeurs d’asiles résidant dans le bâtiment peuvent désormais être ravitaillés et accompagnés. Les places à l’intérieur sont comptées. Personne ne veut entrer. Les exilés à la rue qui se présentent encore sont contraints de dormir devant le bâtiment. Ils étaient une quarantaine mercredi.
Fedasil n’avait pas de solution pour moi, malgré ce qu’on m’avait assuré.
Parmi eux, Neba (prénom d’emprunt), demandeur d’asile camerounais. Il tente de se réchauffer et de faire sécher le carton mouillé par la pluie glacée qui lui a servi de matelas cette nuit. La veille, il avait un toit à la Porte d’Ulysse, ce logement d’urgence mis en place par la Plateforme citoyenne. Mais le délai maximal de 28 jours est parvenu à échéance. “Et Fedasil n’avait pas de solution pour moi, malgré ce qu’on m’avait assuré”, déplore-t-il.
Il y a un mois, lorsque Neba a été mis à la porte du Palais des Droits, on lui avait assuré qu’il aurait une place dans un centre Fedasil. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a accepté de loger dans un centre d’urgence, dont la place est par définition temporaire. Mais le voici désormais contraint de dormir à la rue, du mauvais côté de la vitre. “Je suis arrivé le lendemain du début de l’occupation et il ne laisse plus entrer personne”.
Une sexagénaire à l’hôpital
Pour les citoyens venus en soutien, la situation est bien obscure. Ils peuvent se relayer mais l’échange entre l’intérieur et l’extérieur se fait au compte-goutte. “On dirait un transfert de prisonnier”, sourit tristement l’un d’eux, qui a assisté à la scène. Ce mercredi, la police a même cloué les portes, à l’exception des issues de secours, pour faciliter le contrôle. La relation avec les forces de l’ordre est pour le moins houleuse. En témoigne le séjour à l’hôpital d’une des bénévoles, sexagénaire, de l’association “Cuistots solidaires”, blessée à l’épaule par les policiers lorsque ces derniers tentaient d’empêcher le ravitaillement en papier toilette.
Les rumeurs vont bon train quant aux risques encourus par ceux qui séjournent à l’intérieur. S’exposent-ils à des poursuites au nom de la loi anti-squat ? Par prudence, une partie d’entre eux préfère avancer masqués. D’autres, en revanche, ne craignent pas les poursuites, à l’instar de Yan. “Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout. Mais s’il y a un procès, nous en ferons un procès politique”, assure-t-il.