Faut-il revoir le rôle du prêtre ? Le débat qui agite l’Église
La chute des vocations, la réorganisation des paroisses, la place des femmes… interrogent fortement le rôle et la place des prêtres. Faut-il fondamentalement réorganiser l’Église pour ne plus en faire une figure centrale ? Deux conceptions de l’Église s’opposent.
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Publié le 27-03-2023 à 10h31
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Ce fut un sacré pavé dans la mare. Mi-février, sept laïcs et deux prêtres liégeois, engagés dans leur diocèse, publiaient une brochure de 50 pages intitulée Rendons l’Église au peuple de Dieu ! Pour en finir avec le cléricalisme. Leur objectif était de susciter un vigoureux débat, car bien des maux de l’Église (son manque de dynamisme, d’accueil, d’égalité…) seraient de près ou de loin attachés à la figure du prêtre, à sa prépondérance et à l’incapacité de nombreux prêtres de tisser des relations “vraies”, “égalitaires” et “fraternelles”. Il serait donc nécessaire de supprimer le clergé dans sa forme actuelle, avançaient les signataires.
Cette brochure a suscité des félicitations, mais a également essuyé de rapides contre-feux. Dans un geste rare, l’évêque de Liège Mgr Delville s’est ainsi fendu d’un communiqué évoquant des questions “très pertinentes”, mais des réponses “mal instruites” et des propos caricaturaux. Une pétition contre cette brochure a rassemblé plus de 1700 signataires et différentes tribunes (dont une opinion intitulée “Nous ne voulons pas une Église sans prêtres” et publiée sur le site de La Libre) défendaient la légitimité de la figure du prêtre et appelaient non pas à la supprimer, mais à penser une juste complémentarité entre les différentes vocations dans l’Église.
Deux conceptions de l’Église
Si cette brochure a suscité tant de réactions, c’est qu’elle pointe une interrogation qui travaille profondément l’Église catholique en ce moment. Partout, tout le temps, la figure du prêtre, sa nature, sa fonction sont interrogées. Que l’on évoque la place des femmes (et donc leur accès à la prêtrise), l’avenir des paroisses et l’absence des vocations, les causes de certains abus, la hiérarchie, le célibat, l’importance ou non de la messe (comme durant les confinements)… l’on revient toujours à la question de la prêtrise et des sacrements (la confession, l’eucharistie…) que les prêtres sont aptes à administrer. Cette question est également centrale dans le cadre du “synode sur la synodalité”, une vaste réflexion mondiale en cours et initiée par la Pape sur l’organisation de l’Église.
En schématisant, il est possible de distinguer deux conceptions de l’Église dans de tels débats. La première considère que la figure du prêtre est plus ou moins importante, mais qu’elle connaît des limites, qu’elle est appelée à évoluer (l’ordination d’hommes mariés, la possibilité pour les communautés d’élire leur pasteur… sont autant de pistes évoquées). Les tenants de cette sensibilité soulignent qu’au regard de la chute des vocations il faut apprendre à ne plus faire du prêtre une figure centrale dans la vie de foi et donner davantage de place à l’ensemble des baptisés. La deuxième conception s’appuie sur la doctrine et croit au contraire que cette figure est indépassable et qu’elle porte des fruits irremplaçables. On ne peut abdiquer, insistent ces seconds. Il faut donc se battre – quoi qu’il en coûte – pour encourager et soutenir les vocations.
Ce débat est redoutable, car le prêtre ne remplit pas qu’une fonction administrative, fonctionnelle, organisationnelle. Le ministère du prêtre est une vocation particulière qui touche le cœur de la foi catholique. Lorsqu’il administre des sacrements, l’Église croit qu’il agit in persona Christi (en la personne du Christ). Il a donc le “pouvoir” de renouveler les gestes que Jésus aurait posés, de prolonger sa prédication et son œuvre. Chercher à revoir son rôle, ce n’est donc pas réactualiser un organigramme, mais interroger les fondamentaux de la doctrine. Ce débat témoigne donc de courants devenus difficilement conciliables dans le catholicisme, soulignent les sociologues Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel dans leur ouvrage Vers l’implosion ? (Éd du Seuil). Il ne concerne pas en effet “des divergences ou des conflits idéologiques secondaires”, mais “le contenu même de la foi chrétienne”.
Une question qui s’impose sur le terrain
Inutile de penser qu’il s’agit d’une question théorique pour passionnés de théologie. C’est la réalité de terrain qui la remet au premier plan. Tous les diocèses manquent de prêtres pour tenir le maillage actuel des paroisses. Le 13 février, dans La Libre, l’évêque auxiliaire de la capitale Mgr Kockerols proposait aux laïcs de monter au front, d’assumer leurs responsabilités, de diriger et de coordonner les paroisses. “Attention, précisait-il, je ne cherche pas à créer une Église sans prêtre, mais ils ne peuvent plus tout faire.” Inévitablement, cet appel interrogeait à son tour la place des prêtres, leur rôle, ce qu’ils peuvent ou non lâcher. Il a suscité de ce fait de nombreuses réactions contradictoires, certaines encourageant la recherche d’un nouveau fonctionnement paroissial, d’autres regrettant que Mgr Kockerols ne se batte pas davantage pour susciter des vocations à Bruxelles.
”Pourra-t-on partout mettre en place des équipes de laïcs suffisamment formés et outillés pour pallier le manque de prêtres ? Je ne sais pas. La place et le rôle que peuvent encore tenir les prêtres sont désormais des questions qui se posent avec acuité dans le quotidien des catholiques”, reconnaissait un prêtre de la capitale. “Ces questions relatives aux missions de chacun ont déjà été ouvertes lors du Concile Vatican II il y a soixante ans, et le pape François les poursuit, expliquait de son côté Joël Spronck, recteur du Séminaire de Namur. Je suis persuadé que l’Église a besoin de tous les ministères ordonnés et laïcs. La question est donc de comprendre comment articuler cette diversité, dans une juste collaboration dont on doit dessiner les contours. Cette complémentarité est décisive pour l’Église.”
”À long terme, je suis assez confiante, soulignait une laïque très investie dans son diocèse. On trouvera cette juste collaboration, chacun fera un pas vers l’autre. Mais, pour l’heure, on ne peut que constater un malaise et des incompréhensions mutuelles.” La cause ? Les besoins sur le terrain et le manque de prêtres progressent plus vite que le temps nécessaire à la réflexion et à la formation.
Témoignages
”Au séminaire, nous sommes aussi travaillés par ces questions”
Martin Van Breusegem, séminariste : “Ici au séminaire de Namur, nous sommes aussi traversés et travaillés par les questions relatives à la figure du prêtre et à sa mission. Et c’est heureux, bien que nous sommes parfois ébranlés quand la prêtrise est considérée comme cause de nombreux problèmes. Je pense d’ailleurs que l’on se trompe de débat quand on tombe là-dedans. Pour que l’Église progresse, il ne faut pas d’abord penser les choses en termes de pouvoirs, d’organisation. Non, nous devons réfléchir à savoir comment nous formons, au sein de l’Église, une communion. Cela paraît théorique, mais je le vis concrètement au quotidien. Dès que j’échange avec des couples, des familles, des célibataires, je remarque que nous sommes tous appelés à la sainteté, mais selon des modes différents : certains en tant que prêtre, d’autres en tant que familles… Et que chacun, en fonction de qui il est, peut aider les autres. Je crois donc à la complémentarité des vocations. Et s’il faut toujours réinterroger nos collaborations et les pouvoirs qui s’y jouent, j’espère que nous ne nous arrêterons pas là, que nous nous émerveillerons plutôt de nos différences en cherchant à former une famille.”
”Nous sommes seuls face à ces questions”
Michel Rongvaux, prêtre à Bruxelles : “Pour les prêtres, ces débats qui interrogent directement leur vocation et leurs missions ne sont pas toujours faciles à vivre. Ce qui l’est d’autant plus c’est qu’à Bruxelles, nous n’avons pas de lieux ni d’espaces propices pour échanger librement entre prêtres, entendre les positions des uns et des autres, débattre, nous comprendre… Chacun travaille de chez soi et nous sommes finalement fort seuls et isolés face à ces questions. Or si on veut avancer, imaginer peut-être d’autres manières d’exercer nos vocations, bien comprendre ce qu’elles ont de spécifique, de tels lieux sont indispensables. Bien sûr, il en faudra d’autres pour discuter avec les laïcs, mais on ne peut vouloir changer de système, dire que l’on va remplacer ce que font les prêtres par une batterie de laïcs, sans mettre en place de tels espaces et prendre le temps de s’écouter.”
”L’Église se tire une balle dans le pied”
Xavier Lambrecht, prêtre et coauteur de la brochure Rendons l’Église au peuple de Dieu ! “Ce qui nous a rassemblés pour réfléchir et rédiger cette brochure, c’est le fait que nous œuvrons à la marge de l’institution, dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les centres psychiatriques… Et que constatons-nous aujourd’hui ? Que pour que les gens aient accès aux sacrements qui sont des moments considérés comme importants dans la vie de foi, il faut un prêtre. Or les prêtres sont très peu disponibles, nous sommes donc dans l’impasse. Et l’Église, qui dit vouloir accueillir, se tire donc une balle dans le pied en restant structurée comme elle est. En relisant les Évangiles, nous avons aussi réalisé que Jésus prenait beaucoup de libertés par rapport au sacré et qu’il accordait d’abord une attention particulière aux personnes humaines et aux communautés croyantes. Nous avons donc voulu réfléchir et revenir aux origines pour comprendre comment l’Église était devenue ce qu’elle est devenue. Voir ensuite si nous pouvions la penser et l’organiser non plus à partir des prêtres, mais à partir des personnes et des communautés en leur offrant plus d’autonomie pour vivre leur foi. Nous avons essuyé des critiques, mais beaucoup de prêtres nous ont soutenus et remerciés. La réflexion continue !”