De nombreuses ados attendent d’être hospitalisées en psychiatrie pour des troubles alimentaires : “On essaie de gérer”
Reportage à la clinique La Ramée, à Bruxelles, qui dispose d’une unité spécialisée pour les jeunes atteints d’anorexie, de boulimie et d’hyperphagie. Les 15 lits sont occupés par des jeunes filles.
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- Publié le 01-06-2023 à 06h32
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”Mettez la ceinture : on décolle…” Une plaisanterie de l’infirmier pour adoucir l’admission du nouveau patient, un vieil homme au visage éteint. La porte de l’ascenseur de la clinique La Ramée (réseau Epsylon), à Uccle, au sud de Bruxelles, se referme. Direction : le 3e étage. L’unité 3 y accueille des personnes âgées hospitalisées en psychiatrie générale.
Un étage plus bas, l’unité 2 affiche complet. C’est ici qu’on prend en charge les problèmes liés aux troubles des conduites alimentaires (TCA) avec des projets spécifiques pour les adolescents (moins de 19 ans) et les jeunes adultes (19-24 ans). Les TCA traités en psychiatrie sont l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique – et pas les problèmes de surpoids, par exemple.
Les 15 lits ados sont tous occupés par des jeunes filles. Et la liste d’attente est longue d’une trentaine de noms, précise le docteur Judith Dereau, psychiatre infanto-juvénile, médecin-chef du service. L’unité créée il y a plus de 30 ans par le docteur André Passelecq est reconnue pour son expérience et son expertise. Une quarantaine de personnes, dont des psychologues, interviennent autour des patients dans une orientation de travail à la fois psychanalytique et systémique.
L’unité croule sous les demandes
Les confinements liés au Covid ont provoqué un impact certain sur le nombre de cas d’anorexie mentale. “Les problèmes alimentaires, c’est une solution que des jeunes ont trouvée pour exprimer des difficultés individuelles, relationnelles, sociales, familiales et, la plupart du temps, avec des enjeux autour de leur autonomie”, décode la psychiatre infanto-juvénile. La médiatisation de la souffrance des adolescents pendant la crise sanitaire a tout de même eu un effet positif : déculpabiliser les parents qui se sont tournés plus vite, et avec moins de résistance, vers les professionnels, relève le Dr Dereau.
À l’occasion de la Journée mondiale des troubles des conduites alimentaires (TCA), le 2 juin, le médecin insiste. “Il y a toujours quelque chose à entendre au-delà du symptôme alimentaire, avance-t-elle. C’est le travail que nous proposons dans notre unité spécialisée.”
Qui croule sous les demandes. “C’est compliqué. On essaie de suivre l’ordre chronologique, mais il y a parfois des courts-circuits demandés par des professionnels : quand une jeune passe dix fois par les urgences, on ne peut pas faire autrement que la prendre”. Comme en écho, le portable du Dr Dereau sonne avec insistance. Une consœur qui demande une prise en charge pour une fille de 15 ans déjà hospitalisée dans une autre structure. “Un transfert ? Ouh… On galère ici… Je suis vraiment ennuyée. Je dois voir avec les admissions. On se tient au courant.” Le Dr Dereau raccroche. Lâche un soupir. “Vous voyez, c’est du direct.”
Une offre nettement insuffisante
“On tente de gérer avec les solutions ambulatoires. On met des balises, comme le BMI (l’indice de masse corporelle ou Body mass index, en anglais, NdlR). S’il n’y a pas d’évolution positive, on doit hospitaliser”. Mais l’offre de soins pour répondre à la souffrance des jeunes est actuellement largement insuffisante : il manque des places dans tous les services de santé mentale, il n’y a pas assez de psychologues, de psychiatres, d’infirmiers… Les services de médecine interne acceptent très difficilement les jeunes patientes anorexiques, même avec une dénutrition sévère, parce que la durée d’hospitalisation est trop longue et les soins psychiques insuffisants.
La nouvelle politique de santé mentale pour enfants et adolescents a permis de renforcer le dispositif d’aide et de soins déjà existant dans chaque province, notamment avant et après une hospitalisation, convient le Dr Dereau.
Un espace irremplaçable, un temps incompressible
Mais cela ne résout pas – loin de là – l’équation. “Les politiques de soins vont vers une réduction tant des lits d’hospitalisation que de la durée des séjours”, relève la cheffe de service de l’Unité 2 de La Ramée. “Ce qui peut être valable pour les adultes ne l’est pas forcément pour les jeunes. Pour une partie des adolescents et des jeunes adultes, l’espace thérapeutique créé par l’hospitalisation est parfois irremplaçable et le temps incompressible pour le travail qui est à faire”, indique la psychiatre infanto-juvénile.
Au deuxième étage, l’aile de gauche est réservée aux ados. Les jeunes atteintes de troubles des conduites alimentaires restent hospitalisées 3 mois en moyenne, même si certaines y passent jusqu’à 9 mois. Il y a un local kiné, où on travaille l’image du corps, une salle de détente, un espace pluriel, avec des miroirs, pour des ateliers “soins de soi”… Deux fois par semaine, les jeunes filles sont pesées. Un moment souvent difficile. Il y a aussi un petit local de soins où les adolescentes font la queue pour refaire leurs pansements. “On constate une augmentation de la gravité des tentatives de suicide et des actes autoagressifs, essentiellement des scarifications”.
Recréer des expériences positives
À La Ramée, les jeunes patients ont des activités obligatoires de 9 heures à 16 heures, 50 % scolaires et 50 % thérapeutiques. Pour accéder au lycée thérapeutique de l’hôpital, il faut traverser le joli jardin. “On fait du 'half en half' pour recréer des expériences positives, explique Stéphane Vandenabeele, coordinateur du lycée thérapeutique. Ce lieu permet au jeune de rester dans la réalité de la vie à l’extérieur. Parce que la scolarité, c’est leur société à eux. Certains sont en souffrance à l’école, mais d’autres l’investissent trop, l’utilisant comme paratonnerre pour éviter de penser à autre chose. On cherche un équilibre, entre le maintien d’un apprentissage et un respect de soi-même.”