Dans une crise aiguë de douleurs, elle se jette du 4e étage de l’hôpital. Son conjoint porte plainte contre l’établissement
Pour Gilles (prénom d’emprunt), l’hôpital n’a pas répondu aux attentes de sa compagne qui souffrait au point d’évoquer le suicide. Il saisit la justice, estimant qu’il s’agit d’un homicide par défaut de prévoyance.
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- Publié le 10-06-2023 à 20h58
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”Je viens de finaliser ma plainte. C’est bon, je suis enfin prêt à commencer mon combat”, explique Gilles (prénom d’emprunt), muni de son document d’une dizaine de pages que La Libre a pu consulter. Y est repris le récit glaçant du drame survenu en juin 2022. La compagne de Gilles, Marie (prénom d’emprunt), était à l’hôpital pour des soins en urgence qui, selon Gilles, ne lui ont jamais été prodigués. La douleur était si intense que Marie mettra fin à ses jours de façon tragique.
Pour son compagnon, ça n’était pas un accident. Il attaque l’hôpital pour homicide avec défaut de prévoyance et de précaution. “Le combat judiciaire sera extrêmement long et pénible, mais je le fais pour ma compagne, je le fais pour les autres patients, pour que cela ne reproduise plus jamais. Je le fais pour que tout le monde sache qu’en Belgique, on peut aller à l’hôpital et ne pas être pris en charge. Et qu’on peut en mourir. J’avais confiance en ces services médicaux belges. Mais cette confiance est rompue. Je suis ébranlé”, confie Gilles, ému.
De puissants médicaments, sans effets
Tout a commencé en février 2021. Marie, qui souffre depuis de nombreuses années de douleurs périnéales aiguës, apprend qu’elle est également atteinte d’un cancer du côlon. Le diagnostic est brutal, mais il a été posé à temps. La maladie pourra donc être traitée et Marie espérer, bientôt, de jours meilleurs. “Nous étions reconnaissants envers ce médecin qui a posé les bons gestes et le bon diagnostic”, raconte Gilles. Les traitements se poursuivent, et la vie reprend presque son cours normal, même si, pour apaiser la douleur, la jeune femme devra prendre de puissants médicaments.
En mai 2022, les douleurs reviennent. Elles sont d’une violence jamais atteinte auparavant. Marie souffre. Son médecin traitant lui prescrit de puissants opioïdes qui ne la soulagent pas. “Elle dormait à peine, on ne sortait presque plus parce que ça n’était plus possible. Il faut savoir que l’un des effets secondaires des médicaments prescrits, c’est la constipation. Pour quelqu’un qui vient de subir une colectomie, inutile de vous dire que cela ne faisait que décupler ses souffrances”, poursuit Gilles.
Vendredi 10 juin, le couple contacte leur médecin généraliste qui prescrit l’administration d’une péridurale en urgence pour que Marie soit soulagée.
Voici ce que l’on peut lire sur le document médical, rédigé par le généraliste à destination de l’hôpital où Marie et Gilles se rendront. “Les douleurs sont tellement insupportables que ma patiente parle de TDS (tentative de suicide, NdlR). Il me semble URGENT qu’elle soit vue par un spécialiste (anesthésiste ?) pour lui poser ce week-end une péridurale afin de la soulager RAPIDEMENT avant son rendez-vous ce 13 juin à la clinique de la douleur”.
Munis de ce document, Gilles et Marie se rendent aux urgences de l’hôpital le plus proche. “Impossible d’aller ailleurs, elle avait tellement mal qu’elle voulait être prise en charge le plus vite possible. Mais comme c’est un établissement que nous connaissions déjà, que c’est là que le diagnostic de ses symptômes avait été posé, on n’était pas inquiets”, dit Gilles.
Demande de prise en charge en urgence
Aux urgences, le personnel infirmier fait au mieux pour calmer la patiente, notamment en posant des perfusions d’antidouleurs. “Nous avons expliqué qu’elle était déjà sous puissants opioïdes, que son médecin généraliste, dans le document que je leur ai présenté, préconisait une anesthésie, que ma femme évoquait le suicide et qu’il fallait agir au plus vite. Le personnel médical a tenté, à plusieurs reprises, de joindre un médecin, en l’occurrence un anesthésiste de garde. Mais il n’a jamais daigné répondre”, déplore Gilles.
Marie restera à l’hôpital tout le week-end. Son rendez-vous à la clinique de la douleur – prévu le 13 juin – est annulé par le médecin. Qui dit pouvoir la prendre en charge le 17 juin pour effectuer un scanner. “Nous sommes arrivés avec un mot d’un médecin disant qu’il fallait agir au plus vite pour calmer les douleurs, que ma femme évoquait le suicide. Mais cela n’a pas été entendu. Au lieu d’une prise en charge rapide, on a carrément reporté les rendez-vous médicaux qui auraient pu tout changer”.
Le 15 juin, à 5 h 35 du matin, Gilles échange quelques messages avec Marie qui souffre toujours. “Tu ne reviendrais pas à la maison ? À quoi sert-il de rester là”, demande-t-il. “En effet. Je vais leur demander”, répond Marie. Ce sera leur ultime échange.
Quelques minutes plus tard, ses douleurs insupportables iront jusqu’à provoquer un état de crise paroxystique durant lequel Marie se jettera dans le vide. Elle succombera à ses blessures peu de temps après.
”Elle souffrait, elle voulait en finir et ne demandait qu’à être apaisée. Au lieu de ça, elle a été installée dans une chambre, seule, au 4e étage face à une simple fenêtre. On n’a même pas songé à la placer dans un lieu plus sécurisé, plus surveillé alors que tout indiquait qu’un drame pouvait survenir. S’ils avaient pris ma femme en charge, elle ne se serait jamais jetée de la fenêtre, elle serait toujours là aujourd’hui”, explique Gilles, au bord des larmes.
Seule au 4e étage
Un an après les faits, il porte plainte contre l’établissement, estimant qu’il est responsable de la situation. Avant l’étape judiciaire, Gilles a tenté une médiation. Sans succès. “Au-delà du fait que les médiateurs de l’hôpital étaient froids et peu à l’écoute, ils ont tenté de se justifier de façon grossière. D’abord, ils ont expliqué que c’est à cause du manque de personnel que cela est arrivé, qu’eux-mêmes en souffrent. Puis ils m’ont dit qu’il n’était pas possible de parfaitement juger le seuil de la douleur au point de savoir si la situation était à ce point grave. Pour moi, il s’agit d’un homicide. Quand on emmène ses proches dans un hôpital, on leur confie des vies. Ils ont pris celle de ma compagne, ils ont gâché la mienne et celle de mes proches”.