Invisibles, les femmes détenues sont souvent à la fois auteures et victimes : “Si j’étais pas rentrée en prison, il nous aurait tués”
L’ASBL I.Care, dédiée à la promotion de la santé en milieu carcéral, a donné la parole à des détenues. Le projet “Parle avec elles”, soutenu par la politique fédérale de l’égalité des genres, vise à documenter leurs besoins spécifiques.
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- Publié le 25-07-2023 à 06h38
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La prison est d’abord un monde d’hommes. Sur les 11 000 personnes qui se trouvent derrière les barreaux des établissements pénitentiaires belges, on ne compte que 500 détenues dans les quartiers qui leur sont réservés (4,5 % de la population carcérale). Mais qui sont ces femmes ? Comment vivent-elles la détention ? Quels sont les problèmes particuliers qu’elles rencontrent à leur sortie ?
Pour approcher ces questions très peu abordées, l’association I.Care, dédiée à la promotion de la santé en milieu carcéral, est partie à la rencontre des intéressées. Baptisé “Parle avec elles”, ce projet soutenu par la politique fédérale de l’égalité des genres vise à documenter les besoins spécifiques des femmes incarcérées.
Davantage de vulnérabilités
Pendant un an, entre août 2022 et juillet 2023, l’équipe pluridisciplinaire d’I.Care présente dans cinq prisons (Saint-Gilles, Haren, Mons, Jamioulx et Lantin) a donné la parole à 17 femmes, actuellement incarcérées ou qui l’ont été, sur leur santé. Pas seulement les bobos, les maladies ou les infirmités, mais leur sentiment de bien-être physique, mental et sociétal. Un état de santé global forcément conditionné par une multitude de facteurs économiques et sociaux.
”Le système carcéral a tendance à organiser la détention pour des hommes, belges, sachant lire et écrire, ayant un revenu, un réseau social, etc.”, pointe I.Care. Dans le cadre de ses activités quotidiennes, l’association a vite constaté que certains publics derrière les barreaux nécessitent plus d’attention, parce qu’ils cumulent davantage de facteurs de vulnérabilité que les autres détenus. Dont les femmes.
Au cours des entretiens, une variété de sujets ont été abordés : l’entrée en prison, l’accès aux soins, l’intimité, les relations familiales… Ce qui a permis de mieux comprendre les réalités et les défis qui se jouent dans l’ombre, à l’écart de la société, pour les détenues.
”J’étais son punching-ball”
Un rapport est né de ces échanges qui met en lumière les vécus multiples de ces femmes. L’association ne veut pas faire de généralités à partir de ces témoignages isolés, mais elle relève que ces histoires recoupent les observations faites lors de son travail quotidien en prison.
Et un constat, récurrent, s’impose : l’existence de vulnérabilités multiples dans le passé des femmes rencontrées. Il ne s’agit pas de justifier les faits criminels ou délictueux qui ont pu être commis mais de comprendre comment ce à quoi elles ont été confrontées a pu jouer dans leur parcours, insiste l’association.
Les mots de Mia l’illustrent. “Ma mère, j’étais son punching-ball. On m’a pas appris à parler aux enfants parce que moi, on m’a jamais parlé. On me frappait ou on m’insultait. On me parlait pas.”
Une double identité
Beaucoup de ces femmes qui se retrouvent un jour incarcérées sont non seulement auteures d’infractions mais aussi souvent victimes, poursuit l’association. “Ma seule crainte, c’est qu’il me retrouve, témoigne ainsi Lina en évoquant sa sortie de prison. Même s’il a pas le droit de s’approcher de moi. On sait jamais. Et ça me fait peur. Je vais te dire, si j’étais pas rentrée en prison, il nous aurait tués.”
Ces femmes qui ont grandi dans des milieux familiaux perturbés, marqués par la violence, les abus, la négligence ou l’instabilité ont souvent été confrontées à des difficultés additionnelles comme la précarité économique, l’insécurité du logement, l’absence de soutien familial adéquat, le peu d’accès aux ressources éducatives…

Il est essentiel de reconnaître cette double identité et de mettre en place des services d’aide aux victimes spécialisés en milieu carcéral, pour répondre à leurs besoins spécifiques, insiste I.Care.
D’autant qu’un autre trait commun entre plusieurs femmes incarcérées vient remplir l’entonnoir de difficultés : la consommation de stupéfiants. Il est le reflet d’autres problèmes, plus profonds : traumatismes, troubles mentaux, vulnérabilité sociale… Il est très difficile, dans ce contexte, de reprendre pied.
Sensibiliser les autorités
Le rapport d’I.Care veut sensibiliser les autorités et le grand public aux réalités invisibles de la vie des femmes incarcérées. Il met en lumière les lacunes actuelles du système carcéral et souligne la nécessité d’une approche sensible au genre dans les politiques pénitentiaires. “Ces témoignages nous laissent à penser qu’au même titre que la prison devrait être une opportunité de soin pour des personnes présentant des vulnérabilités multiples, elle devrait également être une opportunité d’aide à la (re) construction et à la capacité d’agir pour ces femmes”, insiste Camille Couette, chargée du projet “Parle avec elles”.