L’État belge choisit de laisser les hommes seuls à la rue: "Une confirmation de l’échec de la politique d’asile de Nicole de Moor”
Les hommes qui demandent l’asile ne seront plus pris en charge dans le réseau Fedasil. Les acteurs de terrain craignent une explosion des sans-abri dans les rues de Bruxelles.
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- Publié le 30-08-2023 à 21h21
- Mis à jour le 30-08-2023 à 21h33
Les condamnations sont tombées toute la journée. Depuis que la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Nicole de Moor (CD&V) a annoncé que, dès ce mercredi, les hommes seuls qui ont introduit une demande de protection internationale n’auraient plus accès au réseau d’accueil durant une durée indéterminée, la surprise a laissé la place à la colère. La secrétaire d’État indique vouloir s’adapter à l’afflux croissant des familles et des enfants qui se présentent chaque jour au centre d’enregistrement. Elle veut leur assurer une place dans un réseau Fedasil toujours saturé à l’approche de l’hiver.
”Ne voulant pas être en retard sur les événements, je prends d’ores et déjà la décision”, a-t-elle justifié. Depuis le début de l’année, la courbe du nombre des arrivées en Belgique suit à petite distance celle de 2022, l’année durant laquelle la Belgique a vécu “la crise de l’accueil”. Le commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) a enregistré depuis le début de l’année 18 311 demandes de protection internationale, contre 19 098 l’année précédente à la même période. L’an passé, le pic a cependant été atteint en octobre : ce mois-là, le CGRA enregistrait près de 4 300 demandes.
Un record insuffisant
Cette croissance des demandes à la fin de l’été est habituelle. Elle s’explique par les conditions climatiques estivales qui facilitent les départs depuis les pays d’origine. Et le réseau d’accueil Fedasil ne parvient pas à suivre le rythme soutenu des arrivées. Selon les chiffres arrêtés au 29 août, le réseau disposait de 34 209 places (occupées à 94,84 %). Un record pour l’agence, mais qui demeure insuffisant.
La secrétaire d’État indiquait que c’est la première fois qu’une telle décision était prise en amont par la Belgique. De l’avis de nombreux observateurs des questions migratoires, c’est aussi la première fois à l’échelle européenne qu’un pays prend une décision similaire, allant à l’encontre des obligations internationales. Cela va aussi à l’encontre du droit belge. La Belgique compte déjà plus de 8000 condamnations pour défaut d’accueil, et l’annonce de Nicole de Moor ouvre la porte à des centaines de nouvelles procédures.

Un accord insuffisant
En mars, le gouvernement fédéral avait pourtant bouclé un accord dont l’un des axes était de renforcer la capacité d’accueil. Mais la mise en place de ce plan prend du temps et la création des centres d’accueil se heurte aux réticences des autorités locales.
Depuis des mois, les hommes qui enregistrent leur demande de permis de séjour auprès de l’Office des Étrangers et désireux d’être hébergés sont placés sur une liste d’attente. Ils sont alors laissés à la rue, le temps qu’une place se libère dans le réseau (l’attente dure jusqu’à trois ou quatre mois). Selon les associations de terrain, il y aurait actuellement environ 2000 demandeurs d’asile dans les rues de la capitale.
Des conséquences désastreuses
Sur le terrain, les associations redoutent les conséquences dramatiques d’une telle décision qui va conduire, de facto, des centaines d’hommes à la rue. Médecins sans frontières évoque une décision “intolérable”. La ligue des droits humains la qualifiait d'” illégale et honteuse”.

“Nous avons été estomaqués d’apprendre la décision par la presse. Il n’y a eu aucune concertation avec les acteurs de terrain alors que l’impact sera énorme”, s’indigne Sébastien Roy, directeur général du Samusocial. “Depuis plusieurs mois nous devons déjà refuser d’accueillir les demandeurs d’asile qui se présentent à nos portes, faute de places en suffisance. Ces hommes vont alors dormir dans la rue, dans les stations de métro ou dans les gares, comme celle de Bruxelles-Midi. Et ici, nous entendons Nicole de Moor dire que notre réseau va accueillir le surplus que Fedasil ne peut pas accueillir, mais c’est impossible ! La crise de l’accueil dure depuis presque deux ans en Belgique. Malgré tous les arguments qu’elle peut avancer, la décision annoncée confirme l’échec de sa politique d’asile”, assène le directeur général, qui plaide, avec de nombreuses associations, l’ouverture de places dans les hôtels bruxellois.