Hervé Hasquin : "Ne faisons pas la chasse aux barbus"
L'ancien recteur de l'ULB réagit à la polémique de cette semaine sur la "salle de prières clandestine" au sein de l’Université bruxelloise.
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- Publié le 02-09-2023 à 11h45
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Le texte de Nadia Geerts, militante laïque et membre du Centre Jean Gol (MR), a généré énormément de réactions cette semaine, forçant même le rectorat de l'Université libre de Bruxelles à se justifier. Cette opinion, publiée sur LaLibre.be, dénonçait la présence d'une "salle de prières clandestine au cœur même de l’ULB". Hervé Hasquin, qui a été recteur (1982-1986) et président du Conseil d’administration (1986-1995) de l'université explique qu'il savait "depuis longtemps qu'un pressing était exercé par certains groupes d'étudiants pour disposer de lieux pour prier à l'ULB". Interview.
Avez-vous été surpris que cette polémique éclate cette semaine ?
Oui ! Je l'ai découverte dans les médias. Je savais depuis longtemps, via le rectorat, qu'un pressing était exercé par certains groupes d'étudiants pour disposer de lieux pour prier. Mais j'ignorais qu'il existait des salles de prières "sauvages".
Qu'entendez-vous par "pressing" ?
Dans les années 1990, lorsque j'étais à la tête de l'ULB, l'idée d'une salle de prières était parfois évoquée par certains milieux, mais sans que les demandes soient vraiment soutenues. Après avoir exercé ces responsabilités, lorsque je suis redevenu professeur, je me disais qu'on pourrait éventuellement proposer une salle de méditation permettant aux étudiants de s'isoler. Aujourd'hui, je me rends compte combien ce serait compliqué. Je suis à peu près sûr que certains groupes essaieraient de transformer cette salle de méditation en véritable salle de prières. Des sectes, quelle qu'en soit l'origine, essaieraient d'en prendre possession.
Le rectorat a reconnu qu'il connaissait l'existence de ce lieu de prières. Etes-vous étonné que les autorités académiques n'aient pas décidé d'agir ?
Non, j'approuve l'attitude des autorités. A partir du moment où ça ne perturbe pas le vivre-ensemble à l'université, que ça n'empêche pas d'aller aux cours, de faire de la recherche, de faire fonctionner l'institution, personnellement, je n'y vois pas à redire. C'est équivalent à un cercle d'étudiants qui a ses pratiques.
Nadia Geerts dit constater une "mainmise religieuse à l'ULB". Partagez-vous ce constat ?
Il y a toujours eu des groupes activistes au sein de l'université. Moi, qui suis libéral, j'ai parfois eu affaires à des communistes ou maoïtses enragés. Qu'il y ait des groupes religieux, c'est la liberté. On n'est pas en Union soviétique.
Marc Uyttendaele estime que "l'université n'est pas un lieu de culte" et que "l'ULB devrait réaffirmer ses valeurs" comme le principe du libre examen et le refus des dogmes. Ces valeurs doivent-elles être martelées aux étudiants ?
Ce que dit Marc n'est pas contradictoire avec la position des autorités. Je ne cesse de répéter les principes du libre examen, de la liberté de penser, de la liberté d'expression... Cela fait toujours partie de mes combats.
Si ce phénomène des prières est connu depuis longtemps à l'ULB, pourquoi cette polémique éclate-t-elle maintenant ?
Dans la partie francophone du pays, nous sommes très influencés par les débats français. Cela devient douloureux de suivre les chaînes d'infos en France, c'est presque de la xénophobie et du racisme. On remarque aussi, ces dernières années, l'évolution de la population bruxelloise, avec une augmentation de la population de culture musulmane. Or, ce qui est différent dérange, fait peur. Le nombre de personnes d'origine maghrébine appartenant à la classe moyenne en Belgique est impressionnant. On en trouve énormément dans le monde de l'enseignement, de la recherche... Mais, eux, on n'en parle pas !
L'ULB a la réputation de "bouffer du curé". Quelles auraient été les réactions si des catholiques priaient devant une petite chapelle improvisée ? Les autorités sont-elles plus permissives à l'égard de l'islam ?
Non ! La moitié des étudiants qui fréquentaient l'ULB dans les années 1980 et 1990 était issue de l'enseignement libre confessionnel. Que des étudiants catholiques aient fait bande à part pour une prière commune, c'est possible. Mais je m'en fous ! (rires) Cette université est multiconfessionnelle, très diverse. Il faut cesser de diaboliser les gens. L'habit ne fait pas le moine. On ne va pas faire la chasse aux barbus parce qu'on les suspecte d'être des islamistes ou des salafistes. A l'ULB, on est parfois tombé dans le sexisme en discutant du foulard porté par certaines filles.
C'est d'ailleurs vous qui, pour la première fois, avez autorisé le voile à l'ULB.
Je suis partisan d'une liberté absolue. En tant que vieux soixante-huitard, j'estime qu'il est interdit d'interdire. Cela explique mon attitude envers le port du foulard par les étudiantes. Je suis pour la promotion des femmes. Ensuite, l'accès à la connaissance et aux diplômes permettra aux femmes musulmanes d'exercer plus souvent des responsabilités. Pour moi, le foulard est un accessoire et, en tant que libre-exaministe, je refuse qu'on juge les gens sur les apparences. Evidemment, la liberté doit avoir un contre-poids : si vous usez de cette liberté pour commettre des actes répréhensibles, comme du prosélytisme, alors il faut que la sanction s'abatte.