Weyes Blood préface l’apocalypse
Entre pop orchestrale et folk 70’s, le nouvel album de l’artiste californienne évoque la fin du monde. Et c’est très beau.
Publié le 11-12-2022 à 14h45
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Son disque précédent tirait la sonnette d’alarme face à l'individualisme de notre société, l’urgence climatique, l’effondrement à venir. Avec And In The Darkness, Hearts Aglow ★★★, l’artiste américaine de 34 ans poursuit son exploration d'un monde en décomposition. Mais, après s'être penchée sur les causes extérieures de ce déclin, elle en ausculte désormais les conséquences internes. “Nous n’avons plus le temps d’avoir peur”, clame-t-elle haut et fort sur “Children Of The Empire”. Pour Natalie Mering, alias Weyes Blood, l’action doit dépasser l’angoisse et se substituer à la résignation.
Première étape, selon la Californienne : créer un discours public nuancé, qui ne serait pas entaché par les réseaux sociaux et le divertissement. “Ceux-ci semblent former désormais notre premier médium de communication. Il faut être en mesure de discuter de manière rationnelle”, avance-t-elle. Pour débattre, encore faut-il pouvoir se rassembler. Écrit et composé en pleine pandémie, le cinquième opus de l’autrice-compositrice basée à Los Angeles, évoque en toile de fond cette période troublée (“The Worst is Done”, “It’s Not Just Me, It’s Everybody”).
Une affaire de connexions
Pour Weyes Blood, le Covid n'a fait qu’accentuer le sentiment d’isolement et la fragilisation des relations humaines. “L’idée d’être un membre de la société complètement fonctionnel sans soutien et dépourvu de connexions émotionnelles satisfaisantes est ridicule et impossible, assure Natalie Mering. Je ne pense pas que quiconque ait l’intention de devenir aussi solitaire que nous l'avons été. ” La société tend, pourtant, vers cela alarme-t-elle. Et ce, surtout dans son pays, aux États-Unis : “L’isolement est en quelque sorte construit dans le rêve américain”.
La crise sanitaire a également exacerbé notre dépendance à la technologie et aux réseaux sociaux. Avec, pour résultat, une “désintégration du tissu social” et une l’entrée dans l’“ère du narcissisme”, analyse la jeune femme. “D’une certaine manière, les humains deviennent obsédés par l’idée de conquérir la technologie ou des territoires inexploités. Et, surtout, par l’idée que nous sommes en mesure de conquérir la nature.” Elle soutient que cela découle d’une incapacité à nous voir comme faisant partie intégrante de la nature et de comprendre qu’en détruisant la planète, on se détruit au passage.
De la scène noise à la pop
Le constat sombre dressé par Weyes Blood vis-à-vis d’un avenir politiquement, socialement et environnementalement instable contraste avec sa voix éthérée et une orchestration riche. Entre pop liturgique et folk des années 70, l’album marque par une forme d’intemporalité et une volonté de s’affranchir des tendances. La beauté de sa musique est régulièrement mise en avant. Un qualificatif qui fait sourciller Natalie Mering. “Peut-être que la beauté est le nouveau avant-garde, et qu’être compliqué et intéressant est devenu plus conformiste, qui sait !”, plaisante-t-elle.
Ses premières armes dans le monde musical, Mering les a faites dans la scène noise et expérimentale. Très loin, donc, de ce qu’elle présente aujourd’hui. Elle garde cependant de cette époque une base pour faire évoluer le son de ses compositions. “Si on apprend pendant quelques années à briser du marbre et à observer la manière dont il s’effrite, cela va impacter des sculptures plus élaborées plus tard. C’est un peu à l’image de ce que j’ai fait. ” Ce qui, précise-t-elle, l'a poussée à intégrer des sons cachés et étranges dans ses chansons.
Élevée dans une famille très croyante en Pennsylvanie, Weyes Blood s'est détournée du christianisme à l’adolescence, pour trouver refuge dans une musique à l’opposé des chants religieux. Chœurs de gospel et orgues viennent toutefois se mêler à la harpe, aux synthés et aux cordes, sur ce nouvel album. “Je crois que la musique d’église restera toujours l’une de mes influences. Mais je crois que cela vient également de l’histoire de la musique, beaucoup de musiques ont été faites au nom de Dieu. Le croisement est inévitable. ”
► En concert le 05/02 au Botanique (Bruxelles)