Transgressifs ou régressifs, les pots de chambre de Boesmans ?
”On purge bébé”, l’ultime opéra du compositeur belge n’est sans doute pas son meilleur.
Publié le 14-12-2022 à 17h11
Ce n’était certes pas la bataille d’Hernani, mais le public de la Monnaie était divisé mardi à l’issue de la création mondiale de On purge bébé, l’ultime opéra – posthume – de Philippe Boesmans. C’est que le verre – en l’occurrence un pot de chambre, un de ceux que fabrique Bastien Follavoine, en porcelaine supposée incassable, et qu’il espère bien vendre en quantités industrielles à l’armée française, ci-devant représentée par Aristide Chouilloux – pouvait être vu autant à moitié plein qu’à moitié vide.
Evidemment, enfant du pays et francophone venu de Tongres, Boesmans est, plus encore depuis sa disparition, devenu une figure consensuelle. Formidablement talentueux, modeste, espiègle, éminemment attachant. Sa photo en pied projetée par l’entrebâillement d’une porte au rideau final déclenche un regain d’applaudissements qui en dit long : tout le monde avait envie d’aimer son dernier opéra, et ces adieux étaient aussi une façon de rendre hommage à l’ensemble d’une carrière qui se confond avec les quarante dernières années de la Monnaie. Comme dans tous ses derniers opéras – et plus encore ? –, la partition est agréable à écouter, rien ne heurte, les voix sont bien mises en valeur et les citations musicales – notamment celles des Hébrides de Mendelssohn au Parsifal de Wagner – sont servies avec une telle clarté et une telle insistance que chacun peut se réjouir de les avoir reconnues.
Feydeau à l'opéra
Mais, s’il sortait assurément des sentiers battus de l’opéra, le choix d’une pièce de Feydeau d’une part, et d’un sujet peu traité à l’opéra – caca, diarrhée, laxatif, papier Q, pantalons sur les chevilles et autres coulées de merde et défécation, pour faire court et sobre, sans oublier un cocu – était-il le bon ? "Transgressif !" s’émerveille le spectateur esbaudi ou ébaubi, c’est selon. La présence, sur la même scène de la Monnaie, d’un incongru moment de défécation dans La Traviata selon Andrea Breth il y a juste dix ans l’était autrement. Régressif alors ? Assurément ! D’autant que Richard Brunel, metteur en scène, a ajouté un maximum d’images parlantes (il ne manque, et nul ne s’en plaindra, que l’odeur) aux mots et situations que Richard Brunel, librettiste, avait empruntés à Feydeau.
Mais Feydeau, justement, se prête-t-il à l’opéra ? Son absence dans le monde lyrique ne s’explique-t-elle pas justement par la trivialité de ses thèmes et de sa langue ? Beau débat de principe : qu’est-ce que l’opéra, sinon l’envol, l’enrichissement, la transfiguration d’un texte vers un ailleurs plus riche encore en émotions ? Mais, quand le texte est plat, anecdotique et limité à un humour qui pouvait éventuellement sembler audacieux en 1910 à la création de la pièce, mais est bien loin des enjeux de la société de 2022, la musique, aussi belle et bien faite soit-elle, ne parvient pas à élever grand-chose. Les enjeux de l’éducation aujourd’hui sont autres que les laxatifs, et l’argument selon laquelle la pièce dénoncerait les travers hypocrites de la société bourgeoise est un peu trop facile pour convaincre.
Bien sûr, on aimait aussi Boesmans comme provocateur, mais on peste du gâchis que cette sortie qui réunit tant de talents au service d’un sujet mineur. Car il y a aussi un chef – Bassim Akiki – et des chanteurs – surtout Jodie Devos, Jean-Sébastien Bou et Denzil Delaere, tous trois fabuleux – qui la servent de toutes leurs forces, impressionnantes.
Peu de chances que On purge bébé entre durablement au répertoire et moins encore qu’il circule à l’international : le premier quart d’heure, déjà – et l’œuvre ne dure qu’1h20 – tourne autour d’un calembour accessible aux seuls francophones : pour trouver les Hébrides dans le dictionnaire, on cherche à Z ou à E ? Ce dernier opéra suscite l’admiration, quelques rires et une réelle sympathie, mais aucune émotion autre que la conscience du vide laissé par le compositeur. Pour lui rendre hommage, que la Monnaie ressuscite vite son bouleversant Conte d’hiver.
Bruxelles, la Monnaie, jusqu’au 29 décembre ; www.lamonnaie.be. Direct sur RTBF Musiq3 et Auvio le 20 à 20h.