Inno JP : “À Paris, c'est la guerre pour percer en tant qu’humoriste”
Étoile montante du stand-up belge, Inno JP revient dès ce 1er février au Théâtre de la Toison d’Or (TTO) avec son premier spectacle “Inno JP : True Story”. Il y raconte avec piquant et tendresse son parcours atypique d’enfant né au Rwanda et adopté par un couple de lesbiennes belges. Rencontre avec ce “Barak Obama du gazon maudit”.
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Publié le 30-01-2023 à 13h32 - Mis à jour le 31-01-2023 à 11h10
C’est indéniable : la grande salle du Théâtre de la Toison d’Or (TTO), ancien cinéma d’Ixelles reconverti en théâtre il y a plus de 25 ans, est, avec ses 220 sièges en skaï rouge, l’une des salles où le public est le mieux installé. “Mais, parfois, quand les gens sont mal assis, ils sont plus réceptifs à ce qui les divertit sur scène, car cela leur permet d’oublier qu’ils sont mal installés, s’amuse à commenter l’humoriste Inno JP. Des sièges trop confortables peuvent donc être contre-productifs parce que les spectateurs ont tendance à se prélasser”. Pas de quoi toutefois le faire hésiter un millième de seconde à monter sur scène dès ce 1er février, tant “c’est inattendu et génial !”, se réjouit-il.
”Inattendu”, car, il y a un an à peine, c’est au Little TTO, la petite salle du TTO, qu’il débarquait timidement avec son premier one-man-show Inno JP : True Story. Vingt dates sont alors programmées. Le succès est immédiat : la salle affiche complet chaque soir. “Je ne m’attendais pas à ce que ça marche aussi bien, car c’était déjà un défi en soi de remplir le Little TTO, se souvient Inno JP. Ce sont quand même cent places et il y avait vingt dates, donc ça représentait près de 2 000 spectateurs. Mais, assez vite, le bouche-à-oreille a fait que le spectacle a fonctionné et, à la fin de la série, on s’est rendu compte qu’on aurait pu encore remplir pendant plusieurs semaines”. La reprise du spectacle la saison suivante (2022-2023) s’impose dès lors quasi comme une évidence, à la différence près qu’il sera joué… en grande salle. “Maintenant, j’ai une nouvelle angoisse. Un an s’est écoulé et je me demande si le public va revenir, si la flamme ne s’est pas éteinte. Mais, il semble que non, car il y a déjà pas mal de réservations”, se rassure-t-il.

”Une curiosité saine”
Si pour Inno JP les raisons de son succès fulgurant demeurent “un mystère”, il y a néanmoins fort à parier que le public soit curieux de découvrir l’histoire atypique qu’il raconte sur scène, avec, certes beaucoup d’humour, mais aussi tendresse, honnêteté et humilité. Cette histoire, c’est la sienne. Celle d’un petit garçon, Innocent, né d’une union illégitime au Rwanda en 1983 et adopté un an plus tard, sous le nom de Jean-Paul, par un couple de lesbiennes quinquagénaires habitant dans le Brabant wallon.
”Ce spectacle, je l’ai intitulé Inno JP : True Story parce que c’est important pour moi d’être vrai sur scène, explique-t-il. Tout est parti de là, en fait. C’est en découvrant le stand-up américain avec Eddie Murphy, Chris Rock, Louis C.K., etc. que j’ai réalisé qu’il y avait un espace où l’on peut partager des choses tragiques ou difficiles à vivre, tout en les traitant avec humour et en disant la vérité de manière divertissante”. Il poursuit : “Si ce que l’on raconte est vrai, si on partage des émotions, cela va résonner chez les spectateurs et ils vont pouvoir s’identifier. Donc, même si mon histoire est particulièrement atypique, tout le monde a déjà eu le sentiment d’être différent, a déjà eu peur d’être rejeté, a déjà eu des difficultés à se lever le matin – je parle de procrastination, d’être en retard… –, etc. Connecter un récit à ces vérités peu glorieuses ou peu glamour, ça détend ; en tout cas, moi, ça me détend”.
Et de préciser : “Après, c’est vrai que j’ai senti, par rapport à l’air du temps, aux débats contemporains dans lesquels on est balancé en ce moment, que les sujets dont je parle avaient leur place, peut-être plus qu’avant. J’avais moins cette peur d’être totalement marginalisé, mis de côté. Pour le coup, il y avait une curiosité saine qui allait amener les gens à découvrir mon spectacle”.
”Je me rêvais imitateur de Michael Jackson”
Son arrivée sur les planches en tant que stand-upper n’a, toutefois, “pas été une évidence folle”. “Tout est arrivé de manière un peu spontanée : c’est un pote, Dave Parcœur, qui m’a embarqué là-dedans.” Après avoir arrêté ses études de communication à Liège, Inno JP travaille quelque temps comme “semi-journaliste auto-proclamé” pour des blogs de musique et des magazines de danse. “À la base, je ne me voyais pas sur scène, reprend-il. Ma grande ambition, c’était d’écrire (pour d’autres), de vivre de ma plume. Depuis mon enfance, on me disait que j’écrivais bien, même en flamand (il a suivi l’enseignement primaire en néerlandais, NdlR). Et, aujourd’hui, je m’amuse de cette différence entre “Je me voyais gagner le Goncourt et révolutionner le monde des lettres” et, finalement, je suis au TTO où je parle de mes fesses. Mais ce n’est peut-être qu’une étape…”
Aujourd'hui, je m'amuse de cette différence entre "Je me voyais gagner le Goncourt et révolutionner le monde des lettres" et, finalement, je suis au TTO où je parle de mes fesses.
S’il ne s’imagine pas sous le feu des projecteurs, le jeune Inno JP se rêve en revanche “imitateur de Michael Jackson”, dont il est un grand fan. “C’est lui qui m’a donné un peu le goût de la scène”, sourit-il, tout en annonçant fièrement – “je vais faire des jaloux” – l’avoir vu “en concert deux fois”. Élevé par ses deux mamans à La Hulpe, Inno JP le reconnaît : il n’a “matériellement, manqué de rien”. C’est aussi grâce à elles qu’il s’est initié à la culture. “Hélène, la plus âgée des deux, adorait la culture théâtrale populaire et, donc, elle m’emmenait voir des opérettes, du théâtre de boulevard ; écouter Gilbert Bécaud…” “Mais on allait aussi, enchaîne-t-il en riant, aux concerts de Lorie, Céline Dion…”

”Plus que la configuration de genre, ce qui a été parfois difficile, confie-t-il, c’est la différence d’âge et le fossé générationnel entre nous. Je grandissais dans les années 80-90 avec les Backstreet Boys ; elles, elles étaient dans l’époque Charles Trenet, Edith Piaf, etc. tandis que les parents de mes potes étaient plus de la génération des Stones, Woodstock, etc. Il y avait donc ce triangle culturel un peu particulier. Mais je me rends compte de la chance absolue que j’ai eue de vivre avec des témoins directs d’une époque quasi révolue”.
De La Hulpe à Montréal
Alors qu’Inno JP vivote comme blogueur et freelance, son ami, l’humoriste Dave Parcœur, lui propose de s’inscrire à un stage de stand-up au Kings of Comedy Club. Malgré ses réticences de monter sur un plateau, il y est contraint. “La mort dans l’âme, j’ai joué cinq minutes puis dix-sept. Fort heureusement, tout s’est bien passé et on m’a encouragé à poursuivre dans cette voie.”
Le conseil reste dans un coin de sa tête. “Mais, à l’époque, la situation n’était pas ouf : j’avais abandonné mes études – j’ai arrêté l’alcool il y a six ans, mais, en ce temps-là, j’étais moins sage – et l’une de mes mamans était en phase terminale de cancer”, raconte-t-il. C’est alors qu’il décide de tenter l’examen d’entrée de l’École nationale de l’humour à Montréal. Il a 33 ans. Et bim ! Il est sélectionné. Là, pendant un an et demi, il apprend la rigueur du métier. “Au Canada, je me suis rendu compte de ce que c’était une société qui prend l’humour au sérieux et qui valorise des artistes qui vont faire une très, très drôle blague de prout parce que l’humour est un art : un art de timing, d’écriture, de réécriture surtout, et de mise à nu.”
Il faut que je perce avant que mon public meure.
Fort de cette expérience outre-atlantique, il regagne la Belgique en 2018 avec la conviction qu’il peut tenter de se lancer dans le stand-up. “Je me suis alors donné trois ans pour le faire à fond.” De 2018 à 2021, il enchaîne les plateaux d’humoristes, fait les premières de Blanche Gardin et Kyan Khojandi, participe à diverses émissions… et écrit son premier spectacle, Inno JP : True Story. Trois ans plus tard, le bilan est plus que positif : “J’ai un spectacle complet, un théâtre à Bruxelles qui me propose de le jouer, une boîte de production française qui veut me signer, une manageuse et un metteur en scène, se félicite-t-il. Donc, je me suis redonné trois ans”.
Pendant “ce deuxième cycle”, “je compte bien exploiter ce spectacle et l’amener, en termes de qualité (d’écriture, de mise en scène), le plus haut possible”. Quant au contenu, “j’ai la chance que mon histoire particulière, elle ne bouge pas, donc il y a des blagues qui restent 'intemporelles', même si les références peuvent un peu vieillir, observe-t-il. Par exemple, je dis que je suis le Barak Obama du gazon maudit. Mais, dans dix ans, certains se demanderont qui est Barak Obama, et Gazon maudit (un film de Josiane Balasko sorti en 1995, NdlR) est déjà une vieille référence. C’est pour ça que j’ai hâte de percer : il faut que je perce avant que mon public meure”, ironise-t-il.
Paris, “un passage obligé”
Étoile montante du stand-up belge, Inno JP essaie aussi, depuis quelques mois, de “se faire un petit nom” à Paris. À ses yeux, la Ville Lumière est “un passage obligé en Francophonie”. “Aujourd’hui, en tant qu’artiste, la France te donne un crédit.” Mais, pour s’y faire une place et remplir une salle, “c’est vraiment la guerre, avoue-t-il. C’est un plus gros gâteau, mais il y a beaucoup plus de monde, donc les parts sont plus petites et ça joue des coudes. C’est un peu chacun pour soi. Puis, Paris est une ville très froide. Alors, c’est une ville romantique et très belle pour faire des photos Instagram, mais, humainement, ce n’est pas simple. Franchement, je le dis : les Parisiens pourraient être sympas ; c’est juste qu’ils n’ont pas le temps de l’être”.
-- > Bruxelles, Théâtre de la Toison d’Or, du 1er février au 4 mars. Infos et rés. au 02.510.05.10 ou sur www.ttotheatre.be