Thomas Salvador: “Le film devait se nourrir des aléas imposés par la montagne”
Avec “La Montagne”, sorti au cinéma ce mercredi, le cinéaste français signe un film très singulier. Une œuvre poétique et étrange, dans laquelle il incarne un homme quittant tout pour aller se frotter aux parois des Alpes, à plus de 3000 mètres d’altitude…
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Publié le 01-02-2023 à 13h30 - Mis à jour le 01-02-2023 à 20h32
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La Montagne est un véritable ovni. En salles depuis ce 1er février, le second long métrage de Thomas Salvador (après Vincent n’a pas d’écailles en 2014) met en scène Pierre (campé par le cinéaste lui-même, dans un style inexpressif à la Buster Keaton). Ingénieur parisien, celui-ci décide, du jour au lendemain, de tout lâcher pour répondre à son irrésistible appel pour la montagne. Tout là-haut, près du Pic du Midi (et de la belle Louise Bourgoin), le bonhomme semble trouver une forme d’apaisement. Tandis qu’il découvre d’étranges lueurs…
Un cinéaste alpiniste
Ce film très singulier, Thomas Salvador le porte en lui depuis très longtemps. “Quand j’étais adolescent, je voulais être cinéaste et guide de haute montagne, nous confiait-il il y a quelques semaines lors des Rendez-vous Unifrance à Paris. J’ai fait beaucoup d’alpinisme entre 15 et 20 ans. Mais je voulais davantage faire du cinéma ; j’ai donc arrêté l’alpinisme quasiment pendant 30 ans. Mais, depuis très longtemps, j’ai une idée de film, d’un personnage qui est en montagne et ne veut plus redescendre…”
Cette idée trouve un écho tout particulier dans le monde post-Covid, où ce fantasme de tout quitter pour retrouver du sens à son existence a poussé beaucoup de gens à changer de vie. Mais ce ne sont pas ces “décrocheurs” qui sont à l’origine du film. “Je n’ai pas trop pensé à cela, bizarrement, explique Salvador. J’ai vraiment essayé de privilégier, non pas le rejet, mais l’appel, le désir, le côté positif. Mais, de fait, il laisse plein de choses derrière lui, quitte son métier… Il n’y a pas beaucoup de psychologie dans le film, mais on sent que ça pourrait aller mieux pour lui… En tout cas, il a besoin de faire ce trajet, de s’éloigner de beaucoup de choses, pour pouvoir revenir peut-être riche d’autre chose et armé pour vivre dans ce monde.”
Ce sentiment de vouloir rester tout là-haut, Thomas Salvador ne l’a jamais ressenti lui-même. “Il y a pas mal d’alpinistes qui disent que le plaisir, c’est quand on redescend, parce qu’on se dit qu’on va remonter bientôt… Mais c’est tellement intense, tellement exigeant, on se retrouve tellement loin de tout que, parfois, ça fait bizarre de revenir. Ce décalage, on l’a vécu durant le tournage. Parfois, on dormait quatre nuits au refuge, avant de redescendre. Il y avait 25 degrés de moins entre là où on tournait et Chamonix. On était avec deux grosses doudounes et les gens étaient en chemise, en terrasse…”, sourit le cinéaste.

Une montagne vivante
Si La Montagne aborde évidemment la question des conséquences du réchauffement climatique, il le fait de façon inattendue. Il montre non seulement la fonte des glaciers, mais surtout le fait qu’avec la fonte de la glace, qui sert de ciment aux roches, c’est la montagne elle-même qui est en train de s’écrouler… “Depuis à peu près 2003, la première canicule qu’on a connue, chaque été, ça ne fait que s’accélérer. Il y a des millions de mètres cubes qui tombent. On découvre que ce qui nous semblait un décor immuable est vivant et s’effondre, s’inquiète le réalisateur. Pendant le tournage, mon équipe a halluciné d’entendre, toute la journée, en face Sud, des éboulements, des effondrements non-stop. C’était donc très important que, dans le film, la montagne bouge, qu’elle vive.”
"Le making of est assez grotesque, mais cela crée des images que beaucoup de gens trouvent inédites."
C’est sur cette idée d’une montagne vivante que se repose Thomas Salvador pour donner un tournant inattendu à son film, le temps d’une échappée fantastique qui offre des moments de pure poésie visuelle, quand le personnage finit par fusionner avec la montagne. Et ce grâce à des effets spéciaux à l’ancienne, à mille lieues des effets numériques dont nous gave le cinéma hollywoodien. “J’ai besoin de faire les choses en vrai. C’est aussi pour ça que je joue dans mes films d’ailleurs, commente le réalisateur. Je sais que le spectateur, même s’il a l’habitude des effets numériques dans des films à 200 millions de dollars, sent quand les choses sont faites en vrai. Il y a de l’artisanat, de l’expérimentation. On essaye des matières, des textures, des effets de lumière… Pendant toute la partie où le personnage rentre dans le cœur de la montagne, il y a zéro effet numérique. Tout est fait dans une salle des fêtes, avec des paillettes, de la glace, des blocs de polystyrène. Le making of est assez grotesque, mais cela crée des images que beaucoup de gens trouvent incroyables, très belles et un peu inédites. Il y a un côté organique évident, qu’on ressent du fait que la caméra capte quelque chose qui est vraiment fait.”

Un tournage en altitude
Filmé en grande partie à plus de 3000 m d’altitude en équipe réduite — Salvador était parfois seul pour jouer et s’occuper du son, avec un caméraman alpiniste et un guide assurant leur sécurité —, La Montagne nous immerge dans un univers à la fois sublime et dangereux. “On a pris la bonne décision, celle d’être très peu nombreux. Ce qui nous permettait d’avoir beaucoup de jours de tournage et d’être hyper mobiles. J’ai dit à tout le monde : il ne faut pas aborder la montagne en conquérant. Il ne faut pas aller plaquer notre film sur la montagne. Il faut qu’il se nourrisse des aléas que nous impose la montagne. Il faut vraiment essayer de se faire accepter par la montagne, puis d’en ramener ce qu’on peut. C’est ce qui nous a permis d’assister à des couchers de soleil incroyables ou d’avoir cette séquence où le nuage vient vers le personnage… Je rêvais qu’on ramène du vent, de la neige, des étoiles, la Lune, du brouillard, que les spectateurs ressentent cette diversité que je trouve magnifique. Il y a de très beaux films de montagne mais souvent, celle-ci n’est qu’un beau décor pour des exploits ou du drame. Moi, je voulais qu’elle soit objet de fantasmes, de désirs, tout en étant très réelle dans sa diversité.”
