Le double jeu d’Agar Agar
Le duo français d’électropop revient avec "Player Non Player", un deuxième album accompagné d’un jeu vidéo pour proposer une "expérience immersive".
- Publié le 03-02-2023 à 12h29
- Mis à jour le 03-02-2023 à 12h38
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Quand deux anciens étudiants en arts annonce la création d’un jeu vidéo en ligne pour accompagner la sortie de leur nouveau disque, on est tenté de soupirer. De craindre un énième concept poussif. De penser que la forme va l’emporter sur le fond. Conscient du risque de tomber dans l’argument marketing, Agar Agar tient à offrir “une œuvre à part entière”, un vrai jeu “en open world, avec des quêtes à résoudre, des interactions, une fin” et non un simple bonus. Ce jeu sera d’ailleurs payant. La qualité de leur deuxième album vient en outre mettre fin à toute appréhension. Player Non Player ★★★ ne sombre pas dans le cliché de la bande-son multimédia. On est très loin du thème musical de Super Mario Bros ou Tetris. “Les gens ont une vision de la musique de jeux vidéo assez archaïque”, note Clara Cappagli.
Des portes de création
Les deux amis reconnaissent une certaine influence de l’univers du gaming sur leurs productions et ce, depuis leurs débuts, en 2015. Passionnés par l’électro, les machines, les synthés, ils ont toujours proposé une musique qui se situe à la croisée de la pop, du trip-hop, de l’ambient et de la synthwave. “On voulait rester assez proches de ce qu’est Agar Agar à la base. On ne voulait pas s'imposer des contraintes dues au fait de créer un jeu vidéo”, assure Armand Bultheel.
Le jeu développé par Jonathan Coryn depuis cinq ans (sa version définitive sera disponible en septembre via la plateforme Itch.io), donne toutefois une direction au binôme, pour les textes notamment. “La narration proposée par Jonathan m’a donné des clés pour écrire les premiers morceaux. Quand on commence à composer, c’est forcément souvent très flou. On ne sait pas trop vers quoi on va, avance la voix du groupe. Ça m’a ouvert des vraies portes de création. C’était aussi de très beaux prétextes pour parler d’autres choses."
Le titre “The Visit” évoque le personnage d’Odile, le premier rencontré par le joueur lorsqu'il débarque sur cette île mystérieuse. Elle l'accueille dans sa villa et lui sert de guide. À travers elle, Clara Cappagli s’attaque à la notion d’intimité, de “chez soi”. The Swimmer, un homme coincé au bord d'une piscine errant sans but, inspire quant à lui le “Trouble”. L’autrice-compositrice de 30 ans s’épanche sur l’enfermement, les troubles obsessionnels, l’anxiété. Un titre qui fait également écho à son vécu à elle, atteinte d’une maladie psychologique depuis l’enfance. “J’ai toujours beaucoup de mal à gérer mon mental dans la vie de tous les jours. Je crois que c’est important de parler de ces sujets-là, de faire comprendre qu’on n’est pas tout seul. ”
Déconstruire les fantasmes du métier
Révélé par le tube “Prettiest Virgin” paru en 2016, le tandem s'est rapidement fait un nom en France, accumulant des millions de streams et embarquant rapidement dans de nombreuses tournées européennes. Un rythme effréné qui a impacté leur santé mentale. “On a enchaîné pendant six ans, sans s’arrêter. J’ai mis un an à m’en remettre. Je n’arrivais plus à créer. La tournée nous a démonté la gueule. C’était trop fatigant. On n’avait plus de corps”, confie la chanteuse. Elle se rappelle les réveils à 6 heures du matin, après avoir dormi pas plus de deux heures et avant d’enchaîner huit heures de route. “On n’est pas dans un confort, on n’a pas de racine. Quand ça devient une routine, ça nous épuise et nous déprime.”
Pour Armand Bultheel, il est nécessaire de déconstruire les fantasmes liés à ce métier. Être artiste est rarement synonyme de gloire et paillettes. “Dans un sens, c’est agréable de s’imaginer qu’il y a des vies plus faciles, sans contraintes, fabuleuses. Mais cela relève beaucoup de la projection.” Pour se préserver davantage, les musiciens ont demandé de faire moins de dates et exigé deux vraies pauses durant l’année. Ils veulent également le temps de développer leurs projets solo. Un parcours du combattant dans le cas de Clara Cappagli, liée pendant des années à un contrat d’exclusivité avec son label qui empêche toute échappée solitaire. Elle vient de remporter son procès. “J’ai beaucoup souffert de cette situation. Je l’évoque longuement dans l’album. C’est la première fois que j’en parle.” Disque écrit dans la colère et la frustration, en pleine guerre froide, entre non-dits et batailles perdues, Player Non Player parvient, malgré tout, à s’extirper du réel et servir d’échappatoire, à la fois mélancolique et dansante.