Ces artistes victimes du régime iranien
Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof, Taraneh Alidoosti… Nombreux sont les cinéastes ou actrices en délicatesse avec le pouvoir en Iran. Quand, comme Golshifteh Farahani, Ali Abbasi ou Zar Amir Ebrahimi, ils n’ont été contraints à l’exil…
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Publié le 07-02-2023 à 13h52
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Depuis une vingtaine d’années, le cinéma iranien est l’un des plus applaudis au monde, raflant des prix majeurs dans tous les grands festivals. Avec, comme chef de file, un certain Asghar Farhadi, qui a même décroché deux fois l’Oscar, en 2012 et 2017, pour Une séparation et Le Client. Malgré ce triomphe chez les Yankees, celui-ci n’a jamais été la cible du régime iranien, qui l’a même laissé quitter le pays pour aller tourner en France (Le Passé en 2013) et en Espagne (Everybody Knows en 2018). C’est loin d’être le cas de certains de ses collègues…

Jafar Panahi, le symbole
Le symbole de la répression du régime de Téhéran envers ses artistes est évidemment Jafar Panahi, dont le dernier film No Bears sort ce mercredi au cinéma. Libéré de la prison d’Evin à Téhéran vendredi dernier, le cinéaste y avait été incarcéré le 11 juillet 2022 pour avoir apporté son soutien à son collègue Mohammad Rasoulof, également emprisonné. La justice iranienne forçait Panahi à purger une peine de six ans de prison et à l’interdiction de tourner pendant 20 ans pour “propagande contre le régime”. Une peine prononcée en… 2010.

La famille de Panahi avait d’ailleurs décroché son acquittement par la Cour Suprême iranienne, laquelle avait estimé le verdict trop ancien pour pouvoir être appliqué. Une décision annulée par la cour d’appel révolutionnaire numéro 21. Le 2 février dernier, l’épouse du cinéaste, Tahereh Saeedi, et son fils Panah Panahi (réalisateur récemment de Hit the Road) publiaient sur les réseaux sociaux un communiqué au nom du réalisateur dénonçant des traitements “illégaux et inhumains” et annonçant qu’il se lançait dans une grève de la faim… Un appel largement relayé à l’international, notamment par la Berlinale, dont la 73e édition s’ouvre le 16 février prochain. La pression a visiblement opéré, puisque Panahi était libéré dès le lendemain.
Pour le cinéaste, qui avait décroché le Lion d’or à Venise avec son troisième film Le Cercle en 2000, les ennuis avaient commencé avec le très critique Offside en 2006, qui mettait en scène une jeune fille se faisant passer pour un homme pour tenter d’assister à un match de l’équipe nationale iranienne au stade de Téhéran… Après sa condamnation de 2010, le cinéaste avait vécu assigné à résidence. Contournant la censure, Panahi a pourtant continué à faire des films, envoyés parfois clandestinement aux grands festivals : This is Not a Film en 2011, Closed Curtain en 2013 (meilleur scénario à Berlin), Taxi Téhéran en 2015 (Ours d’or à Berlin), 3 Faces (meilleur scénario à Cannes) et No Bears (prix spécial du jury à Venise l’année dernière). De quoi en faire un exemple de courage et de résistance.

Mohammad Rasoulof, toujours en prison
Ami et collaborateur de Panahi, détenteur de l’ours en 2020 pour There is No Evi (Le Diable n’existe pas), Mohammad Rasoulof est, lui aussi, une tête de Turc du régime iranien. Arrêté, comme Panahi, en 2010, il avait de nouveau été mis sous les barreaux la 8 juillet 2022, en compagnie du réalisateur Mostafa al-Ahmad. Et ce au lendemain de la publication d’une tribune critiquant l’attitude des forces de l’ordre lors de manifestations contre la corruption en mai 2022, au lendemain de l’effondrement d’une tour à Abadan, dans le sud-ouest du pays.
Le 7 janvier dernier, Rasoulof avait pu sortir de prison pour deux semaines, le temps de se faire soigner à l’hôpital et de passer quelques jours de convalescence chez lui. Son avocate, Maryam Kianersi, a précisé que ces 15 jours ne seraient pas décomptés de sa peine…

Certains réalisateurs ont, eux, choisi de quitter de pays. Exilé au Danemark, Ali Abbasi fait partie de ceux-là. Après son thriller fantastique Border en 2018, il signait avec Les Nuits de Mashhad (Holy Spider) un thriller féministe explosif s’attaquant frontalement au régime patriarcal iranien.

Des actrices dans le viseur
Évidemment interdite par Téhéran, cette production européenne avait permis à l’actrice Zar Amir Ebrahimi de décrocher le prix d’interprétation lors du 75e Festival de Cannes, en mai 2022. Celle-ci vit en exil en France depuis 2008, après avoir dû fuir l’Iran, où elle risquait le fouet, alors qu’une vidéo intime de ses ébats amoureux était apparue sur Internet…

À Paris, Ebrahimi a rejoint la célèbre Golshifteh Farahani qui, après avoir tourné pour les plus grands réalisateurs iraniens (Bahman Ghobadi, Abbas Kiarostami, Asghar Farhadi…), a dû quitter le pays. Les autorités de son pays ont en effet vu d’un très mauvais œil qu’en 2007, elle accepte une proposition d’Hollywood et qu’elle joue dans Mensonges d’État de Ridley Scott. Après 15 ans d’exil, l’actrice vit celui-ci toujours aussi mal, mais sa carrière internationale a pris son envol…

Contrairement à Ebrahimi, Farahani ou Mina Kavani (autre actrice exilée à Paris, qui joue dans No Bears de Panahi), Taraneh Alidoosti a, elle, choisi de rester en Iran. À l’affiche il y a peu de l’intense Leïla et ses frères de Saeed Roustaee (finalement interdit en Iran après son passage par la Compétition cannoise), l’actrice a été arrêtée le 17 décembre dernier, pour avoir soutenu la vague de protestation déclenchée par la mort, le 16 septembre 2022, de Mahsa Amini, décédée à 22 ans après avoir été arrêtée à Téhéran par la police des mœurs.
Même le très sage Asghar Farhadi avait appelé à la libération de son actrice fétiche, qu’il a fait tourner à quatre reprises, notamment dans À propos d’Elly en 2009 et Le Client en 2016. Après trois semaines de détention à la prison d’Evin à Téhéran (la même que Panahi et Rasoulof), l’actrice a finalement été libérée sous caution…

Connue pour ses positions critiques, Alidoosti avait déjà été inquiétée en 2016 après la révélation d’un tatouage féministe aperçu sur des images prises lors du Festival de Cannes. Tandis qu’en janvier 2020, elle avait été condamnée à cinq mois de prison avec deux ans de sursis pour “activités de propagande contre l’État”. Sa faute ? Avoir diffusé une vidéo montrant, déjà, la police des mœurs s’en prendre à une femme ne portant pas le hijab…
