Davy Chou : “Savoir exactement qui l’on est peut être une quête sans fin et sans réponse”
Dans “Retour à Séoul”, qui sort ce mercredi au grand écran, le jeune cinéaste franco-cambodgien aborde, avec beaucoup de finesse, le thème de l’identité. En filmant le retour sur la terre de ses origines d’une jeune Française adoptée.
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Publié le 07-02-2023 à 17h35
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Présenté en section Un Certain Regard en mai 2022 à Cannes, Retour à Séoul y a été très remarqué. Son jeune réalisateur, Davy Chou, était donc été très demandé sur la Croisette. Et notamment par les journalistes coréens, qui ont salué l’authenticité dans la peinture que fait le Franco-Cambodgien de la société coréenne dans son deuxième film. “Pour moi, c’est très flatteur, parce que c’était mon objectif et j’avais peur de rater ça”, nous confiait-il alors.
Ce qui séduit dans Retour à Séoul, c’est en effet la capacité de Davy Chou à éviter la carte postale sur la Corée. Pour se familiariser avec le pays, le réalisateur y a passé beaucoup de temps. D’abord en tant qu’invité du Festival de Busan, où il s’est rendu six ou sept fois, puis en s’installant plusieurs mois sur place. “Mais, ce n’est pas assez… Ça a surtout été un travail de conseil. J’ai posé plein de questions à beaucoup d’amis coréens, basés en France ou en Corée. Je leur soumettais ce que j’écrivais, pour qu’ils me disent ce qu’ils en pensaient. Ça a été un travail en continu, durant la préparation, les répétitions, avec les comédiens, avec les responsables des décors, des costumes, avec mon producteur coréen… Plein de réalisateurs sont allés faire des films dans des pays qui n’étaient pas les leurs et, parfois, c’est complètement à côté, tacle le cinéaste de 39 ans. J’étais très alerte sur cela, parce que je n’avais pas envie d’avoir honte à la fin et qu’on me dise que c’est n’importe quoi… Tous les gens avec qui j’ai travaillé, les acteurs et les chefs de poste sont des gens qui adorent leur métier. Donc eux aussi n’ont pas envie d’être gênés à la fin, que ça ne fasse pas authentique parce qu’ils ont été sous la direction d’un réalisateur français… ”

Une histoire vraie
L’idée du film vient de l’expérience vécue par l’une des meilleures amies de Davy Chou, Laure Badufle. “Après nos études, elle a vécu deux ans en Corée. Elle ne l’avait pas prévu. Elle était partie six mois pour faire un stage et finalement, elle est restée un an et demi en plus pour travailler à l’ambassade de France. C’est intéressant symboliquement… C’est un peu comme Freddie dans le film. Un peu comme moi aussi. Je suis parti au Cambodge à l’âge de 25 ans pour six mois. Je suis finalement resté un an et demi et je suis revenu avec un film… On ne s’est pas dit : je renoue avec mes origines. C’était une curiosité, une peur aussi. On s’est dit : j’y vais et advienne que pourra. Et à la fin, évidemment qu’il y a quelque chose de plus profond qui s’est passé”, explique le cinéaste.
"Ce n'est un secret pour personne que le modèle républicain d’assimilation à la française a en partie échoué."
Après avoir rencontré deux fois son père biologique en Corée, Laure Badulfe est rentrée en France en disant avoir tiré un trait sur la Corée. Mais en 2011, quand Davy Chou a été invité au Festival de Busan, elle lui a dit : “J’ai pris une semaine de vacances, je t’accompagne, je vais te montrer mon pays. Par contre, on ne verra pas mon père.” “Au bout de deux jours là-bas, elle me dit : ‘Écoute, j’ai envoyé des textos à mon père, je le vois demain. Ça te dit de venir avec moi ?’ Ça en disait déjà beaucoup des contradictions internes, que j’ai essayé de refléter dans le personnage de Freddie, qui est tout le temps en train de dire quelque chose, puis de faire autre chose. C’est la vie ; on est plein de contradictions. Mais dans ces histoires où notre passé nous a été subtilisé, où il y a des zones d’ombre, les contradictions sont peut-être encore plus fortes et vivaces… Je me suis donc retrouvé le lendemain face à son père et à sa grand-mère, devant un restaurant de poulet traditionnel, comme dans le film. Cette expérience m’a profondément marqué, car c’était une scène très chargée émotionnellement, pleine de sentiments extrêmes et contradictoires. Avec beaucoup de tristesse, beaucoup de regrets et de colère aussi. ”
Quand le réalisateur a proposé à son amie de faire un film sur sa vie, celle-ci – alors basée à Londres, où elle vendait des armes, comme Freddie dans le film… – a accepté. Mieux, elle a largement nourri le film, en partageant avec Davy Chou son expérience de Française en Corée, mais aussi de jeune Coréenne adoptée en France. “Elle m’a envoyé un document de 20 pages qui racontait ce que cela signifiait pour elle d’être la seule Asiatique dans une petite ville dans les Landes. D’être victimes de racisme aussi, à un très jeune âge. De ne pas comprendre pourquoi on ne ressemble pas aux autres… ”, explique le cinéaste.

Plus Française que Coréenne ?
Dans Retour à Séoul, quand Freddie débarque en Corée, elle est presque une caricature de la Française. “Elle se revendique Française !, commente le réalisateur. Il y a quelque chose de l’ordre de la sur-affirmation, de la résistance qui m’amusait beaucoup. Tout d’un coup, elle se retrouve dans un milieu qu’elle considère peut-être comme hostile, qui la sort de sa zone de confort. Elle est en Corée, entourée de gens qui ont le même visage qu’elle et qui, pourtant, sont très éloignés d’elle. Il y a aussi quelque chose de l’ordre de l’arrogance. C’est Ji-min (Park, l’actrice, cf. ci-dessous) qui m’en a parlé. Pour elle, Freddie a une approche presque néo-néocolonialiste : elle se sent supérieure, montre l’audace à la française, etc. Ça m’intéressait beaucoup de voir que le personnage va évoluer par rapport à cela et va comprendre d’autres choses, va trouver sa place sans avoir besoin tout le temps d’y aller en force.”
La question, douloureuse, que pose le film, c’est en effet celle-ci : Freddie pourra-t-elle un jour se sentir Coréenne en Corée ou restera-t-elle toujours Française ? “Je peux parler de mon expérience personnelle. Ce n’est un secret pour personne que le modèle républicain d’assimilation à la française a en partie échoué. Il m’est souvent arrivé de croiser des personnes au même profil que moi, des Français d’origine cambodgienne qui ne se sentaient pas très bien en France et qui allaient au Cambodge en pensant que ça allait résoudre tous leurs problèmes. Parce qu’ils avaient l’impression, parfois, de ne pas se sentir chez eux en France ou en tout cas d’être toujours regardés différemment et que ça nourrissait une souffrance. Mais dans 100 % des cas, ils se sont cassé la gueule, parce que ce n’est pas possible. Leur histoire est différente ; ils ne sont pas nés au Cambodge… C’est ce que raconte le film. Moi-même, j’habite au Cambodge et j’ai beaucoup d’amis cambodgiens, mais je sais très bien que mon expérience n’a rien à voir avec celle de quelqu’un qui est né là-bas… L’expérience de la vie m’a montré qu’il fallait du temps. Croire que les choses peuvent se résoudre rapidement est illusoire et cela peut nourrir beaucoup de frustrations et de tristesse. C’est pour ça que le film, alors qu’on ne s’y attend peut-être pas, se développe finalement sur un certain nombre d’années. Parce qu’il faut du temps pour trouver la juste distance par rapport à son passé, pour trouver la juste place. Et peut-être que la réponse, à la fin, c’est de comprendre qu’on ne trouvera jamais la bonne distance… ”, conclut Davy Chou.

Bio-express : Davy Chou
Né à Fontenay-aux-Roses, en région parisienne, en 1983, Davy Chou a baigné dans un milieu cinéphile. Son grand-père, Van Chann, était en effet un grand producteur cambodgien dans les années 1960 et 1970.
Vivant désormais entre la France et le Cambodge, le jeune homme est non seulement réalisateur — Retour à Séoul est son second long métrage de fiction après Diamond Island, présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2016, et après son court Cambodia 2099, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2014 —, mais il a aussi contribué à relancer l’industrie du cinéma au Cambodge. En 2009, il a ainsi créé un atelier de cinéma avec le concours de six universités du pays intitulé “Films khmers, jeunes Khmers”. Tandis qu’il a produit plusieurs films cambodgiens, dont le délicat White Building de Kavich Neang (avec qui il a fondé la société de production Anti-Archive en 2014). Un film très remarqué lors de sa présentation aux Orizzonti de la Mostra de Venise en 2021, ou son jeune acteur Piseth Chhun a décroché le prix d’interprétation. “J’ai réalisé Diamond Island, un film sur la jeunesse cambodgienne. Et j’ai produit White Buiilding. Nos perspectives sur le pays sont absolument différentes de par notre expérience différente. Et c’est tant mieux”, commente Chou, pour souligner sa place très particulière de cinéaste partagé entre Orient et Occident.
Installé de façon permanente au Cambodge de 2010 à 2011, Davy Chou a également recueilli de nombreux témoignages sur l’âge d’or du cinéma cambodgien durant les années 1960 et 1970, jusqu’à l’arrivée des Khmers rouge au pouvoir en 1975. Lesquels ont détruit quelque 400 films. Une histoire qu’il retraçait dans son documentaire Le Sommeil d’or, présenté à la Berlinale en 2012.

Ji-min Park : Une révélation
Pour camper Freddie, l’héroïne de Retour à Séoul, Davy Chou a fait appel à Ji-min Park, qui explose dans son premier rôle à l’écran. Cette artiste plasticienne coréenne installée en France lui a été conseillée par un ami coréen adopté en France, qui trouvait qu’elle avait beaucoup de choses en commun avec le personnage. “Effectivement, quand on s’est rencontrés, j’ai vu que c’était le cas, commente le réalisateur. Les sentiments qui traversent Freddie sont familiers à Ji-min. Mais après, c’est autre chose de jouer… C’est quand on a commencé à faire des tests ensemble, qu’on a fait quelques scènes, que ça a été vraiment une évidence. J’ai quand même pas mal bossé avec des non-professionnels, je choppe assez rapidement si la personne peut jouer ou pas. Et elle, en une seconde, c’était le cas. Elle s’oubliait totalement, elle n’avait pas la conscience de la caméra, la peur du regard des autres ; ce qui est souvent le problème des non-professionnels. Elle était juste là, tout de suite dans l’émotion. Après, on a travaillé évidemment le personnage, les scènes, les émotions… Je lui ai donné un peu de technique, même si je n’ai pas énormément d’expérience.”