Mina Kavani, comédienne iranienne en exil : “Je suis une actrice qui a choisi la liberté. Point barre !”
“No Bears” sort ce mercredi sur nos écrans, au lendemain de la libération du réalisateur iranien Jafar Panahi, qui était détenu à la prison d’Evin à Téhéran depuis juillet 2022. Sa jeune comédienne Mina Kavani vit, elle, en exil à Paris depuis 2014.
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Publié le 07-02-2023 à 14h00
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Le 30 janvier dernier, la comédienne franco-iranienne Mina Kavani était de passage à Bruxelles pour l’avant-première de No Bears (Aucun ours)***, le dixième long métrage de l’Iranien Jafar Panahi, qui sort ce mercredi au cinéma. La jeune femme y interprète une jeune Iranienne exilée en Turquie tentant d’obtenir de faux papiers pour fuir vers l’Europe et dont Panahi souhaite retracer le parcours dans un film. Sauf que, interdit de quitter l’Iran, le cinéaste est installé dans un petit village de l’autre côté de la frontière et est contraint de diriger son équipe par vidéo interposée…
La mise en abîme est double. Pour le cinéaste, coincé en Iran. Et pour son actrice, qui vit en exil à Paris et parle parfaitement français. Kavani a grandi à Téhéran dans un milieu artistique ; son oncle est ainsi un grand metteur en scène de théâtre, qui lui donne son premier rôle à 16 ans. En 2010, à l’âge de 23 ans, la jeune femme décide d’aller étudier le théâtre à Paris. Elle doit s’y installer définitivement en 2014, après avoir tourné, sans voile et dans des scènes dénudées, dans Red Rose de sa compatriote Sepideh Farsi, film critique du gouvernement iranien, qui se déroulait sur fond des mouvements de colère de 2009.
On reverra Mina Kavani prochainement dans Embassy 87, une série originale Netflix tournée à Abou Dabi.

”No Bears” a été tourné de façon très particulière, par vidéo interposée… Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Jafar Panahi cherchait des actrices iraniennes exilées. Comme nous ne sommes pas vraiment nombreuses, ça a été vite… Quand je suis arrivée en Turquie, il était avec nous grâce au téléphone. Il voyait tout ce qui se passait. Quand on répétait, il nous disait de faire ceci ou cela, d’aller là-bas… On faisait la première prise. Un technicien lui envoyait à Téhéran. Il la regardait en haute définition, puis il nous rappelait… Bien qu’il n’était pas là, c’est lui qui dirigeait tout, qui avait le dernier mot. Par contre, moi, en tant une actrice qui a besoin du regard de son réalisateur, cela pouvait me frustrer parfois. Je me suis toujours demandé si, s’il avait été là, on aurait pu inventer d’autres choses ensemble. En même temps, cette situation nous inspirait, puisque c’est la thématique du film…
Que représente pour vous Jafar Panahi, un cinéaste qui, malgré ses problèmes avec le régime, a choisi de rester en Iran ?
On est tous un peu les victimes de la République islamique. Même si je ne me considère pas comme une victime. Je savais que je ferais mon métier d’actrice ici. Je voulais entrer au Conservatoire national d’art dramatique de Paris ; c’est pour cela que j’ai quitté l’Iran. Je savais que, tôt ou tard, je devrais prendre une décision, mais je ne pensais pas que ça irait si vite. Dès ma sortie du Conservatoire, on m’a proposé ce rôle dans Red Rose de Sepideh Farsi, dont je suis tombée follement amoureuse. J’aimais sa liberté, son côté sauvage. J’ai été attaquée par le gouvernement iranien, qui m’a accusée d’être la première actrice pornographique iranienne, mais aussi par beaucoup d’intellectuels. Je serais de toute façon restée ici, mais je pensais que ça se ferait petit à petit, en jouant sans foulard dans un film français… Je ne pensais pas que ça se ferait dans un film critique du gouvernement iranien, une histoire d’amour entre une jeune femme et un homme âgé, avec, pour la première fois, des scènes d’amour… Mais, si je voulais faire carrière ici, il fallait que j’accepte de jouer sans voile. J’étais prête à me battre pour mon métier. Car c’est quand je joue que je me sens vivante. Et ça, ça n’a rien à voir avec l’Iran, avec l’exil. C’est vraiment lié à qui je suis depuis toute petite. Ça a toujours été l’endroit où je voulais être, où je me sentais vivante, où je pouvais respirer. Et pour exercer mon métier, j’avais besoin de la liberté. Cette passion pouvait, qui plus est, me donner le courage de supporter l’exil qui va avec…
"On se couche tous les soirs en se demandant qui sera exécuté le lendemain."
Ali Abbassi, cinéaste iranien en exil au Danemark, auteur récemment d’Holy Spider, est assez en colère contre le cinéma iranien qui donne, selon lui, une image tronquée de la société iranienne…
C’est vrai que le cinéma iranien n’a jamais montré le vrai visage des Iraniennes. C’est pour ça que j’ai voulu jouer Sara dans Red Rose, que j’ai voulu être la première actrice iranienne qui montre la vraie image de la jeunesse iranienne : moderne, sauvage, libre. Moi, j’ai grandi en faisant la fête, en fumant des pétards, en buvant de l’alcool. On était rock’n’roll ! Je déteste qu’on me case dans la position de victime, qu’on ne me considère juste comme une exilée. Non, je suis une actrice qui a choisi la liberté. Point barre ! Certes, le cinéma iranien ne montre pas la réalité de notre pays, mais ils sont obligés de faire avec la censure. Quelque part, je suis admirative de tous ces artistes qui ont réussi à faire de beaux films et à parcourir les festivals du monde entier. Ayant quitté le pays, je ne me permettrais pas de les critiquer… Mais moi, je rêvais d’être Gena Rowlands ou Isabelle Adjani. C’était impossible avec un cerveau censuré, limité… C’est leur choix de rester. Ça n’a pas été pas le mien.
Dans Red Rose, vous avez choisi d’enlever votre voile. C’est exactement ce qu’ont fait une partie des femmes iraniennes il y a quelques mois. Ce mouvement vous a-t-il surprise ?
Pas du tout ! C’est juste une petite flamme qui a réveillé tout ce que j’avais déjà vécu en Iran, ça. Ce que vous, vous voyez aujourd’hui, ça fait un moment que ça bout. L’hypocrisie est enfin tombée. On va dans la bonne direction. Après, est-ce que ça va changer demain ou dans un an ? Je ne peux pas vous dire. La politique est très complexe. Ce que je sais, c’est qu’on a besoin d’être soutenus. Et ce dont je suis sûre, c’est que ce mouvement ne va pas s’arrêter. Mais il y a un prix à payer. On se couche tous les soirs en se demandant qui sera exécuté ou fait prisonnier le lendemain. C’est très dur… On vit des choses surréalistes. Pourquoi, quand Panahi fait un film, il doit se mettre dans un état pareil ? Vous imagineriez que ça arrive à Jean-Luc Godard ? Pourquoi une actrice ne peut pas retourner chez elle depuis neuf ans juste parce qu’elle a joué dans un film ? Où est-ce que ça existe ça ? Bien évidemment, Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi (l’actrice d’Holy Spider primée à Cannes, qui vit comme ses deux collègues en exil à Paris, NdlR) et moi nous sommes des victimes de cela. Mais, peut-être, que l’histoire du cinéma retiendra finalement qu’on a été des pionnières…
"L’exil, qu’il soit choisi ou non, est toujours difficile."

Le contexte
En juillet 2022, Jafar Panahi était arrêté et emprisonné à Téhéran. Deux mois plus tard, il recevait le prix spécial du jury de la 79e Mostra de Venise pour No Bears (Aucun ours). En salles ce mercredi, le dixième film du cinéaste iranien – enfin libéré vendredi – est une incroyable mise en abîme de son travail de cinéaste empêché de travailler par le régime iranien, qui doit ruser pour continuer à faire des films. Si l’humour est souvent présent chez Panahi pour faire passer sa colère – notamment dans le magnifique Taxi Téhéran, qui avait valu à Panahi l’ours d’or à la Berlinale en 2015 – , le ton est cette fois très différent. Grand film tragique, No Bears est en effet dominé par la peur…

"On est tous un peu les victimes de la République islamique."