Pratiquer la musique, c’est rencontrer la beauté
Entretien avec le compositeur et chef de chœur anglais Edward Higginbottom
Publié le 07-02-2023 à 19h36
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En décembre 2018, la sortie du film Higgi, Inspiring Voices plongeait dans l’extase tous les amoureux du chant. Réalisé par Loïc Porcher et Philippe Reypens au New College d’Oxford, ce film révélait aux continentaux admiratifs le travail réalisé durant 38 ans par Edward Higginbottom auprès de simples écoliers – âgés de 7 à 12 ans – que l’on découvrait au quotidien, chantant des polyphonies de la renaissance ou des motets de Bach tout en cartonnant dans les branches générales.
C’est ce film qui incita Gilles Ledure et quelques musiciens – dont Lionel Meunier, Philippe Herreweghe, Bart Van Reyn et “Higgi” lui-même (selon son surnom familier) – à fonder la Flagey Academy, avec des objectifs similaires, assortis, en plus, d’une dimension sociale. Aujourd’hui, le chœur d’enfants, placé sous la direction d’Helen Cassano, est en place et a fait ses premiers pas en public. Fin janvier, un week-end de réflexion rassemblait Flagey tous les protagonistes – musiciens et enfants – et le chef anglais en était l’invité d’honneur.
Promouvoir la pratique du chant auprès des enfants, un exercice délicat...
La pratique de la musique attire autant qu’elle fait peur. Et en Belgique, elle est souvent motivée par des buts “utilitaires” : socialisation, développement de la personnalité, égalité des chances etc. Je pense que la première raison de la pratiquer est qu’elle offre une rencontre directe avec la "beauté".
Mais comment convaincre ceux qui, précisément, n’ont pas l’expérience de cette rencontre ?
Je pars de la certitude que la beauté se révèle par elle-même, encore faut-il y accéder. Lorsque l’enfant chante, quelque chose de puissant peut tout à coup surgir, dans le registre du pur sonore, du timbre, quelque chose qui atteint directement les sens, en particulier dans la musique dite classique. Et c’est alors la découverte qui change tout, le chemin de Damas…
Quelle différence y a-t-il entre l’expérience vécue dans un chœur dédié à la musique “savante” et celle rencontrée dans la musique pop, urbaine, etc. ?
C’est avant tout une question de complexité, même s’il est possible d’atteindre la rencontre décrite plus haut à travers des formes simples. Le plus dur, pour moi, est de supporter la musique mal faite, celle qui insulte mon intelligence (rires) ! Je veux, en écoutant la musique, ressentir des capacités de développement, d’aventure, de voyage… La musique qui m’intéresse est celle où je me sens concerné, où j’ai envie de m’impliquer.
Un tel niveau d’exigence est-il applicable à des enfants de 8 ans ?
L’essentiel est de ne jamais leur dénier la capacité – le droit ! – d’aborder des choses compliquées. Ne jamais préférer des choses “enfantines”. Tendre la main aux enfants mais toujours pour leur permettre de se dépasser, d’aller plus loin. Prenons l’exemple du déchiffrage – la première lecture d’une partition : s’ils y arrivent, les enfants deviennent leur propre agent, ils gagnent en liberté et en indépendance, avec leur propre technique et leur propre compréhension, c’est ainsi qu’ils établissent des liens sémantiques et sensoriels avec la partition et ce qu’elle contient. Du coup, de mon côté, je deviens un simple collègue ! Je ne suis plus Dieu le Père mais seulement le Saint-Esprit (grand éclat de rire). C’est ce que je vais tenter de démontrer dans la répétition publique que je dirige cet après-midi.
La polyphonie, pour un enfant, est-ce compliqué ?
Dans mon expérience à Oxford, les enfants chantent la ligne des sopranos, parfois aussi celle des altos, ce qui fait deux voix, les autres étant chantées par les ténors et les basses. Et j’observe qu’ils sont capables de chanter d’emblée dans un chœur à quatre voix, au quotidien, en déchiffrant sur place leur partie. Pour eux, c’est donc tout simple.
Des enfants surdoués quand même ?
Non, on les choisit d’abord parce qu’ils sont responsables et réactifs. On n’est pas dans le monde infantile, on est dans le monde. Aujourd’hui, nous retardons trop l’accès à l’âge adulte.
Le chant pour tous ?
Si je veux que les enfants chantent, c’est pour leur offrir une expérience irremplaçable, et bénéfique dans tous les domaines.