Nommé aux Oscars, “Women Talking” est un manuel de féminisme appliqué

Pour son quatrième long métrage, la Canadienne Sarah Polley s'inspire d’une histoire vraie pour mettre en scène une réunion non-mixte de femmes mennonites discutant de l’attitude à adopter face aux agressions répétées d’hommes de leur communauté…

Women Talking s’ouvre sur une image semblant sortir du XIXe siècle. Une jeune femme Ona (Rooney Mara), en longue robe de nuit, se réveille l’entrejambe ensanglanté. Sa mère, en habits traditionnels, la prend dans ses bras et la réconforte… En voix off, une jeune fille s’adresse à un enfant à naître : “Cette histoire s’arrête avant ta naissance…”

Cette histoire, c’est celle d’un groupe de femmes mennonites confrontées à la violence masculine. Régulièrement, quel que soit leur âge, certaines d’entre elles se réveillent après avoir été violentées et violées.

Les hommes de leur colonie ont toujours prétendu qu’il s’agissait des actes d’un fantôme ou du Diable. Mais un jour, elles prennent un homme sur le fait, qui dénonce sept autres membres de la communauté. Alors que les autres hommes les emmènent à la ville pour les remettre à la police, les femmes se réunissent dans la grange à foin. Que doivent-elles faire ? Rester et pardonner, comme leur inculquent la tradition et leur religion ? Rester et se battre ? Ou partir ?

"Women Talking" de Sarah Polley.
Claire Foy et Rooney Mara mènent la révolte des femmes dans "Women Talking" de Sarah Polley. ©SONY

La parole aux femmes

Son quatrième long métrage, Sarah Polley ne le situe pas précisément, ni dans le temps, ni dans l’espace. La colonie en question est mennonite fondamentaliste — un mouvement proche des Amishs, qui refuse le progrès et la modernité. Et l’on comprend qu’on est quelque part en Amérique du Nord, après la Seconde Guerre mondiale…

Ce Qu’elles disent, le livre de la romancière canadienne d’origine mennonite Miriam Toews dont est tiré le film, était inspiré d’une histoire vraie, arrivée aux femmes d’une communauté mennonite de Bolivie durant les années… 2000. La cinéaste gomme intelligemment cet aspect “inspiré de faits réels”, pour tendre vers une forme d’abstraction. Tout en restant fidèle au roman qui racontait, lui aussi, deux journées de discussions entre femmes…

Ce que met en scène la cinéaste canadienne, c’est littéralement une réunion non mixte, dont on comprend ici parfaitement, plus que l’utilité, la nécessité. Dans la grange, on ne trouve que des femmes, de tous âges. À l’exception d’August (Ben Whishaw), instituteur amoureux d’Ona, revenu dans la communauté après avoir pu étudier en dehors de celle-ci. Les femmes l’ont chargé d’enregistrer les minutes de leurs débats.

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"Women Talking" de Sarah Polley.
"Women Talking" ou une vision de la sororité selon Sarah Polley. ©SONY

Un film radicalement féministe

Porté par un magnifique casting féminin – de Rooney Mara à Claire Foy, en passant par Jessie Buckley ou Frances McDormand (également productrice) -, Women Talking nous donnent à voir un groupe de femmes décidant de se libérer du joug de la tradition, de la religion et donc du patriarcat, pour décider, elles-mêmes, de leur sort.

Malgré la condition particulière de ces femmes mennonites vivant peu ou prou comme au XVIIIe ou au XIXe siècle – maintenues dans l’ignorance et contraintes, par la violence et la croyance, à de pas remettre en cause l’autorité masculine -, les questions qu’elles posent sont très actuelles. Le dispositif assume sa théâtralité, mais il a le mérite de mettre en scène, par le biais de la fiction, les ressorts du raisonnement féministe et le pouvoir de la parole libératrice.

Au-delà de la passionnante démarche intellectuelle, Sarah Polley parvient à faire passer le spectateur par une kyrielle d’émotions bien réelles : de la douleur à colère, du rire à la peur… Au rythme de ce chœur de femmes en pleine découverte de leur sororité.

"Women Talking" de Sarah Polley.
Sarah Polley, sur le plateau de "Women Talking". ©SONY

Women Talking Drame Scénario et réalisation Sarah Polley (d’après le roman Ce qu’elles disent de Miriam Toews) Photographie Luc Montpellier Musique Hildur Guðnadóttir Montage Roslyn Kalloo Avec Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley, Ben Whishaw, Frances McDormand… Durée 1h44

étoiles Arts Libre cinéma
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