Chevalier Surprise, quand l'énergie punk transcende le handicap
Le quatuor originaire de Verviers, dont deux membres sont porteurs d’un handicap mental, propose un rock féroce et des concerts d’une intensité rare. Il est en final du concours “Du F. Dans le Texte”.
Publié le 16-02-2023 à 12h13
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“Quand je vais à la boulangerie, à la poissonnerie et que les gens me regardent de travers, j’ai envie de leur dire : Vous avez un problème ? Vous voulez mon poing dans votre gueule ?” Ce texte, Julien le chante sur “Défigure”, et règle ses comptes avec les regards constants, insistants, lorsqu’il sort en ville. Julien a des déficiences cognitives. La musique est son exutoire, son espace d’expression. “J’avais besoin de le dire, d’envoyer un message aux gens. Je n’aime pas qu’on me dévisage. Que ce soit au supermarché, au marché, dans les autres villes. Quand les gens me dévisagent, je déteste ça. C’est horrible”, raconte le chanteur. Avec Omega (synthés, chant), également porteur d’un handicap mental, et deux musiciens de The Experimental Tropic Blues Band, Jéremy Alonzi (guitare) et David D’Inverno (batterie), ils forment Chevalier Surprise. Un groupe de “boogie punk rock au phrasé syndical”.
L’art des marginaux
Le quatuor s’inscrit dans le mouvement de l’art outsider, parfois appelé art brut. Une discipline qui se pratique hors des normes, en dehors des circuits traditionnels, au-delà des conventions. On peut notamment y retrouver le collectif punk Astéréotypie, porté par des chanteurs autistes, qui a sorti l’un des meilleurs albums français de l’année écoulée avec Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme. En Belgique, il existe les Choolers Division, groupe de hip-hop underground mené par deux rappeurs trisomiques, et le Wild Classical Music Ensemble. Mais on pourrait également citer l’Indigo Magic Orchestra, qui propose des DJ sets chaque mois sur Kiosk Radio.
Depuis quelques années, de nombreuses initiatives existent en Belgique pour soutenir les pratiques artistiques des personnes ayant un handicap intellectuel. “Chez nous, les animateurs d’ateliers viennent du milieu artistique. Ce ne sont pas des éducateurs ou assistants sociaux, comme c’est souvent le cas en France. Cela peut davantage découler sur des choses plus abouties”, assure Véronique Malmendier, coordinatrice de l’ASBL Zone-Art, situé à Verviers. C’est dans ce Centre d’Expression et de Créativité que s’est créé Chevalier Surprise en 2017, sous l’impulsion du musicien Rémi Rotsaert (Balimurphy, Dalton Télégramme), qui a, depuis, quitté la formation.
Sensation de bien-être
Omega, fan d’Aya Nakamura et du rappeur Ninho, et Julien qui écoute plutôt Patrick Bruel ou Kendji Girac, se sont donc retrouvés à faire du punk explosif. “Le rock procure une sensation de bien-être et de relâchement”, assure Julien. Pour Jéremy Alonzi, le genre permet de se comprendre plus facilement, ne pas trop réfléchir, se laisser aller. “C’est un genre qui met davantage en avant l’énergie que le fait d’essayer de bien faire ou de vouloir faire quelque chose de beau”, soutient David D’Inverno. Leur premier album, Morceau de Bravoure, publié l’année dernière, a été enregistré dans le local des deux musiciens.
Sur scène, les deux chanteurs exultent, occupent l’espace avec aisance, interagissent avec le public. “Moi je veux vous dire que, quand je monte sur scène, ça me rend bizarre et timide. J’essaie de me sentir à l’aise devant tout le monde. J’essaie de me détendre”, assure Omega, qui se perd parfois dans ses phrases quand il répond aux questions. Julien confie avoir été très stressé lors des premiers concerts. “Je n’avais pas regardé les gens, j’étais fort gêné. Maintenant, j’assume. J’assume mon rôle de star ! On est des stars !” “Ouais, ça c’est vrai, on est des superstars à 100 % !”, renchérit son camarade. Ils viennent d’enchaîner des dates à Tours et Lille et passeront ce vendredi au Botanique pour la finale du concours Du F. Dans le Texte (avec Blue Davis, Mathieu Teissier et Leila Lachterman), avant d’assurer la première partie de l’artiste française Rebeka Warrior.
Pas de posture
Pour Jérémy Alonzi, Omega et Julien sont les personnes les plus adaptées à la scène. “Ils sont justes. Ils sont normaux. Pour des tas de groupes, ce ne sont que des poses. Même quand certains s’adressent au public, tout est calculé, enfermé, emprisonné. Eux, c’est juste.” Jéremy et David préfèrent leur laisser la place et se mettre à leur service. “Omega a une grande sensibilité musicale, c’est lui qui dirige sur pas mal de morceaux”, expliquent-ils. “Si je lève un doigt, ça veut dire qu’il faut faire plus fort”, répond l’intéressé.
À ses débuts, Chevalier Surprise donnait quelques concerts dans des centres pour personnes handicapées. Mais ses membres se sont vite rendu compte que leur vocation n’était pas là. Il s’agit plutôt de sortir d’une forme de “ghettoïsation”. “On se trouve aujourd’hui dans une période où l’on prône l’inclusion. Mais les grands perdants, ce sont les personnes porteuses de handicap, assure Jérémy Alonzi. On n’en parle jamais. Il faut les rendre visibles. Que les gens se rendent compte qu’elles sont cool.”
→ En concert le 17/02 au Botanique (Bruxelles) pour la finale du F. Dans le Texte