Quand le Wild Classical Music Ensemble de Courtrai rencontre Lee Ranaldo de Sonic Youth
La formation belge sort un quatrième album, “Hell Gate”, ce vendredi, et continue de faire exploser les a priori concernant les personnes en situation de handicap.
Publié le 16-02-2023 à 14h11
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Aussi incroyable que cela puisse paraître, le groupe belge Wild Classical Music Ensemble s’apprête à embarquer dans une tournée aux côtés de… Lee Ranaldo, cofondateur du groupe emblématique de la scène rock alternative, Sonic Youth. Rien n’aurait pu laisser présager cette trajectoire. Les choses commencent en 2007, lorsque le musicien bruxellois Damien Magnette (Facteur Cheval, Zoft) se lance dans l’animation d’ateliers musicaux pour personnes porteuses de handicap mental. “Je suis tombé amoureux de ce qu’elles pouvaient proposer artistiquement, de leur liberté, leur spontanéité.” Il prend ses quartiers chez Wit. h, une ASBL basée à Courtrai qui défend les pratiques artistiques auprès de ce public, et s’y rend chaque semaine. Dans un premier temps, la démarche est expérimentale. Jusqu’au moment où Damien Magnette trouve une batterie, commence à frapper sur la caisse claire, et qu’un autre membre s’empare d’une guitare électrique.
Une émulation se crée, le groupe prend forme et se tourne vers un rock vif, intense et instinctif. “À la base, on était plutôt dans une musique improvisée et contemporaine, des trucs très déstructurés. En ajoutant du rythme avec des riffs simples, tout le monde s’est animé d’un coup.” Le batteur est accompagné de Wout Wittevrongel (guitare électrique) et quatre musiciens porteurs de handicap : Wim Decoene (sampleur), Johan Geenens (flûte), Linh Pham (chant) et Sébastien Faidherbe (basse, chant). La bande commence à donner quelques concerts, les retours sont bons. Encouragés, ils enregistrent un premier album éponyme, puis un second (Tapping Is Clapping) cinq ans plus tard, et un troisième (Tout va bien se passer) en 2019.
Faire tomber les barrières sociales
En concert, l’ensemble hétéroclite explose et bouscule les éventuels a priori du public. Leur objectif : offrir une vraie claque musicale avec une proposition brutale. Deuxième surprise, cette claque est donnée par des personnes ayant un handicap. “Après les concerts, tout le monde vient nous voir. Ce sont des moments très importants. Les barrières sociales par rapport au handicap tombent” assure Damien Magnette, pour qui la visibilité est cruciale. “On reste dans une société où les personnes handicapées sont très peu présentes dans la vie de tous les jours. Un sentiment de peur peut naître, car on n’est pas à leur contact, on ne sait pas ce que c’est.” Le handicap définit inévitablement le groupe, assure le musicien, qui souhaite toutefois que l’intérêt musical et artistique dépasse cet aspect et le sentiment de compassion que certains pourraient ressentir.
Basse à deux cordes qui se joue à plat, micros aux effets distordus et saturés,… Les instruments ont été spécifiquement conçus pour les quatre membres atteints de déficiences mentales, de trisomie ou d’autisme. Damien Magnette, lui, se mue en chef d’orchestre. “On joue une musique très vivante, qui n’est jamais exactement la même. Je fais pas mal de signes pour orchestrer l’ensemble” Il lance parfois des signaux vocaux pour l’un des membres. “Quand je pousse un cri sur tel morceau, il sait que c’est un break ou qu’il doit changer de partie. Il y en a un autre qui a une tracklist, comme n’importe quel autre musicien, avec des annotations pour se rappeler ce qu’il doit faire.”
Une vraie rencontre musicale
L’improvisation occupe une grande part du processus créatif. Hellgate, le nouveau projet du Wild avec Lee Ranaldo, rencontré via via, se compose d’ailleurs uniquement de productions spontanées. “Pendant deux jours, on n’a fait que jouer comme des tordus. Il y a eu une vraie belle rencontre musicale avec Lee. On s’est quitté en se disant, on sort un disque, c’est obligé ! Après, j’ai dû faire le tri dans la matière et monter de longues plages d’improvisation” Pour le Bruxellois, ils ont mieux improvisé que jamais ces jours-là, grâce à la présence d’un invité. “Ce n’était pas lié au fait que ce soit Lee Ranaldo et donc une star. Ça, les gars du groupe s’en foutent. C’est juste un musicien, ça pourrait être le gars du coin. Et ça, c’est assez génial de leur part.”
Une approche unique de la musique
Le guitariste de Sonic Youth, lui, a particulièrement apprécié cette ouverture musicale et cette féroce liberté. “L’aspect vraiment brut de l’approche musicale lui a beaucoup plu. Il a aimé le fait qu’on puisse partir dans tous les sens”, rapporte Damien Magnette. Pour le fondateur du Wild, ses compères porteurs de handicap possèdent une approche de la musique unique : très directe, très ouverte. “C’est extrêmement rare au sein d’un groupe de musique. Il suffit de lancer une idée pour que ça suive directement. Il n’y a pas de moment de réflexion. Si quelqu’un dit "on gueule tous", une seconde plus tard, tout le monde s’y met. ”
Sur le titre “The World Is Hard For Me”, Wim Decoene évoque sa course cycliste préférée. Mais aussi sa place dans un monde qu’il juge difficile pour lui. À la fin, un cri, une déflagration. “Les gars de mon groupe ont une capacité à être connectés à leurs tripes qui est absolument phénoménale. Je retrouve rarement ça chez des musiciens non handicapés.” Ici, la musique se compose, se vit et se partage de manière viscérale. Un cinquième album, enregistré à distance pendant le confinement, devrait voir le jour début 2024.
→ En concert le 15/03 au Wilde Westen (Courtrai) et le 19/03 au Botanique (Bruxelles)