LEGS, la tête, les jambes et l’histoire de la danse célébrées en chœur
L’édition 2023 du festival orchestré par Charleroi Danse se profile à la Raffinerie. Quand hier éclaire les danses d’aujourd’hui.
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Publié le 14-03-2023 à 21h39
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En français, le legs est ce qu’on lègue, l’héritage. En anglais ce sont les jambes. Mon tout désigne un rendez-vous printanier avec les multiples manières dont la danse contemporaine questionne et célèbre son histoire, ses racines, ses ramifications. Nouvelle directrice de Charleroi Danse, Fabienne Aucant nous éclaire sur les origines, les enjeux et les nouveautés de LEGS.
Héritier d’une tradition printanière (Printemps Danse, Compil d’Avril, Danseur) toujours attentive à la transmission, le festival LEGS instauré par Annie Bozzini [nommée à la tête de l’institution en 2016, elle a passé le relais à Fabienne Aucant en 2022] “s’est ouvert davantage à la culture chorégraphique, tout en choisissant des créations actuelles : comment les artistes d’aujourd’hui s’inspirent de l’histoire, du patrimoine, du répertoire, réactivent des pièces, font le point sur leurs sources d’inspiration.”
Qu’entend-on par histoire ou patrimoine, dans ce cas?
L’histoire de la danse contemporaine, bien sûr, mais aussi le ballet, les rituels, jusqu’au folklore. On se rend compte de l’intérêt des chorégraphes d’aujourd’hui pour les cultures populaires. En outre, il s’agit d’une programmation internationale: on voyage à travers les différents territoires de la danse. Ça dépasse le contexte européen et ça se sent dans l’approche des artistes, qui questionnent et politisent l’histoire, nos mythes, nos références.
Dont des motifs récurrents…
En tant que Centre chorégraphique, notre rôle est aussi de montrer la diversité des approches, des pratiques. À travers lesquelles reviennent quelques figures emblématiques de l’histoire de la danse, comme Nijinski, ou le Boléro, présent l’an dernier avec Salutations Mistinguettes de Stéphanie Auberville, et à nouveau cette année, mais sous un prisme tout à fait différent.
LEGS pourrait paraître une histoire de spécialistes, mais sa grande ouverture à la culture populaire, au répertoire très connu, permet de toucher beaucoup de monde.
L’édition 2023 de LEGS s’ouvre en effet sur “Qué Bolero o En tiempos de inseguridad nacional”. Une nouvelle relecture?
Le Colectivo Malasangre est composé de trois jeunes artistes de Cuba, en exil. Leur pièce évoque la répression policière, l’insécurité, parmi les raisons de leur départ. Elle interroge aussi leur culture de naissance, artistique et dansée – avec des rappels de carnavals, de musiques afrocubaines… C’est une réflexion sur les identités nationales, comment le corps s’imprègne de cette culture populaire, ce que cela implique. D’autant plus lorsqu’on est en exil. Ces jeunes artistes envisagent tout cela avec énormément de fluidité. Reflet d’une génération qui refuse certaines formes d’assignation – de genre, d’identité. C’est passionnant de voir comment les identités, les frontières s’effacent au profit d’une vision transversale.
Le Boléro, emblème de la culture européenne, a cependant des racines latinas…
Exactement. Ce jeune trio part de cette référence historique – un symbole sur lequel adosser la pièce – pour mieux la déconstruire, jouer avec, en y mettant beaucoup d’humour, de décalage, avec un jeu sur les costumes, sur la bande-son. Ainsi le collectif tire des fils, questionne les liens entre la culture occidentale, la culture cubaine et l’héritage de toute cette histoire. Une histoire marquée par les empreintes du colonialisme, du communisme, des carcans desquels s’émanciper. L’un des accessoires c’est la tente, symbole d’exil, qui évoque aussi la précarité, la vulnérabilité, le territoire. Le propre d’une pièce réussie est de pouvoir l’explorer à travers d’autres prismes.

LEGS se tient traditionnellement à la Raffinerie, à Bruxelles. Avec cette année un décrochage à Charleroi.
J’ai vraiment l’envie de renforcer cette circulation entre les deux pôles. Mille et une danses en donnait une belle occasion. Thomas Lebrun retraverse les vingt ans de sa compagnie dans une forme très généreuse, en croisant son propre répertoire et l’histoire de la danse contemporaine, le bain artistique dans lequel il a avancé.
LEGS, ce ne sont pas que des spectacles…
On propose d’associer les spectatrices et spectateurs aux pratiques évoquées dans la programmation. Il y a ainsi cette année trois ateliers, l’un autour de Carcass de Marco da Silva Ferreira, un mené par Aina Alegre dans le sillage de Fandango et des danses basques, un autour du processus lié au Lac des Cygnes par Olga Dukhovnaya.
Il y a aussi, pendant tout le festival, une installation de Contredanse autour de la notion d’archive et de vidéo.

Le cycle Fancy Legs, indépendant du festival, y trouve cependant aussi un ancrage. Comme un reflet très inclusif et participatif de la vitalité des danses urbaines…
Au-delà d’un spectacle créé pour un plateau, comme on en programme tout au long de la saison, comment s’ouvrir à ces expressions (krump, house, hip hop…) à ces communautés très vivantes mais souvent assez isolées les unes des autres, comment faire en sorte que ça se rencontre… En collaboration avec l’association Freestyle Lab, on propose 3 ou 4 Fancy Legs par saison. Avec la veille un atelier pour s’initier à une pratique ou l’approfondir, et le jour J une soirée entre jam, party et aspect performatif. Un concept hybride, ni club ni battle, mais avec des guests, des DJ. C’est organique, festif, pas trop scénarisé, et dans un esprit d’échange, de rencontre, de jeu, de manière à permettre à toute personne d’y assister voire d’y participer, selon son souhait du moment.
Tout cela à la Raffinerie, comme un clin d’œil aux mythiques soirées du Plan K.
C’est un des enjeux: retrouver à notre échelle cet historique, dans cet espace de la salle polyvalente, en bas, qui permet de créer des ambiances particulières et remarquables, et de toucher des profils très divers dans un esprit joyeux, ouvert, festif – en adéquation avec la philosophie et les valeurs solidaires du monde du hip hop.
La soirée Fancy Legs de LEGS sera-t-elle différente?
On a proposé une carte blanche à Milø Slayers, qui présente au festival sa création DEMONstratio. Ce sera une soirée dans l’esprit de Fancy Legs mais encore plus expérimentale, avec des interventions costumées, une installation lumineuse particulière, des surprises !
Cette fin de semaine, aux Écuries, on retrouve “IDA don’t cry me love”. Pas dans LEGS mais presque un prélude, puisque Lara Barsacq revisite là l’histoire d’Ida Rubinstein…
En effet, ça se répond. Charleroi Danse est impliqué dans la plate-forme Femmes de Mars; cette proposition est l’une de celles qui alimentent ce projet plus général.
- Festival LEGS à Bruxelles, Raffinerie (et Charleroi, les Écuries), du 21 mars au 1er avril – 071.20.56.40 – www.charleroi-danse.be
- IDA don't cry me love, les 17 et 18 mars aux Écuries de Charleroi Danse.