"Coriolan" : quand l’orgueil d’un héros sème le chaos
Mise en scène au cordeau, scénographie lumineuse et distribution cinq étoiles : Jean-Baptiste Delcourt revisite cette tragédie de Shakespeare en une vibrante œuvre polyphonique. À voir aux Martyrs jusqu’au 18 mars.
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Publié le 15-03-2023 à 14h26
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À l’heure où l’instantané, l’éphémère, l’ultra-rapide régissent nos modes de vie et où les deniers des théâtres se réduisent à peau de chagrin, Jean-Baptiste Delcourt, metteur en scène et co-directeur artistique de la compagnie Fact, s’est lancé un pari osé : monter un chef-d’œuvre classique, et pas des moindres puisqu’il s’agit de Coriolan (1607), considéré comme l’une des pièces les plus politiques de William Shakespeare. Or, l’on sait le dramaturge anglais réputé pour la longueur de ses textes et ses distributions pléthoriques.
Mais, en s’appuyant, avec l’aide précieuse de Nefer Ferreira Monteiro Nunes, sur la traduction de Louis Lecocq, Jean-Baptiste Delcourt propose une adaptation fidèle, qui, à la fois, épouse la beauté de la langue de Shakespeare et s’ancre subtilement dans le langage actuel. Mais aussi une version resserrée : la pièce, 2h20, est jouée par neuf comédiens.
Une adaptation libre et détachée
Fidèle au texte – on s’émerveille toujours autant de la richesse des mots, du phrasé mélodique et de l’intensité rythmique qui gorgent la plume de Shakespeare –, l’adaptation de Jean-Baptiste Delcourt n’en demeure pas moins libre et détachée de toute contrainte historique : dans la mise en scène, structurée au cordeau, mais aussi l’élégante et métaphorique scénographie du duo Vincent Bresmal et Mathieu Delcourt, magnifiée par le superbe jeu de lumières de Renaud Ceulemans et l’habillage sonore de Noam Rzewski. En résulte une œuvre polyphonique vibrante.
L’histoire se déroule à Rome. Héros militaire, Caïus Marcius (incarné avec un charisme inouï par Soufian El Boubsi) revient, glorieux, d’une nouvelle conquête : il a assiégé la ville volsque de Corioles, désormais aux mains des Romains. Fort de cette victoire, il reçoit le nom de Coriolan. Il est également sur le point d’être nommé consul. Mais, bouffi d’orgueil, il n’affiche que haine et mépris pour le peuple. Alors, ce dernier, galvanisé par les tribuns qui le représentent (une joyeuse paire formée par les jeunes comédiens Aurélien Dony et Siegfried Moncada), décide de lui refuser le consulat. Et le condamne au bannissement.

Fou de rage et assoiffé de vengeance, Coriolan s’exile. Il choisit alors de s’allier à Aufidius (Geoffrey Tiquet), général volsque que Coriolan a défait à plusieurs reprises, pour marcher sur Rome. Pétrifiés par cette nouvelle, le sénateur Menenius (Serge Demoulin) et le général Cominius (Dominique Tack) s’empressent de le dissuader de mener cette entreprise. Mais rien n’y fait. Seuls sa mère (Anne Claire), son épouse (Chloé Winkel) et son fils parviendront à le convaincre de renoncer. Mais au prix d’un terrible chaos.

Le public ne pouvait rester inactif
Face à cette tragédie, cette lutte sanglante de pouvoirs, cette incapacité de vivre ensemble et en paix, chacun tirant la couverture à soi, le public ne pouvait, aux yeux de Jean-Baptiste Delcourt, rester inactif. C’est pourquoi, tour à tour, les spectateurs sont sollicités, pendant la pièce, en tant que sénateurs, plébéiens, soldats, etc. Un stratagème astucieux qui permet, à chacun, de comprendre que rien, en politique, n’est jamais neutre. Hier comme aujourd’hui.
-- > Bruxelles, Martyrs, jusqu’au 18 mars. Infos et rés. au 02.223.32.08 et sur www.theatre-martyrs.be