Tsar B, le violon en flammes, la tête dans les étoiles
La violoniste, chanteuse et compositrice gantoise atteint des sommets sur "To The Stars". Deuxième album solo de sa jeune carrière mêlant brillamment influences baroques, électroniques et trip-hop. Rencontre autour de Dirk Frimout, Jimi Hendrix, Mozart et Georg Friedrich Haendel.
Publié le 17-03-2023 à 13h04 - Mis à jour le 17-03-2023 à 16h41
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Le 24 mars 1992, Dirk Frimout réalisait son rêve. Rappelé du banc de touche in extremis pour remplacer un membre de l’équipage de la mission Atlantis STS-45, l’astronaute originaire de Poperinge (Flandre occidentale) devenait le premier Belge à faire un petit tour dans l’Espace. En une mission d’une grosse semaine, la seule de sa carrière passée au-delà de notre atmosphère, l’homme est entré dans la légende.
Justine Bourgeus n’était même pas née quand M. Frimout comptait les étoiles, mais une bonne trentaine d’années plus tard, elle se souvient encore de l’impact émotionnel des images qu’elle a vu défiler sur son écran de télévision durant son enfance. Inspirée par cette échappée, la violoniste, chanteuse et compositrice gantoise de 28 ans renommée Tsar B à la scène, lui rend désormais hommage sur “Moonman”, cinquième single de son extraordinaire To The Stars ★★★★ (sorti ce vendredi 17 mars).
Dirk n’est pas le seul souvenir d’enfance de Justine, ni l’unique référence de cet album magistral. Sur l’hypnotique “Amara Terra Mia”, proposé en ouverture, elle chante “Laisse moi pleurer”, “Lascia Ch’io Pianga” pour reprendre les mots exacts de Georg Friedrich Haendel qu’elle fredonnait à l’adolescence.
“Je viens d’une famille qui écoutait énormément de musique classique” explique-t-elle, à la fois timide et extrêmement sûre d’elle. “J’ai vu le film Amadeus (1984, Milos Forman) quand j’avais trois ans et je me souviens très bien avoir dit à mes parents : “Je veux un violon, je veux être Mozart” (rires). Je ne suis pas devenue Mozart mais j’ai reçu le violon, que j’ai évidemment cassé en le maltraitant avec mon archet (imitation de sons stridents, NdlR). Puis j’ai dû attendre mes cinq ans avant d’en avoir un nouveau”.
Niveau souvenirs, voilà qui est précis, et précoce. “J’étais tellement jeune que tout se faisait de manière un peu inconsciente” ajoute Justine. “J’ai une encore une vidéo de moi, toute jeune, où on me voit jouer. J’ai l’air d’un petit animal, un robot qui exécute sa mission instinctivement sans réfléchir à ce qu’il fait.”
La démarche est toujours aussi viscérale de nos jours, mais le petit robot ajoute la réflexion à la passion. Sur la pochette de To the Stars, le violon de Tsar B est en flammes, hommage appuyé à Jimi Hendrix qui prenait un malin plaisir à exploser ou faire cramer ses guitares adorées.
“J’ai l’impression qu’à chaque fois que Jimi Hendrix fracassait sa guitare, il n’était pas en colère, il était amoureux de son instrument” ajoute-t-elle. Justine surchauffe, l’émotion l’anime et la brûle, et tout cela s’entend sur “Underwater”, coup de maître de cet album que l’on pourrait décrire comme une rencontre au sommet entre l’orientalisme de la musique baroque et la puissance rythmique du trip hop d’un Portishead ou un Massive Attack.
“Oui, c’est vrai, ça part dans tous les sens, mais c’est parce que j’ai écrit ces morceaux sur trois ans” commente Justine Bourgeus qui a pratiquement tout écrit, composé et produit en solo. “Trois années importantes, alternant esprit de fête et mélancolie, beaucoup d’émotions intenses mais extrêmement variées. Et tout ça a généré une sorte de feu d’artifice”.
Cela explique sans doute que des pistes purement techno (“Don’t Want To Loose Nobody”) côtoient des compositions envoûtantes (“Gonna Hold You In My Arms”) ou cinématographiques (“Interlude”). Mais à y regarder son parcours de plus près, tout cela est d’une logique effroyable.
À 18 ans, au lieu de choisir la voie toute tracée du Conservatoire, Justine Bourgeus préfère partir en tournée avec le groupe flamand School Is Cool qui rencontre son petit succès au-delà de nos frontières. En parallèle, elle se met à composer ses propres titres sur son ordinateur, avant de donner de la voix sur une reprise du “Back To Black” d’Amy Winehouse par son ami Oscar and The Wolf en 2015, et de sortir un premier album solo en 2018.
La mèche est allumée et tout s’embrase rapidement : la BBC la remarque, un festival majeur comme le Pukkelpop l’ajoute à sa programmation, et Justine en profite pour lancer d’autres projets. La nature envoûtante de ses compositions attire les chorégraphes et les metteurs en scène, qui lui commandent rapidement des bandes originales pour la danse, le cinéma et la télévision.
“Tout film a besoin de sa musique” commente-t-elle “et toute musique a besoin de son film. Je ne pourrais pas monter sur scène ou tourner des clips sans des tenues excentriques… Un cosmonaute ne sort pas dans l’espace sans une tenue appropriée”. On imagine un temps l’ami Dirk Frimout avec les tenues ultra-tendance et les gigantesques talons de Tsar B, de même que la tête des six astronautes américains lorsqu’il fait son entrée dans la toute petite capsule de la navette Atlantis, mais ce n’est pas le sujet.
Tsar B est aussi extravagante que Justine est timide. “Je crois que c’est pour ça que j’aime autant Amadeus” poursuit-elle, fidèle à ses références initiales. “En public, Mozart est amusant et sot. Quand il est seul, il est sombre, mélancolique et parfois triste. Trop ressentir est à la fois une malédiction et une bénédiction”.
Profond, passionnant et un peu perché, To The Stars est d’ores et déjà l’un des albums de l’année. Sa déclinaison live à l’Ancienne Belgique ce samedi 1er avril dans le cadre du Listen Festival (lire ci-contre) vaudra sans aucun doute le déplacement. “Nous n’utiliserons pas d’ordinateurs, mais une contrebasse, un violoncelle, des violons et une dizaine de synthétiseurs” conclut Justine Bourgeus. “Les basses fournissent l’énergie, les violent les respirations”. Houston, nous allons décoller.
En concert au Listen Festival le 1er avril et au Dour Festival le jeudi 13 juillet.
